L’écran de son téléphone projetait une lueur froide dans l’obscurité de la chambre. Bien qu’elle savait que cette histoire était plutôt louche, Céleste se sentait bien trop au pied du mur pour refuser l’offre. Après avoir accepté la proposition, elle fixait les trois petits points qui sautillaient dans la conversation, indiquant que son interlocuteur rédigeait une réponse.
Inconnu : Nous avons préparé votre dossier. Tout est en place. Vous commencerez dans trois semaines. Son cœur battait fort. Trois semaines. Un délai ridiculement court pour infiltrer une entreprise de l’envergure d’EverCore Industries. Elle avait toujours su que son passé la rattraperait un jour, mais à ce point, elle ne s’y était pas attendue. Elle prit une inspiration lente avant de répondre. Céleste : Et quel sera mon rôle ? Une pause. Puis, enfin, la réponse apparut. Inconnu : Assistante de direction dans le département stratégique d’EverCore. Vous serez sous les ordres d’Ethan Cross. Ethan Cross. Ce nom ne lui était pas inconnu. Haut cadre influent, bras droit de Julian Vale, il faisait partie des hommes les plus redoutables de la multinationale. Obtenir un poste aussi proche du pouvoir en aussi peu de temps était une opportunité inespérée. Mais aussi un risque colossal. Céleste : Comment avez-vous fait ? Inconnu : Ne posez pas de questions inutiles. Préparez-vous. Vous vous appelez désormais Emilia Carter. Elle recula légèrement dans son fauteuil. Une fausse identité. Elle s’y attendait, mais l’entendre formulé ainsi donnait une toute autre dimension à ce qu’elle s’apprêtait à faire. Elle effaçait officiellement Céleste Aymes, l’ancienne héritière d’Elite Corp., pour devenir Emilia Carter, une parfaite inconnue. Céleste : Et si on me reconnaît ? Inconnu : Peu probable. Vous avez été discrète ces deux dernières années. Votre nom a disparu des radars. Changez légèrement votre apparence. Teintez vos cheveux, portez des lentilles si nécessaire. Le reste, nous nous en chargeons. Céleste passa une main dans ses cheveux châtains. Ils étaient longs, légèrement ondulés, une marque de fabrique qu’elle n’avait jamais voulu altérer. Mais si elle voulait réussir, elle allait devoir changer. Son regard se porta sur son reflet dans la vitre. Elle n’était plus la jeune femme insouciante d’autrefois. L’amertume et la détermination avaient creusé des ombres sur son visage. Céleste : Très bien. Où et quand récupère-t-on mes nouveaux papiers ? Inconnu : Demain. 14h. Bibliothèque centrale, étage des archives. Un livre sera laissé sur une table, “L’Art de la Guerre”. À l’intérieur, vous trouverez ce dont vous avez besoin. Elle serra les poings. Un rendez-vous anonyme, un livre contenant ses nouveaux documents… Tout ceci ressemblait à une opération digne d’un roman d’espionnage. Mais c’était bien réel. Elle hésita encore quelques secondes, puis tapa sa réponse finale. Céleste : Je serai là. Le lendemain, l’air était froid et sec lorsqu’elle pénétra dans la bibliothèque centrale. L’endroit était presque vide à cette heure de l’après-midi, seules quelques silhouettes solitaires étaient dispersées entre les rayonnages. Elle se dirigea vers l’étage des archives, son cœur battant à un rythme soutenu. Elle repéra rapidement la table indiquée. Dessus, un seul livre trônait : « L’Art de la Guerre », de Sun Tzu. Un frisson lui parcourut l’échine. Elle s’approcha, s’asseyant avec un calme feint, et feuilleta lentement l’ouvrage. À la page 147, une enveloppe brune était glissée entre les feuilles. Faisant semblant de lire, elle l’attrapa discrètement et la rangea dans son sac avant de refermer le livre. Personne ne semblait l’avoir remarquée. Elle se leva et quitta la bibliothèque d’un pas mesuré. Ce n’est qu’une fois chez elle, à l’abri des regards, qu’elle ouvrit l’enveloppe. À l’intérieur, plusieurs documents soigneusement préparés : - Un passeport au nom d’Emilia Carter, avec une nouvelle adresse. - Un contrat d’embauche officiel d’EverCore Industries, signé par un responsable RH. - Une carte