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La journée avait été un torrent, un déluge de tensions silencieuses et de non-dits assourdissants. Après la découverte des photos dans la pièce d'archives, Elara avait erré dans l'appartement de Guy – un penthouse épuré et froid qui lui servait parfois de bureau secondaire – comme une âme en peine. Chaque bruit de clé dans la serrure, chaque pas dans le couloir, lui faisait sursauter. Elle voyait l'image de l'homme mort se superposer au visage impassible de Guy, et le contraste la rendait folle. Lui, de son côté, était d'une nervositè contenue. Il avait passé la journée à régler des « problèmes » par téléphone, la voix plus coupante que d'habitude. Il sentait le changement en elle, cette barrière de peur qui s'était brutalement dressée entre eux. Il l'observait à la dérobée, son regard sombre trahissant une frustration grandissante. Il avait cru l'avoir amenée au bord de son monde, prête à accepter l'ombre avec la lumière, et la voilà qui tremblait comme une feuille, sur le point de s'enfuir. La nuit était tombée, enveloppant la ville d'un linceul de néons. Ils se trouvaient dans le grand salon, un espace si vaste et si minimaliste que les moindres sons y résonnaient. Elara, adossée au bar de marbre, serrait un verre d'eau entre ses mains pour les empêcher de trembler. Guy faisait les cent pas, une énergie brute émanant de lui comme une chaleur radioactive. — « Vous me regardez comme si j'étais un monstre, Elara », lança-t-il soudain, brisant un silence qui durait depuis une heure. Sa voix était rauque, éraillée par la fatigue et quelque chose de plus sombre. —« Je ne... » Elle chercha ses mots, le cœur battant. « Je ne sais pas ce que vous êtes. » Il s'arrêta net, se tournant vers elle. Dans la pénombre, son visage était une sculpture de tensions contradictoires. —« Je suis l'homme qui vous a offert plus que vous n'auriez jamais osé rêver. L'homme qui vous protège. » —« Me protéger de quoi ? » La question jaillit, chargée de toute la panique qu'elle refoulait. « De vous ? Des autres ? De ce 'nettoyage' dont vous parlez ? De ces hommes dans les ruelles ? » Les mots étaient lâchés. Un silence de mort s'abattit sur la pièce. Les yeux de Guy se rétrécirent, devenant deux fentes dangereuses. —« Vous avez fouillé. » —« J'ai vu », corrigea-t-elle, un semblant de courage désespéré dans la voix. Il traversa la pièce vers elle d'un pas lent, menaçant. Elle se raidit, s'attendant à tout. À de la colère. De la violence, peut-être. Mais quand il fut face à elle, il ne fit que poser les mains de chaque côté de son corps, emprisonnant elle contre le bar. Son corps dégageait une chaleur animale, son parfum boisé et épicé, habituellement si contrôlé, était maintenant sauvage, presque primal. — « Et qu'avez-vous vu, Elara ? » chuchota-t-il, son souffle chaud sur son visage. « Avez-vous vu un monstre ? Ou un homme qui fait ce qui est nécessaire pour survivre dans une jungle ? Pour protéger ce qui est à lui ? » Elle voulait détourner le regard, mais elle en était incapable. Ses yeux, d'un gris orageux, la retenaient captive. Il y avait en eux une tempête de sentiments qu'elle ne lui connaissait pas : de la colère, oui, mais aussi de la frustration, une lassitude immense, et quelque chose qui ressemblait à de la vulnérabilité. — « J'ai peur », avoua-t-elle dans un souffle, un aveu qui lui échappa malgré elle. Une expression étrange, presque douloureuse, traversa son visage. —« Je le sais. » Sa voix se brisa. « Et ça me tue. Parce que la seule chose dont j'ai peur, moi, c'est de vous voir partir. » C'était la confession la plus directe, la plus brute qu'il lui ait jamais faite. Elle détonnait, incongrue, dans la bouche de cet homme de pouvoir et de secrets. Elle voyait la lutte en lui, le conflit entre le seigneur impitoyable de son empire et l'homme qui se tenait devant elle, déchiré par un sentiment qu'il ne maîtrisait pas. Et c'est à cet instant, dans ce chaos émotionnel, qu'il se laissa emporter. Une main quitta le comptoir pour se glisser dans sa nuque, les doigts s'enfonçant dans ses cheveux avec une urgence désespérée. Il ne demanda pas la permission. Il n'y eut