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Author: RS WILD
last update Last Updated: 2025-09-03 23:57:27

Tessa 

Le train freina dans un long crissement métallique et je fus happée par la marée humaine de la gare Saint-Lazare. Le hall immense m’avala d’un coup. Ça grouillait de partout : valises qui roulaient, cris d’enfants, annonces crachées par les haut-parleurs. Les odeurs de café, de sueur et de poussière se mélangeaient, m’étourdissant.

Je resserrai ma prise sur la poignée de ma valise. Une enclume, cette foutue valise. J’avais voulu emporter ma chambre entière, comme si ça allait m’éviter le mal du pays. Résultat : je me sentais écrasée par mon propre bagage.

Je suivis les panneaux “Sortie”, mais chaque flèche menait vers un nouveau couloir bondé. Des gens me bousculaient sans s’excuser. Mon cœur battait la chamade. Chez moi, la gare c’était deux quais et un kiosque à journaux. Ici, j’avais l’impression d’avoir atterri dans une fourmilière géante.

Un instant, je pensai au métro. Je descendis l’escalator, et là, vision d’horreur : une vague compacte de Parisiens se pressait comme si leur vie en dépendait. Ils fonçaient, casque sur les oreilles, yeux rivés au sol, prêts à m’écraser. J’ai reculé aussitôt. Pas question de finir étalée sur le quai dès mon premier jour.

Alors j’ai levé la main et héler un taxi, résignée.

— Rue de Lisbonne, s’il vous plaît, dis-je en tendant le papier qu’Emma m’avait griffonné.

Le chauffeur, moustache fournie et accent parisien à couper au couteau, hocha la tête.

— Ça roule.

Je me suis laissée tomber contre le dossier, la joue collée à la vitre. Paris défilait sous mes yeux. Les immeubles haussmanniens alignés comme des soldats, les terrasses bondées, les voitures qui klaxonnaient pour rien. Je n’étais pas sûre d’aimer. Tout allait trop vite ici. Moi, je venais d’une petite ville où on connaissait le prénom de la boulangère et où on pouvait traverser la route sans craindre de mourir.

Mais une pensée me réchauffa le cœur : Paul.

Je l’imaginais déjà m’attendant avec son sourire rassurant. Paul, c’était le frère d’Emma, et je l’adorais. Gentil, serviable, incapable de faire de mal à une mouche. Je me souvenais de lui quand on était ados : toujours à défendre les plus faibles, toujours à calmer les disputes. Rien à voir avec… lui.

Rien à voir avec Noah.

Je chassai aussitôt ce prénom de ma tête. Pas question de gâcher ma bonne humeur. J’allais vivre avec Paul, et ça allait être parfait.

— Voilà, mademoiselle, annonça le chauffeur.

Le taxi s’arrêta devant un bel immeuble en pierre claire, avec une porte cochère imposante. Je payai, tirai ma valise tant bien que mal, et cherchai la conciergerie. Une petite plaque “Loge” était vissée près de la porte.

Je toquai.

La porte s’ouvrit brusquement sur un homme massif, la cinquantaine, une chemise tirant dangereusement sur ses boutons. Son visage rouge et suant brillait sous la lumière du néon. Ses yeux porcins me détaillèrent sans gêne.

— Oui ? grommela-t-il.

Je me raclai la gorge.

— Bonjour… Je viens récupérer les clés de l’appartement de monsieur Decourcel.

Il me fixa comme si je venais de lui annoncer une hérésie.

— Et qu’est-ce que vous allez foutre là-bas ?

Charmant. J’inspirai profondément pour ne pas envoyer ma valise dans sa tronche.

— J’y emménage. Paul m’attend.

Ses sourcils se froncèrent.

— Paul ?

— Oui, Paul Decourcel, répétai-je, le cœur battant.

Le concierge me toisa encore quelques secondes. Puis ses lèvres s’étirèrent en une grimace étrange, presque un rictus.

— Paul… hein ?

— Oui, Paul, insistai-je, la voix plus sèche que je ne l’aurais voulu.

Il se gratta la nuque, sortit un trousseau de clés et me le tendit sans me lâcher des yeux.

— Très bien… sixième étage. L’ascenseur est à gauche. Si vous avez besoin, je suis là.

Sa façon de le dire me fit frissonner. Comme si son aide allait forcément me coûter cher.

— Merci, mais ça ira, répliquai-je en forçant un sourire.

Il ne répondit pas. Il referma la porte de sa loge avec fracas.

Je soufflai, serrant les clés dans ma main.

— Génial, Tessa, murmurai-je. Bienvenue à Paris.

Je tirai ma valise jusqu’à l’ascenseur. L’engin grinça en montant, interminable. Mon cœur battait de plus en plus vite. Dans quelques minutes, j’allais retrouver Paul. Mon coloc. Mon repère.

Tout allait bien se passer.

Enfin, je l'espérais.

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