Tessa
Je me laissai tomber de tout mon poids sur ma valise. La fermeture éclair grinça, prête à rendre l’âme. Trois heures que je bataillais avec ce foutu monstre en tissu, et il refusait toujours de fermer. Forcément, j’avais voulu emporter la moitié de ma chambre. Ok… peut-être les trois quarts. Mais qui pouvait voyager léger quand on quittait sa famille pour deux ans ?
Je levai les yeux vers le plafond et laissai échapper un rire nerveux.
— Voilà, Paris, j’arrive…
Mon cœur battait si vite que j’avais l’impression d’avoir couru un marathon. Depuis ce matin, tout le monde me tournait autour.
Hugo, mon grand frère, avait encore tenté de me convaincre de rester : « Une fille comme toi, à Paris ? Tu vas te faire bouffer ! »
Toujours protecteur, toujours paternaliste.
Max et Louis n’étaient pas mieux : l’un passait son temps à me charrier, l’autre à fouiller ma valise “au cas où j’oubliais quelque chose”.
Et puis il y avait Anaïs, ma petite sœur. La seule avec qui je pouvais vraiment être moi. Elle pleurait dans l’escalier, persuadée que je l’abandonnais.
Je l’avais serrée contre moi, mes bras autour de ses épaules frêles.
— Je pars pas pour toujours, tu sais. Je reviens aux vacances, et tu pourras venir me voir.
Mais ses larmes avaient eu raison de ma façade. J’avais senti ma gorge se nouer.
En vrai, je partais pas juste pour les études. Je fuyais. Je fuyais cette année étouffante, cette relation toxique qui m’avait laissée exsangue.
Je fermai les yeux un instant. Son visage s’imposa à moi. Mon ex.
Il ne m’avait jamais frappée, non.
Mais ses mots… Dieu, ses mots avaient été pires que des coups.
Chaque remarque, chaque pique, c’était une lame plantée droit dans ma poitrine.
« T’es folle, Tessa. T’es incapable de tenir en place. T’es une gamine hyperactive. »
Au début, je m’étais dit qu’il avait raison, que je devais changer. J’ai cru qu’il finirait par m’aimer vraiment si je devenais plus calme, plus lisse. Mais au lieu de ça, je me suis perdue.
On avait fini par vivre ensemble, un an durant. Un an de trop. Lui, c’était juste un pion rencontré au lycée, un gars banal avec de grands rêves et zéro courage. Il répétait partout qu’il voulait devenir policier, mais il avait raté ses examens trois fois. Trois. Aujourd’hui, il passait ses journées à ranger des perceuses et des pots de peinture dans un magasin de bricolage, en se persuadant qu’il valait mieux que les autres.
Et moi ? Moi j’avais arrêté mes études pendant ce temps, comme une idiote, juste pour l’accompagner, pour l’encourager. J’avais mis ma vie en pause pour lui, pendant que lui écrasait la mienne sous ses critiques.
Il n’avait pas besoin de poings pour être violent. Ses mots suffisaient : chaque remarque, chaque pique était une claque invisible. Je n’étais jamais assez bien, jamais assez calme, jamais assez posée. Il voulait que je me taise, que je disparaisse derrière lui.
Et le pire ? Je savais qu’il n’avait pas dit son dernier mot. Le jour où il déciderait de “me récupérer”, ce ne serait pas par amour. Ce serait par égo. Et là, il deviendrait dangereux
Aujourd’hui, je n’avais plus envie de m’excuser d’être moi.
— Tant mieux, soufflai-je en tirant de toutes mes forces sur la fermeture. Plutôt tornade que fantôme.
La valise céda enfin. Victoire.
Je jetai un dernier regard autour de moi. Ma chambre. Les posters, les bibelots, les photos scotchées au mur. Chaque image était un morceau de moi. Mes frères déguisés à Noël, Anaïs en robe de princesse… Et puis cette photo que j’aurais dû brûler depuis longtemps. Moi, deux ans plus jeune, souriante, collée à un garçon brun aux yeux sombres.
