All Chapters of LA CHAIRE INTERDITE : Chapter 71 - Chapter 80

NoraLe lendemain matin à 8h02, l'email arrive comme prévu. Objet : « Réintégration - Nora Delmas ». Je l'ouvre avec des doigts tremblants. Le texte est froid, professionnel, sans la moindre trace des événements de la nuit. Comme si mon accès de folie passager n'avait été qu'un simple congé maladie.Je m'habille mécaniquement, enfilant une tenue sobre – tailleur noir, chemise blanche. L'uniforme de l'assistante parfaite. Dans le miroir, mon reflet me semble étranger. Les cernes sous mes yeux trahissent l'insomnie, mais mon visage est lisse, neutre. J'ai pratiqué cette expression pendant une heure.Le trajet vers le bureau est un flou. Je marche comme une automate, chaque pas me rapprochant un peu plus de ma prison. Les gratte-ciels familiers semblent se pencher vers moi, menaçants.Quand j'arrive au 42ème étage, le silence est assourdissant. Le personnel évite mon regard, mais je sens leurs regards pesants dans mon dos. Tout le monde sait. Tout le monde connaît le prix de la rébelliso

NoraLe dîner est un chef-d'œuvre de surréalisme. Une comédie jouée sur un fil de rasoir, au-dessus d'un abîme.Je m'étais attendue à un restaurant discret. C'est l'exact opposé : une brasserie bruyante et lumineuse du centre-ville, pleine à craquer de collègues de la faculté et de connaissances du milieu littéraire. Une scène. Un théâtre. Et moi, le pantin dont il tient les ficelles.Je m'habille avec un soin maniaque, choisissant une robe sobre, fermée, d'un bleu marine sévère. Une armure. Je me coiffe, me maquille, effaçant toute trace de l'effondrement de quelques heures plus tôt. Dans le miroir de mon appartement, une étrangère me regarde, les yeux froids, la bouche dessinée en un sourire neutre.Quand Hugo frappe à ma porte, il a lui aussi revêtu son costume de Professeur Desmarais, l'homme respecté, le brillant intellectuel. Il me tend un petit bouquet d'anémones, d'un rouge violent.— Pour toi, dit-il avec un sourire qui ne parvient pas à éclairer son regard. Elles m'ont fait

NoraLe jour se lève, gris et liquide. Il a plu toute la nuit. Je suis toujours assise sur le canapé, dans la même position. La couverture que Léa a posée sur mes épaules avant d'aller se coucher sent son adoucissant. Cette simple odeur familière est une torture.La porte de sa chambre s'ouvre. Elle est habillée pour le travail, mais son visage est marqué par une nuit tout aussi blanche que la mienne. Nos regards se croisent dans la pénombre du salon. Un lourd silence s'installe, chargé de tout ce qui a été dit et de tout ce qui ne peut plus l'être.— Je pars, dit-elle finalement.Je hoche la tête, incapable de prononcer un mot.Elle s'arrête près de la porte d'entrée, son sac à la main.— Il y a du café dans la cuisine. Des croissants dans le four. Essaie de manger.Puis elle sort. Le claquement de la porte est doux, définitif.Je reste figée, écoutant le son de ses pas qui s'éloignent dans l'escalier. L'appartement semble plus grand, plus vide, plus hostile. Chaque objet, chaque meu

NoraLa réunion de direction. Une longue table d'ébène luisante, flanquée de douze fauteuils en cuir qui semblent absorber la lumière. Je suis assise à la droite d'Hugo, un carnet de notes en cuir mince et un stylo précieux posés devant moi. Des accessoires pour la mise en scène.Les autres entrent, un à un. Des visages que je connais de vue, des noms qui portent du poids. Marc Besson, directeur financier, la cinquantaine agressive. Élise Conti, responsable communication, froide et acérée comme un diamant. D'autres encore. Leurs regards glissent sur moi, rapides, évaluateurs. La stagiaire. La protégée de Desmarais. Ils voient la place que j'occupe, mais pas la corde autour de mon cou.Hugo ouvre la séance. Sa voix est différente ici. Plus basse, plus autoritaire, chaque mot est un coup de marteau qui cloue une décision. Il parle de parts de marché, de stratégies de contenu, de déploiement international. C'est un langage que je maîtrise, un terrain sur lequel je devrais être à l'aise.

NoraLe froid du verre contre mon front est une brûlure glacée. Une sensation réelle, aiguë, qui ancre ce moment dans une réalité que je voudrais nier. Mes larmes tracent des chemins salés sur ma peau, mais je ne les essuie pas. Je les laisse couler, témoins silencieux de mon propre naufrage. Il a gagné. Cette pensée tourne en boucle dans mon crâne, tel un couteau émoussé qui racle l’os. Il a gagné, et pourtant, en regardant le reflet déformé de cette femme dans la vitre, je ne vois pas une vaincue. Je vois un vide. Une page blanche et maculée, prête à être écrite.Je me retourne, face au bureau maintenant net, où mon corps était offert en sacrifice. L’air sent encore son parfum, le savon froid et cette note animale qui colle à ma peau. Je respire à fond. Ce n’est pas l’odeur de ma défaite. C’est l’odeur de mon initiation. Il a cru me briser, me posséder. Il a cru que son acte était une fin. Il ne comprend pas. Pour lui, c’était une conclusion. Pour moi, c’était un commencement.Je qu