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chapitre : 5

Author: Heart flower
last update Last Updated: 2025-10-12 20:35:00

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Les jours qui suivirent le dîner privé furent étrangement calmes. Le Velours Pourpre avait retrouvé son rythme habituel, sa routine feutrée de services matinaux et de dîners élégants. Pourtant, pour Elara, quelque chose avait changé. L'air même qu'elle respirait dans la salle lui semblait différent, chargé d'une attente sourde, comme si l'établissement retenait son souffle en prévision d'un retour.

Il se produisit une semaine plus tard. Alors qu'elle présentait la carte des vins à un couple de touristes, la porte d'entrée s'ouvrit sur la silhouette familièrement imposante de Guy Marchand. Il n'était pas accompagné de son escorte habituelle, et son costume, bien que d'une coupe impeccable, était d'un bleu nuit plus discret que le noir anthracite de sa première visite. Son entrée, pourtant, produisit le même effet : un frémissement presque imperceptible parcourut la salle, un silence subit parmi le personnel.

Il serra la main de Marius avec une familiarité qui semblait forcée, trop appuyée.

—« Marius ! Je passais dans le quartier, j'ai pensé à notre conversation sur ce millésime. »

—« Guy ! Toujours un plaisir », répondit Marius, dont le sourire ne parvenait pas à masquer une légère tension autour des yeux.

Elara, le dos tourné, sentit son pouls s'accélérer. Elle s'efforça de concentrer son attention sur les touristes, mais chaque fibre de son être était consciente de la présence de l'homme qui s'installait maintenant au bar, tournant le dos à la salle comme pour observer son reflet dans le miroir aux lumières dorées.

Elle espérait qu'il ne l'avait pas remarquée. Cet espoir fut de courte durée. Alors qu'elle se dirigeait vers les cuisines, une commande en main, la voix grave de Marius l'interpella.

—« Elara, pourriez-vous apporter un verre d'eau de Seltz à M. Marchand ? »

Elle se figea une seconde, puis acquiesça d'un hochement de tête. En approchant du bar, elle sentit le regard de Guy Marchand sur elle, pesant et analytique. Elle posa le verre devant lui sans un mot, évitant soigneusement son regard.

—« Merci », dit-il simplement.

Elle s'apprêtait à repartir lorsqu'il ajouta, comme en se ravisant :

—« Elara, n'est-ce pas ? Un joli prénom. D'origine grecque, si je ne m'abuse ? »

La surprise la cloua sur place. Il se souvenait de son nom. Et il en connaissait l'étymologie.

—« Oui, Monsieur », répondit-elle, forcée de lever les yeux vers lui.

Son regard gris la transperça, et un sourire énigmatique joua sur ses lèvres.

—« Cela signifie 'éclat du soleil'. C'est plutôt ironique, pour quelqu'un qui travaille dans la pénombre d'un restaurant. »

Le commentaire, à la fois compliment et provocation, la déstabilisant. Elle sentit une chaleur lui monter aux joues.

—« Je suppose », murmura-t-elle avant de battre en retraite, le cœur battant.

Cette brève interaction fut la première d'une série. Guy Marchand revint deux jours plus tard, puis de nouveau à la fin de la semaine. Chaque fois, le prétexte était ténu : goûter un nouvel apéritif, discuter d'un investissement potentiel avec Marius, ou simplement, comme il le disait avec désinvolture, « échapper au bruit de la ville ».

Et chaque fois, il trouvait le moyen d'échanger quelques mots avec Elara. Des questions apparemment anodines, mais qui, mises bout à bout, dessinaient un intérêt inquiétant.

— « Vous habitez loin d'ici, Elara ? » lui demanda-t-il un soir où elle lui servait un cognac.

—« Non, Monsieur. Juste à quelques rues. »

—« Pratique. Le quartier est calme, la nuit ? »

Une autre fois, alors qu'elle remettait en place une chaise :

—« Vous semblez très appréciée ici. Marius dit que vous êtes son employée la plus fiable. C'est une qualité rare. »

Chaque question, chaque remarque, était délivrée avec cette même voix calme, ce même regard perçant qui semblait vouloir démonter les mécanismes de son âme. Elara répondait avec une politesse réservée, mesurant chaque mot, s'efforçant de ne rien révéler d'elle-même. Mais c'était épuisant. Elle se sentait comme un papillon épinglé sous une loupe, chaque détail de sa vie potentiellement exposé à son examen.

