Ismène poussa doucement la porte de la chambre des servantes, les bras chargés des présents que Naïla lui avait offerts. Dès qu’elle entra, les discussions se turent brusquement. Plusieurs paires d’yeux se tournèrent vers elle, scintillant d’une curiosité à peine voilée.
La pièce exiguë était éclairée par la lueur tremblotante d’une lampe à huile. Le parfum du bois brûlé et des herbes séchées flottait dans l’air, et le matelas fin qu’Ismène partageait avec d’autres servantes était encore défait. Elle fit quelques pas en silence, consciente des regards qui la suivaient.
— D’où viennent ces cadeaux ? lança soudain Bineta, une servante au visage rond et aux yeux perçants.
Sa voix était douce, mais teintée d’un mélange de curiosité et de méfiance.
Ismène s’arrêta et posa délicatement les étoffes sur son espace de couchage avant de se tourner vers elle.
— C’est la princesse Naïla qui me les a donnés.
Un silence pesa un instant dans la pièce. Puis, un éclat de rire étranglé s’échappa d’une des jeunes femmes assises sur le sol.
— Toi ? s’étonna Fatou, une autre servante, en plissant les yeux. Naïla t’a offert ça ?
Ismène hocha la tête.
— Oui.
Bineta croisa les bras et avança d’un pas.
— Eh bien, tu en as de la chance, dit-elle d’un ton mesuré.
D’autres servantes s’approchèrent pour mieux voir les étoffes et les bijoux posés sur le matelas. L’une d’elles effleura du bout des doigts le bracelet doré avant de soupirer.
— Moi aussi, j’aurais aimé être à ta place, souffla-t-elle.
— Moi aussi, renchérit une autre.
— C’est injuste, murmura une troisième.
Ismène sentit une tension s’installer. Elle baissa légèrement les yeux, mal à l’aise sous le poids des jalousies naissantes.
Bineta, qui n’avait pas cessé de l’observer, s’agenouilla à côté d’elle et prit le collier d’or entre ses doigts.
— Depuis quand une servante mérite-t-elle un tel trésor ? murmura-t-elle, presque pour elle-même.
Elle leva les yeux vers Ismène, un sourire énigmatique aux lèvres.
— Dis-moi, Ismène… qu’as-tu fait pour mériter cela ?
Un frisson parcourut la jeune femme. Elle savait que cette question n’était pas innocente. Mais avant qu’elle ne puisse répondre, une autre servante s’exclama :
— Arrête, Bineta ! On sait bien qu’Ismène est la préférée de la princesse.
— Et pourquoi elle, hein ? intervint une autre. Pourquoi pas moi ou toi ?
Bineta haussa un sourcil.
— C’est une bonne question.
Un silence pesant tomba dans la pièce. Ismène sentit son cœur battre plus vite. Elle savait que toute explication ne ferait qu’attiser davantage les jalousies.
— Je n’ai rien fait d’exceptionnel, finit-elle par dire. La princesse m’apprécie, c’est tout.
Bineta la fixa quelques instants avant de sourire légèrement.
— Tant mieux pour toi, alors, dit-elle en relâchant le collier.
Mais son regard, lui, disait autre chose.
Les servantes s’éloignèrent peu à peu, retournant à leurs tâches ou à leurs discussions murmurées. Mais l’ambiance avait changé. Ismène le sentait. Elle posa une main sur les étoffes précieuses et inspira profondément.
Elle savait que ces présents, loin d’être une bénédiction, allaient faire naître des tensions.
Elle n’avait jamais cherché les faveurs de Naïla. Mais maintenant qu’elle les avait, elle se demandait si elle ne venait pas, malgré elle, de se faire de nouvelles ennemies.
***** L’après-midi touchait à sa fin lorsque les servantes entrèrent dans les appartements de la princesse Naïla, portant bassines d’eau parfumée, pots d’huiles précieuses et étoffes délicates. L’air était empli du parfum envoûtant du henné et du bois de santal. Assise sur un large coussin brodé, Naïla les attendait, un sourire languide sur les lèvres.
— Je suis prête, annonça-t-elle d’un ton satisfait en étendant ses bras fins.
Ismène, suivie de trois autres servantes, s’approcha respectueusement et commença le rituel du bain. Elles versèrent lentement l’eau tiède sur la peau éclatante de la princesse, laissant les effluves d’hibiscus et de musc s’imprégner dans l’air. Une servante lui appliqua un gommage de poudre de baobab et de miel, massant sa peau avec des gestes experts pour la rendre encore plus douce.
Naïla ferma les yeux, savourant chaque étape comme une reine sûre de son pouvoir.
— Plus doucement, Ismène, murmura-t-elle. Je veux que ma peau soit comme de la soie.
