L’imposant siège d’EverCore Industries se dressait devant elle, un édifice de verre et d’acier qui semblait dominer la ville avec une froide arrogance. Tout dans cette structure respirait le pouvoir, la richesse et l’exclusivité. Un monde auquel elle aurait dû appartenir par naissance, mais dont elle avait été arrachée brutalement.
Céleste—ou plutôt Emilia Carter, comme l’indiquait désormais son badge—leva légèrement le menton et ajusta la sangle de son sac. Son cœur battait à un rythme mesuré, mais elle sentait malgré tout la tension dans son corps. L’entrée dans EverCore marquait le début de la mission pour laquelle elle s’était préparée pendant des mois. Elle savait qu’elle était surveillée. Même en tant que simple assistante au département stratégique, chaque nouvelle recrue était scrutée. Ici, la faiblesse se remarquait immédiatement et se payait cher. Mais Céleste avait tout prévu. Elle avait passé des heures à s’entraîner à marcher avec assurance et à parler d'une voix posée, à se comporter comme une professionnelle aguerrie. Elle jeta un regard à son reflet dans les larges façades vitrées de l’immeuble. Son ancienne apparence avait disparu. Ses longs cheveux bruns avaient été coupés en un carré blond cendré soigneusement lissé. Une transformation nécessaire, bien que déroutante. Elle n’avait jamais envisagé de changer d’apparence, mais ses commanditaires avaient insisté : EverCore était un environnement où les visages étaient connus et analysés. Il lui fallait devenir quelqu’un d’autre. Ses yeux, autrefois d’un brun profond, étaient désormais gris clair grâce aux lentilles de contact. Une touche subtile, mais efficace. Pour ajouter une dernière couche à sa nouvelle identité, elle portait de fines lunettes rectangulaires, donnant l’illusion d’une femme studieuse et réservée—un contraste parfait avec l’image de l’ancienne Céleste Aymes, héritière confiante et sûre d’elle. Emilia Carter ne devait pas attirer l’attention. Pas tout de suite. Elle franchit les portes en verre du hall principal. L’espace était immense, baigné de lumière naturelle. Le sol en marbre reflétait les silhouettes élégantes des employés qui allaient et venaient d’un pas pressé. Elle avança vers la réception, son badge à la main. — Bonjour, je suis Emilia Carter. Je commence aujourd’hui au département stratégique. La réceptionniste, une femme brune à la posture impeccable, lui adressa un sourire poli avant de consulter son écran. — Bienvenue chez EverCore, Mademoiselle Carter. Votre badge d’accès a été préparé. Elle tendit le porte-badge marqué de son nouveau nom et du logo d’EverCore. — Votre bureau est au 28e étage. Monsieur Cross vous recevra plus tard dans la journée. En attendant, vous pouvez vous installer et prendre connaissance des dossiers en cours. Céleste remercia la femme et se dirigea vers les ascenseurs, son cœur accélérant légèrement. Ethan Cross. L’homme qu’elle devait approcher. Celui qui, selon ses commanditaires, détenait les clés pour l’introduire dans l’univers de Julian Vale. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un vaste open-space, lumineux et méticuleusement organisé. Des bureaux en verre s’alignaient le long des murs, attribués aux cadres supérieurs. L’ambiance était feutrée, concentrée, presque oppressante. Un homme s’arrêta à côté d’elle. Grand, la quarantaine, cheveux poivre et sel, costume impeccable. Il tapotait sur son téléphone sans lever les yeux. — Nouvelle ? demanda-t-il d’un ton distrait. — Emilia Carter, assistante au département stratégique. Il tapota encore quelques secondes avant de lui accorder un bref regard. — Bienvenue chez EverCore. Votre bureau est au fond, sur la gauche. On vous dira quoi faire. Et il s’éloigna sans plus de cérémonie. Céleste retint une moue. L’accueil était glacial, mais elle s’y attendait. Ici, tout le monde se battait pour prouver sa valeur. Elle traversa l’open-space et trouva son bureau. Petit mais fonctionnel. Un ordinateur, quelques