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chapitre : 6

Author: Heart flower
last update Last Updated: 2025-10-12 20:51:02

• ஜ • ❈ • ஜ •

La peur était devenue la compagne constante d'Elara, une ombre silencieuse qui se lovait dans son ventre et lui serrait la gorge chaque fois que la porte du restaurant s'ouvrait. Pourtant, contre toute raison, contre les mises en garde répétées de Marius, quelque chose d'autre s'était insinué en elle : une fascination malsaine, irraisonnée, pour l'homme qui la traquait avec une élégance si terrifiante.

Guy Marchand avait changé de tactique. Il ne se contentait plus de questions détachées. Il venait maintenant en fin de soirée, lorsque le Velours Pourpre était presque vide, et s'installait au bar. Il ne commandait plus de plats sophistiqués, mais un simple scotch, un seul, qu'il faisait durer des heures. Et il parlait. Non pas à elle, dans un premier temps, mais devant elle, comme si elle faisait partie du décor, un meuble auquel on pourrait parfois confier une pensée.

— « Le monde des affaires est une jungle, Marius, disait-il en tournant son verre entre ses doigts. On croit dominer la chaîne alimentaire, et l'on découvre soudain un prédateur plus grand que soi. »

Elara, qui astiquait des verres à quelques mètres, sentait son dos se raidir. Était-ce une confidence ? Une menace déguisée ? Elle n'osait pas regarder, mais elle écoutait, captant chaque intonation, chaque pause significative.

Un soir, Marius étant retenu aux cuisines par une urgence, Marchand se tourna enfin directement vers elle.

—« Vous devez trouver ces conversations bien cyniques, Elara. »

Elle sursauta, un verre glissant presque entre ses doigts humides.

—« Je ne me permets pas de juger les conversations des clients, Monsieur Marchand. »

Un sourire fendu comme une lame entailla son visage.

—« Toujours aussi professionnelle. C'est une qualité. Mais même les murs ont des oreilles, et je suppose qu'ils ont aussi des pensées. »

Il laissa le silence s'installer, un silence lourd, qu'il semblait maîtriser comme un instrument.

—« J'ai commencé comme vous, vous savez. Plus jeune. Pas dans la restauration, mais dans des endroits où il fallait se faire petit, invisible. Où il fallait sourire même quand on vous méprisait. »

Elara cessa de frotter le verre. C'était la première fois qu'il évoquait un passé qui n'était pas fait que de succès. C'était une faille, minuscule, dans son armure d'homme tout-puissant. Et c'était terriblement dangereux, car cela le rendait humain.

— « Tout le monde a un commencement », murmura-t-elle, sans savoir pourquoi elle répondait.

Son regard s'intensifia, comme s'il venait de gagner une petite victoire.

—« Exactement. Le tout, c'est de choisir sa fin. »

Marius revint à ce moment-là, le visage fermé. Il avait entendu. Son regard croisa celui d'Elara, chargé d'un avertissement muet. Ne tombez pas dans le panneau.

Mais le piège était en train de se refermer, et il était doublé de velours. Les visites de Marchand devinrent des rendez-vous secrets qu'Elara anticipait avec un mélange nauséeux d'appréhension et d'excitation. Il ne lui offrait rien, ne la complimentait pas de manière flagrante. Il engageait un jeu délicat et pervers de confidences partielles, de regards prolongés, de silences éloquents.

Il apprit ainsi qu'elle aimait la poésie, parce qu'il l'avait vue glisser un livre de Prévert dans son sac. La fois suivante, il cita, comme en passant, un vers : « Qui est-tu toi qui me parles dans le noir ? » Elle avait senti un afflux de sang à ses joues, un vertige. Il l'observait.

Un vent de pluie battait contre les vitres ce soir-là. Ils étaient seuls, Marius ayant disparu dans son bureau, l'air résigné.

—« La peur est une réaction saine, Elara, dit soudain Marchand, sans préambule. Elle nous garde en vie. Mais elle peut aussi nous empêcher de vivre. »

Elle leva les yeux vers lui, incapable de détourner le regard cette fois. Ses yeux gris n'étaient pas froids, en cet instant. Ils étaient... intenses, absorbants.

—« Comment fait-on la différence ? » demanda-t-elle, la voix plus basse qu'elle ne l'aurait voulu.

Il se pencha légèrement, et l'espace entre eux sembla se rétrécir, chargé d'une électricité presque palpable.

—« On écoute son instinct. Pas sa peur, son instinct. Il vous dit, en ce moment même, si je suis un danger pour vous. »

Et c'était là le cœur du problème. Son instinct lui hurlait de fuir, de se cacher, de retrouver l'anonymat protecteur de son petit appartement. Mais une autre voix, plus sourde, plus ancienne, lui chuchotait que cet homme, dans toute son ambiguïté terrifiante, était la clé d'une vie qui dépasserait enfin les murs étouffants du Velours Pourpre.

— « Mon instinct me dit d'être prudente », répondit-elle, retrouvant un fragile contrôle.

Il se redressa, un éclat d'approbation dans le regard.

—« Bonne réponse. »

Il posa un billet plié sur le comptoir, bien plus que le prix de son verre.

—« La prudence est la compagne de la sagesse. Mais même les sages doivent un jour choisir un camp. Bonsoir, Elara. »

Elle le regarda partir, la silhouette haute et droite qui disparaissait dans la nuit pluvieuse. Lorsqu'elle revint au comptoir pour prendre le billet, elle découvrit qu'il avait glissé, en dessous, une carte de visite. Simple, en papier épais. Juste un nom : Guy Marchand. Et un numéro de téléphone personnel.

Elle la prit comme si elle était brûlante. C'était une frontière franchie. Une invitation explicite.

Marius sortit de l'ombre, l'air vieilli.

—« Elara... »

—« Je sais, Marius, » coupa-t-elle, serrant la carte dans sa main si fort que le papier laissa une marque dans sa paume. « Je sais. »

Mais en rangeant la salle, son regard se perdit sur la ville, de l'autre côté de la baie vitrée. Les lumières tremblotaient dans la pluie, comme des appels lointains. La peur était toujours là, une compagne fidèle. Mais elle était maintenant en concurrence avec autre chose : une curiosité brûlante, un désir insensé de voir jusqu'où ce jeu pourrait les mener.

Elle avait passé sa vie à se cacher, à se faire petite, à étouffer ses émotions pour ne pas déranger, pour survivre. Pour la première fois, quelqu'un la voyait. Vraiment. Et même si c'était le regard le plus dangereux qui soit, il était aussi, terriblement, enivrant. La proximité était là, indéniable. Et en dépit de toutes les alarmes qui retentissaient dans sa tête, Elara savait qu'elle ne reculerait plus.

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