pas d'hésitation. Il pencha la tête et capta ses lèvres. Ce ne fut pas un baiser tendre. Ce fut un assaut, une revendication, une tentative désespérée de sceller par le contact ce que les mots ne pouvaient exprimer. C'était le goût salé de leurs larmes refoulées, la fureur de leurs doutes, l'écho métallique de la peur. C'était un chaos sensuel où se mêlaient l'interdit, le danger et une attraction si fondamentale qu'elle en était dévastatrice. Elara gémit, un son étouffé de surprise et de protestation. Ses mains se levèrent pour le repousser, ses paumes se posèrent sur sa poitrine, sentant les muscles durs et le cœur qui battait à un rythme effréné sous le tissu de sa chemise. Pousser. Elle devait pousser. Mais elle ne le fit pas. Parce que dans ce baiser, elle trouva enfin la réponse à la question qui la hantait. Elle avait besoin de mettre un nom sur ce qu'elle ressentait pour lui. Était-ce de la peur ? De la haine ? De la fascination ? C'était tout cela à la fois, mais c'était plus. C'était une connexion toxique et irréfutable, un aimant qui l'attirait vers l'abîme en même temps qu'il la faisait se sentir vivante pour la première fois. Son corps, plus honnête que son esprit en déroute, répondit au sien. Ses doigts, au lieu de le repousser, s'accrochèrent à sa chemise, s'y enfouirent, cherchant une prise dans le naufrage. Elle s'ouvrit à lui, rendant son baiser avec une ferveur sauvage qui les surprit tous les deux. C'était un ancre dans la tempête, un "oui" primal là où sa raison ne savait que crier "non". C'était la manière la plus primitive de nommer l'innommable : ce mélange de terreur et de désir, cette addiction naissante pour le poison qui portait le nom de Guy Marchand. Quand ils se séparèrent, essoufflés, le monde semblait avoir basculé sur son axe. Ils restèrent front contre front, les respirations haletantes mêlées dans l'air chargé d'électricité. La peur était toujours là, tapie dans l'ombre. Les photos, les menaces, tout était encore réel. Mais quelque chose avait changé. Une ligne avait été franchie. Ils n'étaient plus le patron et l'employée, ni même le protecteur et la protégée. Ils étaient deux êtres perdus dans la même tempête, liés par un baiser qui était à la fois une confession, une reddition et le début de quelque chose d'infiniment plus dangereux que tout ce qu'elle avait pu découvrir dans une pièce d'archives. Elara regarda dans les yeux de Guy, et pour la première fois, elle n'y vit pas seulement l'ombre. Elle y vit le reflet de son propre chaos. Et elle sut qu'il n'y avait plus de retour en arrière possible.• ஜ • ❈ • ஜ • La décision était prise. Pas sous l’impulsion d’un coup de tête, non. C’était venu lentement, comme une brûlure qu’on finit par ne plus pouvoir ignorer. Guy Marchand n’avait pas dormi depuis trois nuits. De sa tour de verre, il regardait la ville s’étendre jusqu’à l’horizon, noyée dans une brume grise. Son empire, son œuvre. Et maintenant, son fardeau. Il allait tout séparer. Couper net entre ce qui pouvait survivre à la lumière et ce qui devait rester enfoui à jamais. Les parfumeries de luxe, les investissements propres, tout ce qui brillait d’une apparente respectabilité d’un côté. Et de l’autre, les ramifications sombres, les circuits illégaux, les dettes et les deals scellés dans des sous-sols humides. Ce qu’il appelait dans sa tête le “grand nettoyage” ressemblait davantage à une amputation. Il savait qu’il allait perdre beaucoup des millions, des appuis, des années d’influence. Et surtout, il allait se faire des ennemis. Les actionnaires ne supporteraient pas
• ஜ • ❈ • ஜ •Le trajet jusqu’au pied de la tour de Guy Marchand fut un brouillard. Elara marchait, poussée par une force qui semblait émaner des profondeurs de son être, une résolution née des cendres de sa peur et alimentée par les mots francs de Chloé. Chaque pas sur le trottoir froid résonnait comme un battement de cœur précipité. Elle avait répété les mots dans sa tête, une déclaration, un ultimatum, une prière. Elle était prête. Elle allait lui dire qu’elle l’aimait, mais qu’elle ne pouvait plus vivre dans l’ombre. Qu’il devait choisir. Elle ou son empire de ténèbres. Qu’il devait trouver un moyen, inventer un moyen, de les protéger tous les deux, vraiment, ou alors lui dire adieu pour toujours.La porte tournante en laiton et verre l’aspira. Le hall immense, avec son marbre luisant et ses murs froids, lui parut soudain hostile. L’ascenseur qui la porta vers les sommets fut une capsule silencieuse et oppressante. Elle sentit so