d’identité d’entreprise avec sa nouvelle photo. - Un dossier détaillé sur son “nouveau” parcours professionnel : une formation en gestion d’entreprise, une spécialisation en stratégie commerciale et quelques années d’expérience dans des cabinets de consulting. Céleste examina chaque document avec minutie. Le travail était impeccable. Tout semblait authentique. Elle avait désormais une nouvelle vie. Mais ce qui attira le plus son attention fut une feuille manuscrite ajoutée à l’ensemble. « Votre premier objectif : gagner la confiance d’Ethan Cross. Il sera votre porte d’entrée vers Julian Vale. Soyez prudente. Votre mission commence maintenant. » Elle posa le papier sur la table et prit une longue inspiration. L’heure n’était plus aux doutes. Elle allait entrer dans l’arène. Les jours qui suivirent furent marqués par des préparations frénétiques. Elle ne pouvait pas se permettre d’échouer. Céleste (ou plutôt Emilia) s’enferma dans son appartement, passant des heures à étudier les pratiques d’EverCore, à mémoriser des détails sur Ethan Cross et Julian Vale. Elle se créa une routine, s'imposant des horaires stricts pour se plonger dans ses recherches. Elle commença à changer son apparence. Une nouvelle couleur de cheveux, un style vestimentaire soigneusement choisi pour refléter l’image d’une femme d’affaires compétente et sûre d’elle. Elle s’entraîna devant le miroir, pratiquant son nouveau nom, sa nouvelle personnalité. Chaque détail comptait. Le jour de son entrée au sein d’EverCore approchait. Elle avait l’impression de jouer un rôle dans une pièce de théâtre, chaque geste minutieusement chorégraphié. Mais la peur s’immisçait dans son esprit. Et si elle échouait ? Et si Ethan Cross voyait à travers son masque ? Le matin de son premier jour, elle se leva avec une détermination renouvelée. Elle enfila un tailleur noir impeccable, se regarda dans le miroir, et sourit. Emilia Carter serait forte. Elle se dirigea vers les locaux d’EverCore, le cœur battant, consciente que cette journée marquerait le début de son ascension ou de sa chute.Le message s’était affiché à l’aube, net et glaçant, sur l’écran sécurisé de son téléphone. Céleste était encore allongée dans son lit, les yeux ouverts depuis un moment déjà. Elle ne dormait plus vraiment, ces derniers jours.« Ton silence au moment de notre opération était éloquent. Tu t’en es sortie avec calme. C’est exactement ce qu’on attendait de toi. L’effet produit sur Vale est déjà visible. Continue de capitaliser sur ce lien. Nous sommes satisfaits. »Aucune signature. Aucun ton personnel. Juste cette impression de surveillance constante, de mains invisibles posées sur ses épaules.Elle verrouilla l’écran, mais les mots, eux, restèrent gravés. Elle resta un instant immobile, fixant le plafond, la gorge sèche. Le cœur battant à un rythme maîtrisé. L’attaque sur Orion n’était qu’une première frappe. L’ouverture.Et elle ? Elle avait exécuté sa partition sans même être prévenue. Comme une pièce qu’on déplace sur l’échiquier, sans explication.Elle se leva d’un mouvement lent. P
Le bureau de Julian était baigné dans cette lumière tamisée qu’elle lui connaissait, douce mais impénétrable. En franchissant la porte, Emilia eut l’impression d’entrer dans une pièce suspendue hors du temps, loin de l’agitation des étages où l’affaire Orion avait semé un vent de panique. Julian était là, debout devant la baie vitrée. Il ne se retourna pas immédiatement à son entrée, mais son ton, calme, suffit à l’accueillir. — Entre. Elle referma la porte sans bruit. Son cœur battait à un rythme qu’elle ne parvenait plus à contrôler, mêlant le trouble, la colère — et quelque chose d’autre qu’elle refusait de nommer. Il se tourna lentement vers elle, les mains dans les poches. Il avait l’air plus fatigué qu’à l’accoutumée. Pas abattu, non, mais tendu. Concentré. — Merci d’être venue. Elle hocha la tête, resta debout quelques secondes, avant qu’il ne lui désigne le fauteuil devant son bureau. — Assieds-toi. Elle s’exécuta. Lui aussi s’assit, sans la barrière de son b
