Chapitre 3 – L’ombre et la peau

LÉANA

Le métro me ramène chez moi dans un fracas de sons, mais je n’entends rien.

Tout ce que je sens, c’est la vibration de ses mots dans ma tête.

“Écoutez ce que vous ressentez.”

Encore et encore, je répète cette phrase comme un mantra.

Je passe devant mon miroir.

Mes yeux se posent sur mes bras, mes épaules. Chaque muscle se souvient de la danse de la nuit dernière.

J’ai la sensation qu’il pourrait deviner tout cela. Rien qu’en m’écoutant respirer.

C’est effrayant, mais délicieux.

Le téléphone sonne. Un message anonyme :

“Demain. Même heure. Préparez-vous.”

Je frissonne. Mon estomac se serre.

C’est devenu une nécessité, presque une drogue.

Je n’ai jamais été fascinée ainsi par un homme.

Et pourtant, je sais que je ne l’ai jamais vu.

ADRIAN

Elle revient.

Chaque nuit où elle n’est pas là, le silence pèse comme un couvercle sur mon souffle.

Mais quand elle entre dans la pièce, tout s’éclaire — pas avec la lumière, mais avec son énergie.

Je l’entends avant qu’elle ne parle.

Le tissu qui froisse, le pas hésitant sur le parquet.

Je sens sa peur et sa fierté s’entrelacer dans l’air.

Je ne la touche pas. Je ne la vois pas.

Mais je sais. Je sais tout.

Chaque mouvement raconte une histoire.

Chaque respiration révèle ce qu’elle cache.

Je l’ai entendue trembler avant même qu’elle ne danse.

J’ai senti ses doutes, son désir de contrôle et de lâcher prise.

Elle croit que je suis aveugle. Je le suis. Mais je “vois” plus qu’elle ne l’imagine.

LÉANA

La salle est plus chaude que la veille. Les bougies tremblent.

Je m’avance, les mains légèrement tendues comme si je devinais sa présence.

Je ferme les yeux, et c’est plus fort que de regarder :

Chaque son devient un contour, chaque souffle un visage.

Je commence à danser, doucement.

Sans musique, je me perds dans les vibrations de l’air, dans l’écho de mon corps contre le sol.

Je sens qu’il écoute chaque frisson. Chaque hésitation.

Je murmure :

— “Vous… vous êtes toujours là, n’est-ce pas ?”

— “Toujours.”

Sa voix me traverse. Plus que ses mots, c’est l’intensité de son écoute qui me touche.

Je sens une chaleur qui n’a rien à voir avec le corps.

C’est autre chose. Une présence totale, complète.

Je voudrais me rapprocher. Juste un peu. Mais le contrat… et cette règle invisible me retiennent.

Le frisson de l’interdit me traverse comme une décharge électrique.

ADRIAN

Elle s’approche. Ou croit s’approcher.

Je perçois la vibration de ses pas, l’ombre de son corps qui avance.

Elle ne me touche pas. Mais chaque millimètre qu’elle parcourt jusqu’à moi est une caresse invisible.

Je lutte contre l’envie de tendre la main, de la retenir, de sentir sa peau.

Ma cécité m’enseigne le contrôle. Mais mes émotions me trahissent.

Elle est là. Elle est réelle. Et pourtant, je ne l’ai jamais vue.

— “Pourquoi tremblez-vous encore ?”

Je murmure ces mots pour qu’elle sache que je perçois tout, même ses désirs qu’elle ne dit pas.

Elle frissonne, et je me surprends à imaginer son visage dans le noir.

Juste une esquisse. Juste assez pour m’enflammer et me retenir à la fois.

LÉANA

Quand je quitte la salle, mes mains sont moites.

Je serre le métronome contre ma poitrine.

Chaque tic-tac est un rappel : je reviendrai.

Parce qu’il écoute. Parce qu’il comprend. Parce que personne d’autre n’a jamais fait cela pour moi.

Et quand la porte se referme derrière moi, je le sens encore dans l’air, là où les ombres et la peau se rencontrent.

Je frissonne et je souris.

Demain, je reviendrai.

Et chaque fois, ce sera plus fort.