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La mère d’ÉlodieÉlodie est montée se reposer. Elle a déclaré : « Juste dix minutes »… Ce qui, en langage adolescent, signifie plutôt : laissez-moi m’effondrer en silence pendant trois heures, minimum.Je ne l’ai pas retenue. Je n’ai posé aucune question. Elle avait besoin de solitude, de silence, d’un moment pour assimiler ce qu’elle venait d’entendre. Et je la connais, ma fille. Lorsqu’elle quitte la pièce sans son téléphone, sans un soupir, sans même s’enquérir du dîner, c’est que la tempête gronde à l’intérieur.Je reste en bas, dans la cuisine, le torchon à la main, l’esprit ailleurs.Clara enceinte.Je m’appuie contre l’évier. L’eau tiède continue de couler, mais un frisson me parcourt l’échine. Non par jugement ce réflexe-là, je m’en suis débarrassée depuis longtemps mais par lucidité. Car je sais, moi. Je sais ce que signifie une grossesse inattendue, surgie en dehors du cadre, au moment le moins propice. Je sais les regards, les murmures, les suppositions. Je sais la solitude

Élise ClaraLe bureau est vaste, plus lumineux que je ne l’imaginais, mais il a cette froideur d’endroit où rien n’est laissé au hasard. Chaque objet est parfaitement aligné, chaque surface impeccable. Une table immaculée, un ordinateur dernier cri, un fauteuil qui respire le confort… et, à travers la cloison vitrée, la silhouette de Gabriel De Rohan, penché sur des documents comme si le monde extérieur n’existait pas.Je n’ai pas encore posé mon sac que déjà les regards se posent sur moi. Pas discrets, pas furtifs. Plutôt ce genre de coups d’œil qui évaluent, comparent, décortiquent. Certains glissent sur mes épaules, d’autres sur mes mains… et, forcément, sur mon ventre à peine arrondi.Des murmures suivent.Deux femmes de l’équipe administrative passent devant la porte, ralentissant ostensiblement. L’une, brune tirée à quatre épingles, penche la tête vers l’autre.— C’est elle ? souffle-t-elle, croyant sans doute que je n’entends pas.— Oui… La nouvelle assistante de De Rohan.— Eh

Élise ClaraMidi pile. J’ai passé la matinée à classer des enveloppes imaginaires et à tester des stylos en état de marche. Une succession de petites tâches absurdes qui avaient, étrangement, demandé toute mon attention. Et lui… assis en face, avec cet air faussement concentré. Comme si je n’avais été qu’un pion qu’il refusait de voir quitter son échiquier.Mais à présent, c’est mon estomac qui mène la danse. Je me lève, une main contre mon ventre, et prends une inspiration avant d’aller frapper à la porte de Gabriel.— Monsieur De Rohan ? Je… je vais déjeuner.Il relève la tête, presque surpris de m’entendre prononcer ces mots, comme si l’idée même de “pause” était incongrue dans son royaume.— Très bien, fait-il, l’air de quelqu’un qui valide une opération stratégique.Je tourne la poignée, déjà tournée vers la liberté, quand ça me tombe dessus. Pas une douleur vive, non. Plutôt un voile brutal. Comme si tout l’air avait été aspiré hors de la pièce. Mes jambes se dérobent, mes mains

GabrielElle a repris place derrière son écran, mais ses gestes restent lents, mesurés. Je devrais retourner à mes dossiers, pourtant mon regard glisse vers elle, encore.Quelque chose cloche, au-delà de cette fatigue évidente. Un fil invisible que je n’arrive pas à saisir.— Vous vivez loin d’ici ?Ma voix la surprend, je le vois dans son sursaut discret. Elle relève les yeux, hésite une seconde avant de répondre :— Pas vraiment. Une vingtaine de minutes en bus.Une réponse factuelle, prudente. Pas d’ouverture. Je hoche la tête, feignant de reprendre mon stylo, mais ma curiosité s’aiguise.— Et votre famille ?Elle se fige. Pas longtemps, à peine une respiration suspendue, mais je l’ai vu.Élise ClaraFamille. Le mot me percute comme un coup. Mes doigts se crispent sur la souris.Je dois sourire. Répondre. Trouver une esquive.— Ils habitent… ailleurs.Il arque un sourcil, mais ne commente pas. Je sais que ma réponse ne le satisfait pas. Je baisse les yeux, fais mine de lire un docu

GabrielJe reste assis sur le petit tabouret de la cuisine, une tasse de thé refroidissant entre mes mains. L’appartement est silencieux. Élise a disparu dans la salle de bain, m’ayant simplement demandé d’attendre.Je n’aime pas cette impression de fragilité qu’elle dégage. J’ai envie de rester, de veiller.Soudain, la porte d’entrée claque.Des voix féminines, animées, remontent le couloir exigu. Je sursaute.— Claraaa ! On est là ! lance une voix grave, enjouée.Une autre, plus aiguë :— On a eu une bonne vente aujourd’hui ! Regarde, j’ai ramené des…La phrase se coupe net. Je relève la tête. Deux silhouettes apparaissent dans l’embrasure de la cuisine.Une femme d’une quarantaine d’années, robuste, un panier de légumes sur le bras. Derrière elle, une vieille dame à la carrure sèche, un foulard noué sur la tête et un balai de paille à la main.Leurs regards se figent sur moi.Un silence pesant.— QUI ÊTES-VOUS ? rugit la plus âgée.Je me lève lentement, mains en évidence.— Je suis