dossiers en attente et une large baie vitrée offrant une vue imprenable sur la ville. Elle s’installa, alluma son écran, mais ses yeux étaient ailleurs. Ethan Cross. Il était là, dans son bureau vitré, à quelques mètres seulement. Même à distance, il imposait une présence. Il discutait avec un cadre en costume sombre, son expression impénétrable. Il n’écoutait pas seulement, il analysait. Un prédateur. Céleste fit mine de parcourir un document, capturant chaque détail du bureau de Cross. Minimaliste, organisé, aucun objet personnel. Un homme qui n’offrait aucune prise à ceux qui cherchaient à le cerner. Un mouvement attira son attention. Une femme venait d’entrer sans frapper. Blonde, habillé de manière plutôt décontractée tout en ayant une allure confiante. Elle posa un dossier devant Ethan Cross et croisa les bras. Il releva la tête, haussa un sourcil. Un sourire effleura ses lèvres. Intéressant. Cross, froid et professionnel avec tous, semblait avoir une dynamique différente avec elle. Qui était-elle ? Céleste détourna les yeux avant qu’on ne la surprenne en train d’observer. Si elle voulait approcher Ethan, elle devait d’abord comprendre qui avait déjà sa confiance. Elle se replongea dans son écran, mais dans son esprit, un plan commençait à se dessiner. Tout en feignant de se familiariser avec le lieu, elle réfléchit aux implications de cette nouvelle découverte. La femme blonde avait quelque chose d’inhabituel, une familiarité avec Ethan qui ne pouvait être négligée. Était-elle une collègue proche ? Une ancienne partenaire ? Ou peut-être une rivale ? Les heures passèrent, et Céleste s’efforça de se fondre dans le décor. Elle observa et écouta, prenant des notes mentales sur ses collègues. Chaque geste, chaque murmure, chaque échange pouvait contenir des informations précieuses. Elle se rendit compte que chaque membre de l’équipe semblait jouer un rôle dans une pièce de théâtre complexe, où la loyauté et la trahison dansaient sur un fil tendu.Le message s’était affiché à l’aube, net et glaçant, sur l’écran sécurisé de son téléphone. Céleste était encore allongée dans son lit, les yeux ouverts depuis un moment déjà. Elle ne dormait plus vraiment, ces derniers jours.« Ton silence au moment de notre opération était éloquent. Tu t’en es sortie avec calme. C’est exactement ce qu’on attendait de toi. L’effet produit sur Vale est déjà visible. Continue de capitaliser sur ce lien. Nous sommes satisfaits. »Aucune signature. Aucun ton personnel. Juste cette impression de surveillance constante, de mains invisibles posées sur ses épaules.Elle verrouilla l’écran, mais les mots, eux, restèrent gravés. Elle resta un instant immobile, fixant le plafond, la gorge sèche. Le cœur battant à un rythme maîtrisé. L’attaque sur Orion n’était qu’une première frappe. L’ouverture.Et elle ? Elle avait exécuté sa partition sans même être prévenue. Comme une pièce qu’on déplace sur l’échiquier, sans explication.Elle se leva d’un mouvement lent. P
Le bureau de Julian était baigné dans cette lumière tamisée qu’elle lui connaissait, douce mais impénétrable. En franchissant la porte, Emilia eut l’impression d’entrer dans une pièce suspendue hors du temps, loin de l’agitation des étages où l’affaire Orion avait semé un vent de panique. Julian était là, debout devant la baie vitrée. Il ne se retourna pas immédiatement à son entrée, mais son ton, calme, suffit à l’accueillir. — Entre. Elle referma la porte sans bruit. Son cœur battait à un rythme qu’elle ne parvenait plus à contrôler, mêlant le trouble, la colère — et quelque chose d’autre qu’elle refusait de nommer. Il se tourna lentement vers elle, les mains dans les poches. Il avait l’air plus fatigué qu’à l’accoutumée. Pas abattu, non, mais tendu. Concentré. — Merci d’être venue. Elle hocha la tête, resta debout quelques secondes, avant qu’il ne lui désigne le fauteuil devant son bureau. — Assieds-toi. Elle s’exécuta. Lui aussi s’assit, sans la barrière de son b