La vapeur s’élevait paresseusement de sa tasse, formant de petits tourbillons avant de disparaître dans la lumière douce du matin. Assise à la table de sa cuisine, Emilia savourait ce moment de calme, les yeux perdus dans le mouvement lent des stores qui filtraient l’aurore. L’odeur du café et le silence composaient une scène presque irréelle. Elle effleura l’écran de son téléphone. Toujours pas de message de Julian, ni de ses commanditaires. Elle haussa les épaules, vaguement déçue. Depuis leur dîner, un certain rythme s’était installé : un échange de messages le soir, une phrase tendre ou complice. Mais hier soir, rien. Et ce matin, toujours ce silence — presque trop épais pour ne pas cacher quelque chose. Le vibreur de son téléphone la fit sursauter. « Réunion exceptionnelle à 8h30. Salle 3. Daniel H. » Une chaleur discrète monta dans sa nuque. Elle consulta aussitôt ses canaux privés, masqués, chiffrés. Rien. Aucun message. Aucun signal. Les commanditaires n’avaient rien ann
La brise du soir glissait entre les palmiers du jardin, soulevant les pans légers des rideaux ouverts sur la piscine d’Ethan. L’eau, paisible, captait les derniers reflets dorés du soleil. Julian, un verre de citronnade à la main, était affalé dans un transat, les yeux fixés sur les vaguelettes subtiles à la surface.À sa gauche, Eleanor feuilletait un magazine d’un air distrait, ses longues jambes croisées, le visage à demi tourné vers la lumière. Aucun mot n’avait été échangé depuis plusieurs minutes, mais le silence n’avait rien d’inconfortable.— Tu es étrangement silencieux, ce soir, fit-elle finalement d’un ton léger.Julian haussa une épaule, un mince sourire effleurant ses lèvres.— Pour une fois, je me contente de profiter.Eleanor referma son magazine et le posa sur la table basse, curieuse.— Tu as l’air plus calme ces jours-ci. Moins sur la défensive. Moins… crispé.Il ne répondit pas tout de suite. Il pensait à Emilia. À son rire discret au café, à la tension dans ses épa
La pénombre douce de son appartement contrastait avec le tumulte de sa journée. Emilia s’était blottie dans le canapé, les genoux repliés contre sa poitrine, une tasse de thé encore fumante entre les mains. Les souvenirs de sa journée de la veille lui revenaient par vagues : le spa, le café chez Alice, ce sentiment fragile d’être simplement Celeste pendant quelques heures. Elle inspira profondément, tentant d’y trouver le calme, avant que le poids de sa mission lui pèse de nouveau sur les épaules. Son regard glissa sur son portable posé sur la table basse. L’écran noir reflétait son visage pâle, encadré par ce carré blond cendré qu’elle s’habituait à voir dans le miroir. Cette nouvelle coupe lui donnait une allure assurée, presque dure. Et pourtant, ce soir, son cœur restait obstinément lourd. Alice lui avait dit qu’elle méritait que les choses soient simples. Eleanor lui avait offert son amitié sans réserve. Julian lui avait montré un autre visage au dîner… un regard chargé d’un
Celeste ouvrit les yeux lentement, sans alarme ni urgence. Un silence inhabituel enveloppait la pièce, seulement troublé par le murmure lointain de la ville. C’était étrange d’avoir ce luxe : le temps. Depuis qu’elle était devenue « Emilia » aux yeux d’EverCore, sa vie n’était que course entre apparences et secrets. Mais aujourd’hui, ce rôle resterait au placard. Elle glissa une main dans ses cheveux blonds cendrés, récemment coupés au carré. Cette nouvelle coupe qu’elle avait adoptée depuis un moment déjà lui faisait office d’armure. C’était donc normal qu’elle en prenne soin. Celeste se leva pieds nus sur le parquet froid, passa à la petite cuisine pour se faire un café. L’arôme amer lui fit du bien. Elle le but en regardant par la fenêtre, attentive aux détails : le ciel gris laiteux, le feuillage doré dans la cour, le rire d’un enfant au loin. Pas de plan pour la journée. Juste une promesse intérieure : respirer. Après une douche chaude, elle enfila un pull doux, un jean clair