Noah.
Je détournai le regard comme si la photo pouvait me brûler les doigts. Pas question de repenser à lui. Pas question de rouvrir cette blessure-là.
— Tessa ! Le taxi ! cria ma mère depuis l’entrée.
Je pris une grande inspiration, attrapai ma valise et manquai de me casser le dos. Bien sûr. Pourquoi je voyageais toujours comme si je déménageais la moitié de la planète ?
En bas de l’escalier, ma mère agitait un mouchoir comme si je partais au bout du monde. Mes frères me regardaient avec cet air sérieux qui m’agaçait et me touchait à la fois.
a Et Anaïs… ma petite Anaïs pleurait encore.
— Hé, souris un peu, lançai-je en essayant de lui faire une grimace.
Mais mes yeux me piquaient déjà.
Je montai dans le taxi, fermai la portière d’un coup sec et soufflai comme si je venais d’échapper à un piège. Le chauffeur me jeta un coup d’œil dans le rétro.
— Première fois à Paris ?
Je haussai les épaules.
— Première fois pour y rester.
Il hocha la tête et démarra. Moi, je collai mon front contre la vitre, regardant défiler les rues de ma ville natale comme si je les voyais pour la dernière fois.
Mon ventre se serra. Dans quelques heures, je serai à Paris.
Dans quelques heures, je partagerai un appartement avec Paul, le frère d’Emma.
Du moins… c’est ce que je croyais.
TESSAL’alarme de mon portable sonna à six heures pile. Je sursautai, me jetai sur mon téléphone pour couper le vacarme, et faillis m’étaler de tout mon long en butant contre une chaussure qui traînait au milieu de la chambre.— Putain… Le mot m’échappa, plus fort que la sonnerie elle-même. Je coupai l’alarme d’un geste sec, les doigts crispés sur l’écran, et restai immobile quelques secondes, à l’écoute. Rien. Silence total.Un silence lourd, presque oppressant. Comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.Je tirai les rideaux. Les premiers rayons du soleil envahirent la pièce, dessinant des ombres pâles sur le parquet. L’air déjà chaud me donna l’impression d’être enfermée dans un four. Septembre à Paris. Rien à voir avec les matins frais de ma campagne. Ici, la ville s’imposait, étouffante, saturée de chaleur et de bruit latent.Je fouillai dans ma valise, les gestes encore engourdis, pour attraper ma tenue de sport. Le tissu froid du short et du débardeur me glaça les doig
NoahBérénice, c’était le calme dans le chaos. La seconde meilleure amie de Tessa, celle qui ne faisait jamais de vagues mais qui savait toujours où poser les mots, ou les silences. Douce, patiente, rassurante — une sorte de refuge ambulant. Avec elle, Tessa se sentait safe. Pas besoin de jouer un rôle, pas besoin de se défendre.Physiquement, Bérénice avait ce charme voluptueux qui ne cherchait pas à séduire, mais qui captait les regards malgré elle. Une blonde aux cheveux mi-longs, souvent lâchés en vagues naturelles, avec cette couleur entre le miel et le sable. Ses yeux turquoise, clairs comme une mer d’été, semblaient toujours poser des questions sans jamais juger. Sa peau était pâle, douce, presque diaphane, et ses traits avaient quelque chose de paisible, comme si elle avait été dessinée pour apaiser.Elle avait un corps généreux, assumé sans provocation. Une poitrine pleine, qui dessinait sa silhouette avec douceur. Des hanches rondes, un fessier ferme et bien proportionné, un