Ismène obéit, frottant délicatement les épaules nues de la princesse avant que l’une des servantes ne vienne rincer son corps avec une dernière eau infusée aux pétales de rose.
Puis vint le massage aux huiles. Ismène versa un peu de karité parfumé à la lavande dans ses paumes et commença à étirer les muscles détendus de Naïla. La princesse soupira d’aise tandis que les mains des servantes parcouraient son dos, ses bras et ses jambes avec soin.
— C’est ainsi qu’une future reine doit être traitée, déclara Naïla en ouvrant un œil vers Ismène.
— Bien sûr, ma princesse, répondit-elle d’une voix mesurée.
Une fois la peau parfaitement préparée, les servantes l’enveloppèrent dans un large tissu immaculé avant de la conduire dans sa chambre pour les dernières étapes.
De retour dans les appartements privés La lumière des lampes tamisait la chambre lorsqu’Ismène aida Naïla à s’asseoir devant son grand miroir. Les autres servantes s’inclinèrent avant de quitter la pièce sur un geste de la main de la princesse.
Seule avec Ismène, Naïla croisa ses jambes et sourit.
— Aide-moi à choisir ma tenue, ordonna-t-elle, sa voix presque joyeuse. Ce soir, Kael revient dans ma chambre.
Elle jeta un regard satisfait à son reflet, caressant ses bras huilés et brillants sous la lumière.
Ismène s’approcha des coffres où reposaient des étoffes d’une richesse inouïe. Son cœur battait un peu plus vite qu’à l’accoutumée. Elle savait ce que signifiait cette nuit pour Naïla. Kael reviendrait dans sa couche, scellant son rôle d’épouse et de princesse.
Son esprit s’égara un instant. Elle ne pouvait empêcher l’image du prince de s’imposer à elle, de se rappeler de cette nuit où elle avait été la première à connaître ses étreintes.
— Alors, laquelle ? demanda Naïla avec impatience.
Ismène déglutit et sortit un boubou en soie pourpre brodé d’or, finement ouvragé.
— Celle-ci mettra votre teint en valeur, ma princesse.
Naïla prit le tissu entre ses doigts, l’examina un instant puis sourit.
— Excellent choix.
Elle se leva et laissa Ismène l’aider à se vêtir. La robe glissa sur sa peau comme une caresse et épousa parfaitement sa silhouette. Ismène noua délicatement la ceinture ornée de perles et ajusta le décolleté pour que tout soit parfait.
Naïla se tourna alors vers elle, une lueur amusée dans les yeux.
— Tu es bien silencieuse ce soir, Ismène. Serais-tu… nerveuse ?
Ismène se raidit légèrement avant de répondre avec précaution :
— Non, ma princesse.
Naïla ricana doucement.
— Tu es vraiment une servante exemplaire. Toujours si discrète, toujours si obéissante… Elle s’approcha, plongeant son regard perçant dans celui d’Ismène.
— Ce soir, je recevrai Kael comme il se doit. Il est mon époux, et bientôt, il m’appartiendra totalement.
Ismène inclina la tête, masquant ses émotions derrière un masque de servitude.
— Que la nuit vous soit douce, ma princesse.
Naïla sourit et se détourna, prête à affronter la nuit qui l’attendait.
Ismène se figea. Kael avait les yeux ouverts, désormais éveillé. Il l’observait, un léger sourire sur les lèvres. Leurs regards se croisèrent et, bien que les mots n’aient pas encore franchi ses lèvres, elle sentit que quelque chose avait changé. Il n'était plus celui qu'elle avait connu, et elle n'était plus la même femme que la veille.Elle se mordit la lèvre inférieure, hésitante, avant de répondre :— Je… je voulais juste sortir un moment. Je me sens un peu perdue, Kael.Il se redressa alors, s'appuyant sur ses coudes, les yeux plongés dans les siens avec une intensité nouvelle. Il n'y avait plus de doute, plus d'hésitation dans son regard. Il était là, présent, et il semblait comprendre sans qu'elle n'ait besoin d'expliquer davantage.— Tu n’es pas perdue, Ismène, répondit-il d’une voix douce mais ferme. Je suis là. Et tout ce que tu ressens, je le ressens aussi. Mais tout ça prend du temps. Nous avons le temps de tout comprendre, ensemble.Ismène baissa les yeux, le poids des mo
Ismène, les yeux plongés dans les siens, n’eut pas la force de répondre immédiatement. Elle savait que ce n’était pas une simple déclaration de pouvoir. C’était une invitation. Une invitation à se laisser aller, à s’abandonner à lui, et à accepter que tout ce qu’ils avaient vécu jusqu’ici, toutes les luttes et les souffrances, étaient peut-être derrière eux. Ou peut-être étaient-ils juste à l’aube de quelque chose de plus grand, de plus difficile encore.Kael la prit alors doucement par la taille et la souleva légèrement. Elle sentit la fermeté de son corps contre le sien, sa respiration qui se faisait plus rapide, plus insistante. Il la déposa délicatement sur le lit, et le simple contact de la soie du drap contre sa peau lui donna un frisson. Ses mains glissèrent lentement le long de son corps, effleurant chaque courbe, chaque détail comme s’il redécouvrait un terrain inconnu. Ses yeux ne la quittaient pas, scrutant ses réactions, observant les frissons qui parcouraient son corps.—