• ஜ • ❈ • ஜ •Une semaine. Sept jours. Cent soixante-huit heures. Une éternité, et pourtant, le temps semblait s'être figé dans l'ambre de leur douleur. Pour Guy, chaque jour était une réplique parfaite du précédent : un lever difficile, un combat perdu d'avance contre les souvenirs, une journée passée à diriger un empire fantôme, et une nuit à affronter le silence assourdissant de son penthouse. Il avait annulé toutes ses réunions en présentiel, dirigeant ses affaires depuis son bureau, terrifié à l'idée de croiser Elara par hasard dans la rue. Son amour pour elle était devenu une forteresse dans laquelle il s'était lui-même emprisonné.Au Velours Pourpre, Elara était devenue un spectre encore plus effrayant. Son efficacité était devenue mécanique, son sourire un rictus figé. Elle ne parlait plus, sauf pour le service. Elle mangeait à peine, repoussant les plats que Marius lui préparait avec une inquiétude grandissante. La nui
• ஜ • ❈ • ஜ • Le jour se leva sur la ville comme une lame froide, grise et indifférente. Pour Guy Marchand, il n'y avait plus de nuance entre le jour et la nuit, seulement des variations d'une même douleur sourde. Son penthouse, autrefois symbole de son pouvoir, n'était plus qu'une cage dorée où chaque objet, chaque silence, criait le nom d'Elara. Il avait pris une décision. La seule qui ait du sens, la seule qui soit digne de l'amour qu'il lui portait : il devait la laisser partir. Respecter son choix. C'était la meilleure solution, la seule solution. Une vérité logique, implacable, qu'il se répétait comme un mantra dans le vide de son crâne. Ce matin-là, il se leva avec une détermination de fer. Il irait au bureau. Il se plongerait dans les dossiers, les chiffres, les stratégies. Il reconstruirait, non pas un empire, mais une existence qui ne dépende pas d'elle. Il devait apprendre à vivre sans être le centre de gravité de son univers. C'était un défi plus grand que n'importe
• ஜ • ❈ • ஜ •La cloche au-dessus de la porte du Velours Pourpre tinta d'un son étrangement doux, presque timide, quand Elara poussa la lourde porte de chêne. L'odeur familière un mélange de cire pour les meubles, de café frais et du plat du jour l'enveloppa comme une couverture usée. C'était l'odeur de l'avant. Avant Guy Marchand. Avant le penthouse, les parfums chers et l'ombre métallique de la peur.Marius était derrière le bar, en train de polir un verre à pied avec la concentration d'un moine copiste. Il leva les yeux et la vit. Il n'eut pas un geste brusque, pas une exclamation. Son visage, buriné par les années et les secrets, se fendit simplement d'une infinie tristesse. Il posa délicatement le verre et ouvrit les bras.Ce fut ce silence accueillant, cette absence de questions, qui brisa les derniers remparts en Elara. Elle se jeta contre lui, enfouissant son visage dans le tissu rassurant de son gilet, et un seul
• ஜ • ❈ • ஜ • Le trajet jusqu'au commissariat s'était déroulé dans un vacarme étouffé. Les sirènes hurlantes semblaient lointaines à Guy Marchand, noyées par le tumulte dans sa tête. Les menottes lui sciaient les poignets, mais la douleur était une note distante comparée à l'agonie de son âme. Elara. Le dernier regard qu'elle lui avait lancé, un mélange de terreur, de soulagement et de quelque chose de brisé, lui brûlait la rétine. Dans la souricière grise et puante du poste, on le poussa dans une cellule de dégrisement. L'atmosphère sentait la sueur, le désinfectant et le désespoir. Il s'effondra sur le banc en ciment, enterrant son visage dans ses mains. C'était fini. Luca, son frère d'armes, l'avait livré. Son empire allait s'effondrer comme un château de cartes, et Elara... Elara était perdue pour lui. Il avait tout sacrifié pour la sauver, et en la sauvant, il l'avait précipitée dans un cauchemar dont elle ne se remettrait peut-être jamais. Il avait