Tous les chapitres de : Chapitre 121 - Chapitre 130

Les premières rumeurs sont arrivées avec la poussière des rescapés. Des silhouettes brisées, les yeux agrandis par la terreur, les vêtements imprégnés d’odeurs de cendre et de sang. Je les ai vus franchir le seuil du camp, soutenus par nos guérisseurs, et leur silence a suffi à réveiller dans mes entrailles une certitude : la guerre avait commencé, sans attendre.On m’a appelée aussitôt. Kaël marchait déjà vers la clairière, ses épaules raides, ses traits fermés. Autour du feu, les survivants étaient assis en cercle, couverts de couvertures rêches. L’un d’eux, un vieil homme à la barbe grise, répétait toujours les mêmes mots :- Loups sombres... des flammes... ils n’étaient pas naturels.Je m’accroupis devant lui.- Dites-moi. Que s’est-il passé exactement ?Ses yeux tremblaient comme deux lacs agités.- Nous avons entendu d’abord les hurlements. Profonds, déchirants, pas comme les nôtres. Puis ils sont sortis de la brume. Leur pelage était noir comme la nuit sans lune. Et derrière eu

Je souris pour ne rien céder. Yssan s’avança comme un danseur sûr de sa cadence, beau à sa manière, cruel là où la pupille se rétrécit. Son salut se fit soyeux, le respect calculé au millimètre.- Luna. Ta présence élève ce lieu.- Ma présence l’oblige, corrigeai-je.La salle vibrait d’une chaleur de forge. Au centre, un cercle de fer rougeoyait. Des guerriers au pelage sombre formaient un liseré de nuit. J’avais laissé mon capuchon ; la marque de Kaël palpitait au creux de ma peau. Le regard d’Yssan s’y accrocha, franc une seconde, vorace la suivante.- Cette trace te retient, murmura-t-il. Je pourrais t’en délivrer.- Elle me relie.- Je te donnerai mieux qu’un lien. Une cour. Un monde.Il désigna deux coupes de métal. Je n’y touchai pas. Son sourire s’amplifia, indulgent, comme s’il excusait une enfant prudente.- Tu demandes la paix, dit-il. Je viens proposer l’avenir. Le tien.- Mon avenir ne se négocie pas à coups de promesses.- Non. Il s’arrache. Avec moi.Sa beauté avait ce p

Je la sentais encore trembler d’un reste de toxique, pourtant sa démarche ne flanchait pas. Nous avions quitté la berge sous un rideau de suie, et les pins morts dressaient des doigts noircis contre le ciel. Les torches d’Yssan clignotaient au loin. Nous avons pris la combe où la cendre étouffe les empreintes. Je fixais la route avec cette obstination qui tient en place les corps quand l’âme voudrait se retourner pour mordre.Deux heures jusqu’au relais, soufflai-je par la marque. Si la pluie nous prête sa couverture.Je te suis, répondit Elina. Sa voix intérieure gardait un grain rauque, mais la netteté revenait. Elle avait survécu à son poison; je survivrais au mien si le destin décidait de m’en offrir un.Le vent roulait la poussière grise en nappes. Je choisissais les pierres, les souches, les zones écrasées où la cendre colle moins. Trois silhouettes croisèrent la lisière; nous restâmes immobiles jusqu’à ce que la nuit les digère. Puis nous avons filé entre deux blocs de lave.Le

Je les ai fait appeler avant l’aube. Pas d’intermédiaires, pas de rumeurs pour tordre les mots : je voulais leurs visages entiers, la buée de leurs souffles mêlée au mien. La pluie filait sur la clairière et vernissait la terre battue d’un éclat sombre. Faren avait appuyé des lances contre la palissade. Myra, les bras croisés, veillait aux braises couvertes sous des pierres humides. Douze silhouettes se découpèrent au bord du cercle. Hadrik ouvrait la marche, trapu, la barbe grise striant sa mâchoire, une cicatrice blanche sous l’œil gauche. Rulven restait un pas derrière, la nuque raide par habitude plus que par défi. Les autres arrivaient en bloc, épaules de pierre et regards prêts à refuser même ce qui pourrait les sauver.Je m’avançai sans cape. Ma lame dormait à la hanche. La marque, tiède, battait sous la peau. Un souffle de Kaël glissa au creux de mon esprit, ferme, retenu : Je t’entends. Je lui renvoyai une pulsation brève : Reste. Je prends l’angle. Cette chaleur infime m’enr

Je me lève avant que les murmures ne ferment la porte des esprits. La conque n’a pas sonné, personne ne m’a appelée. J’ôte la cape, je la laisse tomber sur la pierre humide, et l’air du cercle mord la peau comme une eau trop froide. Les braises gardent une lumière basse. Des regards s’accrochent, d’autres se dérobent. Orvand ne cligne pas, têtu comme une souche. Hadrik observe avec cette attention calme qui s’apprend dans les saisons du labeur. Faren plante la pointe de sa lance dans la terre, promesse d’ordre, et se tait. Myra, sous l’auvent, tient les lèvres fines; ses doigts sentent la sève et la cendre.Je tourne les épaules et je remonte la tunique. Les cicatrices de mon dos apparaissent, cordes pâles, reliefs d’une histoire gravée sans poète. Elles ne réclament ni drame ni pitié. Elles attestent. Je montre aussi la marque à mon cou, là où la morsure a imprimé son sceau. Elle bat avec une régularité chaude, signe d’un pacte choisi. Plus bas, sur la hanche et le flanc, les brûlure