NoahJe refermai la porte de ma chambre d’un coup d’épaule, lessivé. La journée avait été une merde interminable — entre les comptes du casino qui ne collaient pas, un fournisseur qui menaçait de tout plaquer, et un client VIP qui m'avait emmerdé pour un mini bar pas assez garnie parce que “c’est comme ça à Monaco”. J’avais déjà pris ma douche à l’hôtel, entre deux crises, alors il ne me restait plus qu’à m’écrouler dans mon lit comme un sac de sable.En temps normal, je n’étais là que le week-end, quand j’avais envie de fuir l’hôtel et ses obligations. Parfois, je disparaissais carrément, direction un palace à Deauville ou un chalet en Suisse, avec Béatrice ou une autre. Tout dépendait de mon humeur. Ou de ma capacité à tenir debout.Je balançai ma chemise par terre, gardai mon boxer, et m’affalai sur les draps frais. Trop frais. L’appart surchauffait, même avec la fenêtre grande ouverte sur le balcon. Septembre à Paris, c’était ça : une chaleur lourde, collante, qui vous rappelait q
TessaLa porte d’entrée claqua. Joris avait marmonné un “à demain” et j’avais cru qu’il s’en allait enfin, lui aussi.Le silence tomba quelques secondes, puis un grésillement discret me parvint : la télé, allumée en sourdine.Je fronçai les sourcils.Il était encore là.Je restai assise sur mon lit, immobile, attentive. Peut-être qu’il finirait par filer ? Mais non : j’entendis le canapé grincer, des pas lourds résonner sur le parquet.Il allait sûrement dormir ici.Et moi, avec toute cette eau avalée et ma vessie en rébellion, je n’en pouvais plus. J’avais besoin des toilettes. J’ouvris ma porte et sortis sur la pointe des pieds.Mais le parquet ne pardonne pas : ça couine, même quand on n’est pas lourde.Comme par hasard, il était là. En plein milieu du couloir.— Tu as besoin de quelque chose ? demanda Noah.Je pris une inspiration, crispée.— Non.Un silence, puis il s’avança encore. Il s’arrêta juste devant moi, imposant.— La salle de bain est juste là, au cas où, dit-il simplem
TessaJe franchis le seuil sans un mot, le menton haut, comme si je n’avais pas passé deux heures à poireauter dans le couloir.Joris s’écarta, toujours hilare, ses éclats de rire résonnant comme une insulte dans l’appartement surchauffé. Je l’ignorai, mes yeux glissant sur lui comme sur un meuble encombrant. Noah, adossé au mur près de la porte, la referma derrière moi avec un claquement sec qui me fit sursauter.— Tu veux boire quelque chose ? lança-t-il, sa voix teintée d’une provocation tranquille, comme s’il testait jusqu’où il pouvait pousser ma patience.— Je veux du silence, répondis-je, les dents serrées, sentant encore l’humiliation s’accrocher à chaque fibre de mon corps.Il haussa les épaules, un sourire en coin, et retourna s’affaler sur le canapé, reprenant sa manette comme si je n’étais qu’un courant d’air. Le salon empestait la pizza froide et la bière, vestiges d’une soirée improvisée entre mecs. Joris s’installa à côté de lui, mais son rire s’était éteint, remplacé
Tessa Quand je franchis la porte cochère de l’immeuble, mon portable vibra. Anaïs m’avait envoyé un message : “Tu es bien arrivée ? Tu me manques déjà.”Je serrai les dents pour ne pas pleurer.Je pris une photo rapide de l’entrée, du tapis rouge élimé, et lui répondis : “Oui ma chérie, tout va bien. Je te raconterai demain.”L’ascenseur grinça en montant. J’avais hâte de me glisser sous mes draps et de fermer les yeux.Sauf que.En fouillant dans mon sac, je sentis mon cœur s’arrêter.Pas de clés.Rien.Je fouillai une fois, deux fois, trois fois. Je renversai presque le contenu sur le sol du couloir. Mon téléphone, ma bouteille d’eau, mon carnet, mon portefeuille… mais pas ce foutu trousseau.Je dus l’avoir laissé sur la table de nuit en partant.L’angoisse me saisit à la gorge. J’étais enfermée dehors. Comme une idiote.Je m’approchai de la porte, collai mon oreille.Un bruit. Des voix. Un éclat de rire.La télé ? Non. Plus rythmé. Plus constant. Une manette, des pas rapides. Des