MasukL'absence de Nathakrit était une présence en soi, un vide si lourd et si inhabituel qu'il en devenait étouffant. Ce matin-là, son bureau était resté sombre, sa porte close, et l'air de l'open space avait une qualité étrange, comme si le pouls même de l'étage s'était arrêté. Pour la première fois depuis mon arrivée, l'impensable s'était produit : le PDG n'était pas à son poste.
Toute la matinée, j'avais tourné en rond, mes projets de confrontation audacieux réduits à néant. J'avais préparé mes mots, aiguisé mes arguments, prête à forcer le mur de glace qu'il avait érigé entre nous. Et son absence était une esquive de plus, une manière de dire sans mots que je ne méritais même pas une explication en face. La frustration cédait peu à peu la place à une inquiétude sourde, tenace. Était-il malade ? Avait-il un problème ? L'idée qu'il puisse être vulnérable, lui, le roc insensible, me perturbait profondément.À l'heure du déjeuner, n'y tenant plus, je me rapprochai de JoTout avait commencé par un regard, justement. Celui qu’elle avait posé sur Nathakrit, le PDG terrifiant et magnifique de Gaysorn, le jour de son embauche. Elle n’était alors qu’une assistante talentueuse mais méfiante, une étrangère dans l’écosystème impitoyable de l’entreprise. Lui, un sommet inatteignable, glacé par les responsabilités et les apparences. Le chemin qui les avait menés de ces premiers regards furtifs à l’épilogue d’aujourd’hui n’avait été ni linéaire, ni facile. Il avait été jonché d’embûches qui avaient failli les détruire : les rumeurs acérées de collègues jalouses comme Pim, la trahison professionnelle qui l’avait accusée à tort, brisant la confiance naissante entre eux. Chloé avait appris que l’homme derrière le titre n’était pas un mur, mais un être vulnérable. Nathakrit avait découvert que la femme derrière le dossier n’était pas un pion, mais une force. Leur amour était né dans le chaos à Singapour, dans la chaleur d’un voyage d’
Assise à son nouveau bureau non plus celui de directrice d’« Horizon », mais celui, plus vaste, de Vice-Présidente en charge de l'Innovation et de l'Impact Social du groupe Gaysorn Chloé laissa un instant son regard errer par la baie vitrée. Le ciel de Bangkok, d’un bleu laiteux en cette fin d’après-midi, lui rappelait étrangement celui de son premier jour, des années auparavant. Elle venait de terminer une session de mentorat avec une jeune recrue, une Française timide mais brillante nommée Élise, dont les yeux écarquillés et le mélange d’excitation et de terreur lui avaient tiré un sourire attendri.« N’ayez pas peur de poser des questions, même si elles vous semblent stupides », lui avait-elle dit. « Et surtout, n’oubliez pas que votre regard neuf, votre façon différente de voir les choses, c’est votre plus grande force ici, pas une faiblesse. »En voyant la jeune femme hocher la tête, reconnaissant dans son expression une lueur de doute familier, Chloé avait
Les mois qui suivirent la demande en mariage furent une valse parfaite entre deux réalités qui, désormais, ne s’affrontaient plus mais se nourrissaient l’une de l’autre. Notre vie était devenue un savant et heureux équilibre entre les planifications stratégiques d’« Horizon » et les préparatifs intimes de notre union. L’agenda de Chloé Kim, Directrice de l’Impact, et celui de Chloé, future épouse de Nathakrit, cohabitaient dans le même carnet, mais dans des couleurs différentes, sans jamais se chevaucher de manière conflictuelle.La préparation du mariage fut un projet à part entière, mené avec la même passion que nous mettions dans nos dossiers professionnels, mais teintée d’une douceur et d’une complicité nouvelles. Nous voulions quelque chose qui nous ressemble : élégant, sincère, entouré de l’essentiel. Pas le faste écrasant attendu d’un héritier de la haute société bangkokienne, mais une célébration où chaque détail aurait un sens. Nous choisîmes une petite salle privé
Ce vendredi ressemblait à tous les autres, ou presque. La fin de semaine était proche, l’atmosphère dans les bureaux d’« Horizon » était détendue, satisfaite d’une semaine de travail fructueuse. Nous avions bouclé la première phase de déploiement du projet éducatif, et les retours préliminaires étaient excellents. Je me sentais ancrée, heureuse, dans cette nouvelle vie où amour et ambition se nourrissaient sans se dévorer.Un peu après l’heure de fin de service, je me rendis aux toilettes pour me rafraîchir avant de retrouver Nathakrit. Nous devions dîner dans un petit restaurant italien discret, notre rituel du vendredi soir. En passant, je croisai Jonny qui rangeait son bureau avec une lenteur inhabituelle, et Pim qui bavardait près de l’ascenseur. Rien ne semblait anormal, si ce n’est une étrange quiétude qui commençait à descendre sur l’étage.Quand je ressortis des toilettes quelques minutes plus tard, le monde avait changé.Le vaste open space, d’ord
Les semaines qui suivirent ma nomination furent un tourbillon euphorique. Mon nouveau bureau, plus spacieux, avec une vue imprenable sur les gratte-ciel de Sathon, symbolisait bien plus qu'une promotion. Il représentait une reconnaissance tangible, une responsabilité immense, et la concrétisation d'une confiance que j'avais cru perdue à jamais. L'équipe "Horizon" commençait à prendre forme, rassemblant des talents internes et des profils externes brillants, tous animés par cette vision ambitieuse de mêler innovation et impact social.Pourtant, sous la surface lisse des félicitations officielles et des sourires de circonstance, je percevais des frémissements, des doutes qui persistaient. La nouvelle de ma relation avec Nathakrit était désormais un fait établi, mais son annonce spectaculaire, suivie de ma nomination à un poste clé, avait ravivé une vieille méfiance sous une forme nouvelle. Ce n'était plus de la jalousie mesquine, mais une inquiétude plus « respectable », plus
L'onde de choc du succès de "Kâla" eut un effet transformateur sur l'équipe. L'atmosphère dans l'open space, si longtemps empoisonnée par les soupçons et les rivalités, se métamorphosa. Le triomphe du projet était indéniablement lié au travail de Chloé, et cette évidence, chiffres et retours clients à l'appui, balaya les derniers doutes.Les collègues qui l'avaient observée avec méfiance ou indifférence vinrent spontanément la féliciter. Leurs compliments n'étaient plus polis, mais empreints d'un respect authentique. « Désolé, je... je t'ai mal jugée au début », admit l'un des développeurs seniors, gêné. « Mais ce que tu as réussi à faire, la façon dont tu as tenu le cap... Chapeau. » Un autre ajouta : « Franchement, on s'en veut un peu de ne pas t'avoir soutenue plus tôt. »La transformation la plus frappante fut celle de Pim. Quelques jours après le lancement, elle demanda à Chloé de prendre un café avec elle, en bas, à l'écart des oreilles indiscrètes. Assises à