La vapeur s’élevait paresseusement de sa tasse, formant de petits tourbillons avant de disparaître dans la lumière douce du matin. Assise à la table de sa cuisine, Emilia savourait ce moment de calme, les yeux perdus dans le mouvement lent des stores qui filtraient l’aurore. L’odeur du café et le silence composaient une scène presque irréelle. Elle effleura l’écran de son téléphone. Toujours pas de message de Julian, ni de ses commanditaires. Elle haussa les épaules, vaguement déçue. Depuis leur dîner, un certain rythme s’était installé : un échange de messages le soir, une phrase tendre ou complice. Mais hier soir, rien. Et ce matin, toujours ce silence — presque trop épais pour ne pas cacher quelque chose. Le vibreur de son téléphone la fit sursauter. « Réunion exceptionnelle à 8h30. Salle 3. Daniel H. » Une chaleur discrète monta dans sa nuque. Elle consulta aussitôt ses canaux privés, masqués, chiffrés. Rien. Aucun message. Aucun signal. Les commanditaires n’avaient rien ann
La brise du soir glissait entre les palmiers du jardin, soulevant les pans légers des rideaux ouverts sur la piscine d’Ethan. L’eau, paisible, captait les derniers reflets dorés du soleil. Julian, un verre de citronnade à la main, était affalé dans un transat, les yeux fixés sur les vaguelettes subtiles à la surface.À sa gauche, Eleanor feuilletait un magazine d’un air distrait, ses longues jambes croisées, le visage à demi tourné vers la lumière. Aucun mot n’avait été échangé depuis plusieurs minutes, mais le silence n’avait rien d’inconfortable.— Tu es étrangement silencieux, ce soir, fit-elle finalement d’un ton léger.Julian haussa une épaule, un mince sourire effleurant ses lèvres.— Pour une fois, je me contente de profiter.Eleanor referma son magazine et le posa sur la table basse, curieuse.— Tu as l’air plus calme ces jours-ci. Moins sur la défensive. Moins… crispé.Il ne répondit pas tout de suite. Il pensait à Emilia. À son rire discret au café, à la tension dans ses épa
La pénombre douce de son appartement contrastait avec le tumulte de sa journée. Emilia s’était blottie dans le canapé, les genoux repliés contre sa poitrine, une tasse de thé encore fumante entre les mains. Les souvenirs de sa journée de la veille lui revenaient par vagues : le spa, le café chez Alice, ce sentiment fragile d’être simplement Celeste pendant quelques heures. Elle inspira profondément, tentant d’y trouver le calme, avant que le poids de sa mission lui pèse de nouveau sur les épaules. Son regard glissa sur son portable posé sur la table basse. L’écran noir reflétait son visage pâle, encadré par ce carré blond cendré qu’elle s’habituait à voir dans le miroir. Cette nouvelle coupe lui donnait une allure assurée, presque dure. Et pourtant, ce soir, son cœur restait obstinément lourd. Alice lui avait dit qu’elle méritait que les choses soient simples. Eleanor lui avait offert son amitié sans réserve. Julian lui avait montré un autre visage au dîner… un regard chargé d’un
Celeste ouvrit les yeux lentement, sans alarme ni urgence. Un silence inhabituel enveloppait la pièce, seulement troublé par le murmure lointain de la ville. C’était étrange d’avoir ce luxe : le temps. Depuis qu’elle était devenue « Emilia » aux yeux d’EverCore, sa vie n’était que course entre apparences et secrets. Mais aujourd’hui, ce rôle resterait au placard. Elle glissa une main dans ses cheveux blonds cendrés, récemment coupés au carré. Cette nouvelle coupe qu’elle avait adoptée depuis un moment déjà lui faisait office d’armure. C’était donc normal qu’elle en prenne soin. Celeste se leva pieds nus sur le parquet froid, passa à la petite cuisine pour se faire un café. L’arôme amer lui fit du bien. Elle le but en regardant par la fenêtre, attentive aux détails : le ciel gris laiteux, le feuillage doré dans la cour, le rire d’un enfant au loin. Pas de plan pour la journée. Juste une promesse intérieure : respirer. Après une douche chaude, elle enfila un pull doux, un jean clair