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Gracias Les jours qui suivent sont remplis d’allers-retours, de visites, d’essais. Il me présente des noms : des familles dont j’entends parler la première fois, des visages qui semblent partout et nulle part. Il explique pourquoi ils doivent être présents, trace des alliances sur une carte invisible que je n’avais jamais vue. Parfois, il me prend par la main et me montre comment détourner une question, comment sourire sans céder une partie de soi.Il me surprend. Par son sens du détail par la façon dont il prévoit une chaise pour ma mère si elle venait, par l'insistance à ce qu’il y ait une chambre réservée pour les femmes qui voyageront seules. Sa prévoyance n’est pas froide : elle est un filet, une manière d’anticiper les fragilités.Et moi, je m’habitue à l’idée que le monde peut apprendre mon nom en même temps qu’il découvre sa propre vulnérabilité. J’apprends à recevoir les compliments sans me défaire, à répondre aux saluts sans trembler. Le tutoiement rend ces apprentissages m

InèsQuelques jours plus tard, l’air reprend une douceur trompeuse. Le soleil d’automne filtre à travers les volets de l’appartement, dessinant des bandes dorées sur le parquet. Je suis dans la cuisine quand ma mère entre, le manteau encore humecté de la bruine, le visage animé d’une excitation contenue.— Inès, chérie, as‑tu une minute ? dit‑elle en déposant son sac sur la table.Je pose ma tasse, attentive. Sa voix trahit quelque chose d’urgent.— Il va y avoir un événement, m’annonce‑t‑elle en s’asseyant. Les fiançailles… d’Ezran Veyrhal.Le nom tombe comme une pierre. — Quand ? demande‑je.— Dans une semaine. Un grand salon privé, des invités triés sur le volet.Un courant froid me traverse. — Nous ne sommes pas invités ? balbutie‑je.Ma mère secoue la tête, un rictus mauvais au coin des lèvres. — Bien sûr que non. On n’existe pas dans leurs carnets.Je serre le bord de la table. — Et Gracias ? dis‑je à voix basse.Ma mère incline la tête, savourant l’information. — On dit qu’

GRACIALa musique s’est adoucie, comme si elle s’inclinait devant l’instant. Le murmure des conversations s’atténue, les rires s’effilochent dans l’air doré, suspendus. Une attente tacite s’installe. Je le sens avant même que cela ne commence. Une tension presque électrique vibre sous les lanternes.Ezran se lève.D’un simple mouvement, il se redresse, et soudain, le monde s’arrête. Les regards convergent. Les discussions s’éteignent. Une aura s’installe, palpable. Il n’a rien dit encore, et pourtant, toute l’assemblée est déjà à genoux dans l’ombre de sa présence.Je me lève à mon tour, les jambes à peine tremblantes. Ma robe ondule à mon pas comme un éclat de lune. Mes mains effleurent le tissu, un geste discret pour contenir le tumulte qui me traverse.Ezran m’adresse un regard. Calme, solide, terriblement clair. Puis il monte une marche, s’installe au centre de la terrasse pavée, sous le faisceau d’une lumière pensée pour lui ou qui semble l’avoir choisi.Sa voix s’élève, grave, c

INÈSJe fixe l’escalier par où ils ont disparu, cette courbe élégante illuminée de dorures, et j’ai envie de hurler. De renverser les tables, d’arracher ces foutues guirlandes lumineuses qui habillent la salle comme pour se moquer de moi. Mais je souris encore, toujours, parce que c’est ce qu’on attend de moi. Sourire. Briller. Paraître.Les applaudissements ont cessé, remplacés par la musique, légère, sucrée, exaspérante. Les conversations reprennent, animées, pleines d’admiration pour eux. Pour elle. Les regards brillent, reflétant les lustres suspendus au plafond, alors que moi, je me noie dans ce luxe devenu oppressant.Je vide mon verre d’une gorgée sèche. L’alcool me brûle la gorge, monte à ma tête, plus amer qu’il ne devrait. Je sens Marius à mes côtés, figé, rigide, silencieux. Il ne m’effleure même pas, comme si ma présence lui était étrangère.Je tourne légèrement le visage vers lui. Et je vois.Il ne regarde pas la salle. Pas moi. Pas même son verre.Il regarde ce vide où e

INÈSJe pousse la porte de l’appartement, le claquement sec résonne comme une gifle dans le silence. Marius est là, affalé dans le fauteuil, les bras croisés, la mâchoire serrée. Il ne lève même pas la tête quand j’entre. Ses yeux restent fixés sur le sol, perdus dans une pensée qui ne m’inclut pas.Je lâche mon sac sur la table sans un mot. Je le connais, je reconnais cette posture : il boude. Encore.— Tu comptes rester là à faire la statue ? je lance d’une voix froide.Il fronce légèrement les sourcils mais ne répond pas. Je sais très bien à quoi il pense. Elle , toujours elle. Ma sœur, sa lumière, son sourire, son éclat. Même ici, dans cet appartement qui devrait m’appartenir, elle est présente dans chaque silence qu’il me jette au visage.Je m’approche, me penche vers lui, mais je sens que ça ne sert à rien. Je pourrais hurler, pleurer, supplier… il ne verrait que son fantôme à elle. Alors je me redresse, impassible, et dans mon esprit, la mécanique déjà enclenchée continue de to