Chapitre 4 — La fuite

Le petit café dans lequel Merliah attendait semblait hors du temps, loin de tout. Les néons fatigués clignotaient à peine, et chaque client paraissait être une silhouette floue, anonyme. C’était parfait.

Bill entra, les yeux sombres, les épaules tendues. Lorsqu’il s’assit face à elle, il n’avait plus le regard du garçon rêveur. Il avait celui d’un homme prêt à tout.

— Merliah, John est en train de perdre la tête, dit-il sans préambule. Et tu es au centre de sa tempête.

Elle hocha lentement la tête. Elle le savait. Elle le sentait dans sa chair, dans chaque souffle devenu trop court.

— Je suis désolée, Bill. Je n’ai jamais voulu te mêler à ça.

Mais Bill secoua la tête, les yeux plantés dans les siens.

— Je ne te laisserai pas affronter ça seule. C’est moi qui devrais m’excuser de ne pas t’avoir protégée plus tôt. Il marqua une pause. Écoute… J’ai une idée. Radicale. Mais peut-être la seule chance.

Elle plissa les yeux.

— Je t’écoute.

— On part. Toi et moi. Demain. Il inspira profondément. Europe, Asie, n’importe où, tant que c’est loin de John. Loin de tout ça. On recommence à zéro.

Le cœur de Merliah fit un bond. La peur. L’espoir. L’inconnu.

Elle ne répondit pas tout de suite.

— Pourquoi tu fais ça ? souffla-t-elle. Tu risques tout.

— Parce que je t’aime, dit-il enfin. Et je ne peux plus faire semblant.

Son aveu flotta entre eux. Merliah ne dit rien, mais ses yeux se remplirent de larmes silencieuses. Elle n’était pas amoureuse de Bill, mais elle savait qu’il était la seule personne sur qui elle pouvait compter. Pour l’instant.

— D’accord, dit-elle d’une voix rauque. On part.

Le lendemain, ils vendirent leurs téléphones, vidèrent leurs comptes, et effacèrent toute trace derrière eux. Ils achetèrent deux billets pour une destination inconnue en Europe, en espèces, sans noms imprimés. Une fuite dans l’ombre.

Merliah vivait chaque seconde comme si elle marchait sur du verre. Un faux pas, et John les retrouverait.

À l’aéroport, leurs visages tendus trahissaient leur peur. Mais lorsqu’elle s’assit enfin dans l’avion, Merliah sentit une larme couler sur sa joue. Elle laissa son passé derrière elle, son ventre fragile, et le regard incendiaire d’un homme qu’elle n’arrivait pas à oublier.

Bill posa sa main sur la sienne.

— Tu es en sécurité maintenant.

Mais elle n’en était pas sûre.

Pendant ce temps, John vidait un verre de whisky, les yeux rouges de colère. Il venait de recevoir un appel de son médecin privé.

— Elle est enceinte, avait-il dit.

Et d’après les dates… il n’y avait aucun doute.

John sentit une brûlure dans sa poitrine. Elle portait son enfant. Son héritier.

Et elle avait fui.

Il revoyait son rire. Son parfum. Ses regards fuyants. Son refus. Et maintenant… Bill.

Il jeta violemment son verre contre le mur. Le cristal éclata. Comme sa patience.

Ils l’avaient trahi. Tous les deux.

Mais il ne comptait pas rester spectateur.

Il décrocha son téléphone, le ton glacial :

— Trouvez-les. Où qu’ils soient. Je veux des noms, des adresses, des visages. Et ramenez-les-moi. Tous les deux.

Il raccrocha. Puis s’accouda à la fenêtre, la ville étalée devant lui comme un échiquier.

Un sourire cruel naquit sur ses lèvres.

— Tu ne m’échapperas pas, Merliah.

Tu es à moi. Et cet enfant aussi.

Quelques jours plus tard.

Merliah et Bill s’étaient installés dans un petit studio discret dans un quartier calme, quelque part en Europe. Ils vivaient modestement. Anonymement.

Mais chaque matin, Merliah se réveillait avec la peur au ventre. Elle surveillait ses arrières. Elle ne sortait jamais deux fois par le même chemin.

Bill faisait tout pour la rassurer. Il lui préparait du thé, lui caressait les cheveux, lui murmurait qu’ils étaient en sécurité.

Mais il voyait bien ses yeux. Son silence. Son absence parfois.

Elle pensait encore à John.

Et elle pensait aussi à l’enfant. Ce bébé en elle, fragile, silencieux, qui grandissait dans ce chaos.

Un soir, alors qu’elle revenait de l’épicerie, elle sentit qu’on l’observait. Elle accéléra. Elle serra son manteau contre elle. Elle se retourna plusieurs fois. Rien.

Mais dans l’ombre, un homme en costume noir appuya sur un micro discret.

— Cible repérée. Elle est vivante. Et enceinte.

John reçut le rapport dans la nuit.

Il lut. Relut. Puis se leva.

— Préparez l’avion. On part ce soir.

Son regard était celui d’un prédateur. Il n’était plus question d’amour.

Il était question de possession.

De vengeance.

Et la guerre allait commencer.