Marius, de son côté, devenait de plus en plus nerveux. Un après-midi, alors que le restaurant était vide, il la prit à part dans l'arrière salle.

—« Elara… » Il semblait mal à l'aise, cherchant ses mots. « Les visites de M. Marchand… Il pose beaucoup de questions. Sur le restaurant. Sur le personnel. »

—« Je m'en suis rendu compte », répondit-elle sèchement.

—« Il faut être prudente. » Son regard était sincèrement inquiet. « Guy est… un homme puissant. Il a des attentes. Il n'aime pas qu'on lui résiste. »

—« Que voulez-vous que je fasse, Marius ? » demanda-t-elle, une pointe d'exaspération dans la voix. « Il est client. Je ne peux pas refuser de lui parler. »

—« Je sais. Mais… limitez-vous au strict nécessaire. Ne lui donnez pas de raisons de s'intéresser à vous. »

Trop tard, pensa-t-elle amèrement. Il était déjà trop tard.

La tension atteignit son paroxysme un jeudi soir. Guy Marchand était venu dîner seul, chose qu'il n'avait encore jamais faite. Il avait choisi une table dans un coin, commandé un plat simple et lu sur sa tablette, semblant ignorer tout son entourage. Elara avait réussi à l'éviter toute la soirée, confinée à l'autre bout de la salle.

Alors qu'elle rangeait la dernière table, il fit signe à Marius, qui vint la trouver, le visage grave.

—« Elara, M. Marchand aimerait vous parler. »

Un froid lui parcourut l'échine.

—« À moi ? Pourquoi ? »

—« Je ne sais pas. Mais sois… sois très prudente. »

Elle s'approcha de sa table, les jambes flageolantes. Il avait rangé sa tablette et l'observait approcher, les doigts joints sous le menton.

—« Asseyez-vous, je vous prie. »

C'était un ordre, pas une invitation. Elle s'exécuta, se tenant au bord de la chaise.

—« La soirée a été bonne ? » demanda-t-il, comme s'ils étaient de vieux amis.

—« Très calme, Monsieur. »

—« Bien. » Il fit tourner le cognac dans son verre. « J'ai été impressionné par votre professionnalisme, ces dernières semaines. Vous avez une dignité qui manque à beaucoup. »

Elle ne répondit pas, attendant la suite. Elle savait qu'elle viendrait.

—« Je suis un homme qui repère les talents, Elara. Et les caractères. Vous avez les deux. Traiter ici est… un gâchis. »

Elle le regarda, interdite.

—« Je ne comprends pas. »

—« Je propose des opportunités à ceux qui les méritent. Un poste dans une de mes entreprises. Mieux rémunéré. Plus… stimulant. »

Le sous-entendu était clair. C'était bien plus qu'une offre d'emploi. C'était une invitation à entrer dans son orbite, à franchir la ligne qui séparait son monde du sien.

—« C'est… très généreux de votre part, Monsieur Marchand, balbutia-t-elle. Mais j'aime mon travail ici. Je ne suis pas à la recherche d'un changement. »

Un silence glacial s'installa. Son sourire s'effaça, laissant place à une expression neutre, bien plus effrayante.

—« Tout le monde est à la recherche d'un changement, Elara. Certains ne le savent pas encore. Réfléchissez. »

Il se leva alors, laissant quelques billets sur la table.

—« Bonsoir. »

Elara resta assise, pétrifiée, regardant sa silhouette disparaître dans la nuit. Les mots de Marius lui revinrent en mémoire : « Il n'aime pas qu'on lui résiste. »

Elle se leva, les mains tremblantes, et commença à éteindre les lumières du restaurant. Une pensée s'imposa à elle, claire et terrifiante : la curiosité de Guy Marchand n'était plus un simple jeu. C'était une traque. Et elle venait de devenir sa proie désignée. L'ombre qui rôdait autour du Velours Pourpre venait de s'incarner, et elle sentait ses doigts froids se refermer lentement autour de sa vie.

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