DanteJe n’ai jamais cru aux rédemptions silencieuses.Ceux qui survivent ne sont pas ceux qui prient. Ce sont ceux qui frappent les premiers. Ceux qui ne reculent pas, même face au gouffre.Et ce matin, le gouffre nous attend à chaque pas.La porte s’est refermée derrière nous avec un bruit sourd. Une forteresse de métal usé, réactivée à la hâte. Refuge secondaire, disaient les plans. Mais moi je vois les fissures dans les angles, les traces anciennes d’un siège oublié.Ce n’est pas un abri.C’est une cage.— Le générateur tiendra combien de temps ? je demande à Milo, sans détourner les yeux de la carte thermique.— Douze heures. Peut-être quinze. Ensuite, on sera aveugles.Je hoche la tête. Ce n’est pas suffisant. Rien ne l’est plus, à ce stade.Derrière moi, Jonas respire bruyamment. Son visage est boursouflé, la joue fendue. Il s’est assis dans un coin avec une compresse contre la tempe, mais son regard reste clair. Il nous écoute. Il attend. Il sait.Je m’approche, accroupi.— Qu
ElenaLe silence, après l’orage, a un goût étrange.Celui d’un répit volé. D’un souffle suspendu entre deux abîmes.Je me redresse lentement, les muscles engourdis, les draps froissés par la tension, par l’urgence de ce que nous avons partagé. Dante dort à moitié, le torse nu, une cicatrice ancienne courant sur sa clavicule. Je la suis du bout des doigts, un geste léger, presque irréel.Mais je sais déjà que le rêve est terminé.Le monde attend derrière la porte. Il tape. Il hurle.Il exige.Je m’habille rapidement, l’esprit encore embué. Mes pensées sont floues mais tendues. Chaque fibre de mon corps garde en mémoire le feu de la nuit, mais déjà la glace de la réalité s’infiltre.— Tu comptes partir sans moi ? murmure-t-il, la voix encore râpeuse de fatigue.Je me retourne. Il me regarde, l’œil à moitié clos, mais le corps déjà prêt. En alerte.— Pas une seconde, dis-je avec un sourire bref.Il se redresse, enfile une chemise noire, passe son holster. La tendresse s’efface, remplacée
ElenaLes premiers coups sourds contre la porte résonnent dans mes tempes comme un tambour menaçant, réveillant chaque fibre de mon être. Cette peur latente, qui s’est nichée en moi depuis des jours, devient soudain une décharge glacée d’adrénaline pure. Une alerte rouge traverse mon corps en éclairs électriques, frappant chaque muscle, chaque nerf, jusqu’au moindre souffle, court, rapide, comme si l’air lui-même devient rare, étouffant.Je me colle à Dante, cherchant dans sa présence une ancre, un refuge. Nos épaules se touchent, presque fusionnent dans cette promiscuité forcée, comme si cette proximité pouvait inverser le cours des choses, stopper la tempête qui s’annonce. Pourtant, au fond de moi, je sais que rien ne suffira. Ni lui, ni moi, ni aucun mur ou arme.Dans ses yeux, je lis ce mélange brutal de force et de fragilité. Un acier trempé au feu des épreuves, mais aussi une fissure où s’infiltrent des douleurs que personne ne doit voir. Ce que je découvre peu à peu chez lui, c
ElenaLa nuit est tombée sans crier gare, comme une épée noire suspendue au-dessus de la ville. Le silence s’est installé, lourd et pesant, seulement troublé par le faible bourdonnement des néons au loin. J’ai allumé une lampe faible dans le salon, mais son éclat pâle semble incapable de percer l’oppression qui m’étouffe. Chaque ombre paraît se resserrer autour de moi, m’enfermant dans une cage d’angoisse.Dante n’est pas encore rentré.Le vide qu’il laisse en partant est un gouffre insondable. Ce n’est pas seulement l’absence d’un corps. C’est celle d’une force invisible, fragile, presque palpable, qui soutenait mes certitudes. Sans lui, tout ce que je croyais solide se fissure, vacille, menace de s’effondrer. J’ai l’impression d’être une embarcation abandonnée, ballottée par des vagues que je ne maîtrise pas.J’ai essayé de me convaincre que je devais être forte, que je devais tenir pour lui. Pour nous.Mais la peur, sourde et tenace, me dévore. Elle s’insinue dans mes nuits, dans m
CiroLe téléphone a vibré dans la poche de ma veste comme un avertissement. Ce signal que je connaissais trop bien, ce son froid qui déchire le silence, ramenant à la surface les fantômes que j’avais cru pouvoir enterrer.L’écran a affiché ce nom : Moretti.Dante.Cinq longues années que je n’avais plus entendu sa voix. Cinq années à tenter de fuir cette vie, à construire des murs épais entre moi et ce passé toxique. Cinq années à me convaincre que la guerre était derrière moi.Mais à cet instant précis, tout est revenu. Avec la force brutale d’une lame rouillée.Les souvenirs me frappent comme des éclats de verre, me blessent, m’aveuglent.Alicia.Son visage souriant, si lumineux, qui s’est éteint trop tôt, balayé par la cruauté de ce monde que nous avons façonné avec rage et douleur.Sa mort.Le vide abyssal qu’elle a creusé en moi, la rage glacée qui m’a dévoré, m’a transformé en ce que je suis devenu.Je reste figé, le téléphone dans la main, le cœur battant trop fort, incapable d
ElenaJe n’ai pas vraiment dormi.Juste sombré par vagues, à peine soulagée par la chaleur de son corps contre le mien. Et pourtant, même dans ce semblant de sommeil, je l’ai senti partir. Son absence a glissé contre ma peau comme un courant d’air trop froid. J’ai ouvert les yeux trop tard, mais je savais déjà : il n’était plus là.Alors je suis restée, figée dans le silence, à fixer les plis laissés sur le drap. L’empreinte de son corps. La chaleur en train de mourir. Mon cœur battait trop vite. Comme si lui seul avait compris ce qui venait.Le passé.Il est là.Pas un souvenir. Une présence.Quand je le rejoins sur le balcon, la lumière est encore grise. Ce genre d’aube qui ne promet rien, sinon l’effritement lent d’un jour de plus. Il tient une cigarette entre les doigts. Une vieille habitude qu’il avait enterrée. Il ne tire même pas dessus. Il la regarde comme s’il se demandait s’il va la mériter.Il ne ment pas.Il ne détourne pas les yeux.Il parle.D’Alicia. D’elle. De la sœur