Chapitre 6 : L’odeur du mensonge

L’aube effleurait à peine le palais lorsque des cris éclatèrent dans les appartements de la princesse. Ismène, penchée sur une pile de voiles à plier, sursauta en entendant Naïla hurler de frustration.

— Qu’as-tu fait, Ismène ?!

La servante releva timidement la tête. Naïla, toujours vêtue de son boubou de nuit en soie froissée, les cheveux défaits, se tenait au centre de la pièce, le regard noir et les poings serrés. Ses yeux trahissaient l’agitation qui la dévorait de l’intérieur.

— Ma princesse… ? balbutia Ismène, perdue.

— Ne fais pas semblant de ne pas comprendre ! gronda Naïla en avançant brusquement vers elle.

Son visage, habituellement lisse et radieux, était marqué par l’irritation. Elle grinçait des dents, sa poitrine se soulevant au rythme de sa respiration furieuse.

— Hier soir… poursuivit-elle, sa voix se teintant d’une colère à peine contenue. Kael semblait heureux de me retrouver… Du moins, au début. Mais ensuite…

Elle marqua une pause, le regard dur.

— Il m’a dit que je sentais différent.

Le cœur d’Ismène manqua un battement.

— Différent… ?

— Oui ! cracha Naïla, les mains tremblantes d’irritation. Il m’a dit que lors de notre première nuit, une senteur particulière flottait sur moi. Il la reconnaîtrait entre mille…

Elle s’approcha encore, plongeant son regard méfiant dans celui d’Ismène.

— Et cette fois… ce n’était pas la même.

L’air lui manqua. Ismène sentit sa gorge se nouer douloureusement. Kael…

Naïla plissa les yeux, cherchant la moindre réaction sur son visage.

— Quelle huile avais-tu utilisée, Ismène ?

La servante se força à respirer calmement. Elle savait que chaque mot prononcé pouvait la trahir.

— Je… je n’ai rien utilisé de particulier, ma princesse. Juste les huiles habituelles…

— Tu mens !

La gifle partit si vite qu’Ismène n’eut pas le temps de réagir. La brûlure s’étala sur sa joue comme une morsure vive. Elle serra les dents, les yeux baissés, résistant à l’envie de porter une main à son visage.

Naïla, haletante, la scrutait avec rage.

— Tu crois pouvoir me tromper ?! Je sais ce que j’ai entendu ! Qu’as-tu fait, Ismène ?!

La servante ravala son souffle.

— Rien, ma princesse… murmura-t-elle.

— Tu mens encore ! siffla Naïla en la saisissant par le bras.

Ismène se raidit sous la poigne de la princesse, mais elle ne broncha pas. Son cœur battait à tout rompre, mais elle devait tenir bon.

Naïla l’observa un long moment, cherchant un aveu dans ses prunelles sombres. Puis, brusquement, elle la lâcha et recula.

— Je saurai ce qui s’est passé.

Elle pivota et se dirigea vers le paravent où l’attendait une tenue immaculée.

— Kael se souvient de tous les détails de cette nuit, même de ce qu’il a senti.

Elle laissa un silence pesant s’installer avant de murmurer :

— Et moi, je découvrirai pourquoi.

Ismène, toujours figée sur place, sentit une sueur froide couler le long de sa colonne vertébrale.

Naïla doute.

Ou du moins… elle était sur le point.

****

Le soleil tapait déjà haut dans le ciel lorsque Bineta rejoignit Ismène dans la cour des servantes, les bras croisés et un sourire en coin. D’un geste nonchalant, elle s’appuya contre une colonne et observa Ismène, qui rangeait silencieusement des étoffes pliées sur un banc de bois.

— On dirait bien que la boule tourne…

Ismène ne répondit pas tout de suite, mais son cœur se serra légèrement à ces mots. Elle releva la tête et croisa le regard perçant de Bineta.

— De quoi tu parles ? demanda-t-elle d’un ton neutre.

— La princesse Naïla, évidemment. Tout le monde a vu son humeur massacrante ce matin. Elle a renvoyé trois servantes, crié sur une quatrième… Même les gardes baissaient la tête devant elle.

Ismène s’efforça de ne rien laisser paraître, mais elle savait exactement pourquoi Naïla était d’humeur exécrable.

— Peut-être que quelqu’un l’a contrariée, répondit-elle en reprenant son pliage.

— Ou peut-être que c’est toi, suggéra Fatou en s’asseyant sur le banc voisin. Après tout, tu es toujours dans ses appartements. Tu es celle qui la voit le plus.

Ismène haussa les épaules.

— Je ne fais que mon travail.

— Ton travail, ton travail… Bineta roula des yeux. Moi aussi, j’aimerais bien que mon travail me rapporte des bijoux et des tissus fins.

Fatou rit doucement.

— On dirait que la princesse a vraiment une favorite. Mais attention, Ismène… La faveur d’une princesse, ça peut vite changer.

— Si elle te chasse, moi, je me verrais bien à ta place, ajouta Bineta avec un sourire amusé.

Elles échangèrent un regard complice et éclatèrent de rire. Ismène, elle, garda le silence, continuant de plier les étoffes, même si ses doigts étaient légèrement crispés.

— En tout cas, reprit Fatou, si tu sais pourquoi elle est si en colère aujourd’hui, tu ferais mieux de ne pas faire la même erreur.

Bineta acquiesça d’un air faussement compatissant.

— Oui, qui sait combien de temps tu resteras sa préférée…

Puis, comme si de rien n’était, elles se levèrent et s’éloignèrent, laissant Ismène seule avec ses pensées.

Naïla était furieuse. Elle l’avait giflée. Elle lui avait crié dessus. Tout ça parce que Kael avait remarqué quelque chose d’inhabituel lors de leur nuit.

Mais combien de temps avant que la princesse ne commence à chercher des réponses plus loin que dans la simple colère ?

Ismène inspira profondément. Elle devait rester prudente. Naïla était instable, capricieuse et cruelle quand elle se sentait menacée.

Et si elle venait à douter…

Tout pourrait s’effondrer.