Ismène rougit, ne sachant si elle devait rire ou s’étonner de cette nouvelle facette de sa vie. Elle n’avait jamais vraiment réfléchi à ces choses-là, mais Mariama la mettait face à une réalité dont elle ne pouvait plus détourner les yeux. Elle sentait son cœur battre un peu plus vite à l’idée de ce qui allait se passer ce soir.— Tu as l’air d’une femme qui sait de quoi elle parle, dit Ismène, mi-gênée, mi-curieuse. Tu… tu as vécu cela, toi aussi ?Mariama sourit tendrement, puis secoua la tête.— Chaque femme a son propre chemin. Mais tu n’as pas à avoir peur. La première fois, peut-être, mais après, ça devient plus naturel. Et souviens-toi, tu es sa femme maintenant. Il faut que tu t’affirmes. Ce n’est pas une question de séduire, c’est une question de connexion. Le corps, l’esprit, et le cœur. Quand tu es prête à tout donner, à lui offrir tout ce que tu es, il ne peut que te répondre de la même manière.Ismène ferma les yeux, se laissant envahir par cette idée de connexion, de com
La nuit tomba sur le palais, mais pour eux, l’aube d’une nouvelle vie venait de se lever.Dans la quiétude de la chambre de Mariama, alors que la nuit enveloppait le palais d’un calme presque étrange, Ismène se laissa tomber sur un siège, les yeux perdus dans le vide. Mariama s’approcha doucement, comme si elle ressentait le poids des pensées qui écrasaient son amie.— Alors, vous avez scellé le mariage ? demanda Mariama, d’une voix douce mais curieuse.Ismène secoua négativement la tête, ses mains tremblantes se joignant sur son ventre comme pour se donner un peu de force. Elle sentait encore le vertige de la cérémonie, la lourdeur de ce mariage qui, bien qu’officialisé, restait dans son esprit comme un fardeau qu’elle n’était pas encore prête à accepter complètement. Le regard de Mariama se fit plus insistant, mais sans jugement. Elle s'assit à côté d'elle, posant une main rassurante sur son épaule.— Il faut que tu comprennes, Ismène, lui dit Mariama d’une voix calme mais ferme. Ce
Le soir, après que les invités se furent dispersés et que la dernière musique se fut éteinte dans les couloirs, Kael trouva Ismène seule dans leur chambre, Kalem endormi dans son berceau. Ses yeux étaient fatigués, mais un sourire sincère illuminait son visage lorsqu’elle le vit entrer.— Alors, c’est fait… dit-elle doucement, les bras croisés, mais ses yeux brillants d’une émotion qu’elle n’arrivait pas à dissimuler.Kael s’approcha d’elle et prit sa main, la serrant fermement.— Oui, c’est fait, répondit-il. Et ça ne change rien. Nous sommes ensemble, Ismène, et je tiendrai toujours ma parole.Elle hocha lentement la tête, un léger sourire aux lèvres. Mais malgré ses paroles, elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander si ce mariage allait réellement apaiser toutes les tensions. Les murmures, les regards, tout cela allait-il s’estomper avec le temps ? Ou allait-elle toujours être l’objet de mépris de la cour, de la reine, de tout le royaume ?— Et maintenant ? demanda-t-elle, sa v
Le mariage de Kael et Ismène, bien que fastueux et empreint de la solennité que la cour exigeait, se déroulait sous un ciel lourd de tensions. Dans les couloirs dorés du palais, les murmures se propageaient comme un vent sec, glissant entre les nobles qui s'étaient rassemblés pour l'événement. Certains observaient, inquiets, les lèvres pincées, d'autres, à peine dissimulant leur mépris, chuchotaient des mots lourds de jugement. Mais tout ce qui importait à Kael, c’était qu’il ait lieu. Il n’était pas là pour écouter les chuchotements ni les ragots de la cour ; son regard ne se détournait jamais d’Ismène, sa future épouse, qu’il avait choisie, malgré les circonstances.Ismène, de son côté, était bien plus bouleversée qu’elle ne l’aurait voulu le laisser paraître. Son cœur battait fort, non pas à cause de l’ampleur de l'événement, mais plutôt du poids des regards qui pesaient sur elle. Ce n'était pas simplement une cérémonie, c’était un acte symbolique qui marquait une rupture avec tout