All Chapters of LE PRIX DE LA TENTATION : Chapter 71 - Chapter 80

MarcoLa nuit est profonde. Aucune lumière ne filtre de la ville, seulement la lueur laiteuse de la lune qui inonde la pièce, transformant les taches de nourriture en ombres grotesques et spectrales. L'odeur de la tomate écrasée et de l'œuf a tourné, devenant âcre, presque métallique. L'air est lourd, épais de cette puanteur de vie avortée.Je suis toujours assis par terre, le dos contre la baie vitrée froide. Mes vêtements sont collants, souillés. Mes mains, posées sur mes genoux, sont des cartes topographiques de mon effondrement : des traînées rouges séchées, des éclaboussures jaunâtres, des croûtes de farine.Le soulagement initial, l'euphorie sauvage du chaos créé, se sont évaporés. Ils ont laissé place à un froid intérieur, une lucidité glaçante qui me transperce plus profondément que tout ce que Claire a pu me dire.Je me traîne jusqu'à la salle de bain principale. Un espace de marbre blanc et de chrome, conçu comme une chambre stérile, un sanctuaire où l'on se débarrasse des i

MarcoLe soleil est maintenant haut, brutal dans sa clarté. Il expose chaque détail du champ de bataille qu'est devenu mon salon. Les taches de tomate ont séché en une croûte brunâtre, la farine a formé une pellèce grise sur le parquet sombre. L'odeur a évolué, devenant plus douceâtre, plus organique, comme celle de la terre après la pluie.Le téléphone a vibré plusieurs fois. Luc. Puis d'autres numéros du bureau. J'ai laissé sonner. Le son résonnait dans le vide, une protestation lointaine d'un monde qui réclamait le retour de son pantin.Je ne bouge pas de ma place devant la baie vitrée. Le peignoir blanc est entrouvert, laissant voir la peau pâle de ma poitrine. Mes jointures me lancent, un rappel douloureux et nécessaire de ma confrontation avec le miroir.Le silence, maintenant, n'est plus un ennemi. C'est un confesseur. Il m'oblige à écouter les voix que j'étouffais sous le bruit des affaires et le cliquetis des verres de champagne.La voix de Sarah, le soir de ses six ans.—Pap

MarcoLe vieil homme hoche la tête, un simple signe de reconnaissance. Pas de sourire. Pas de commentaire. Il ouvre sa boîte à outils. À l'intérieur, les instruments sont rangés avec une précision militaire, propres et fonctionnels, contrastant avec l'aspect négligé de leur propriétaire. Il en sort une brosse et une pelle en métal.— Il vous faut des gants, dit-il en me jetant un regard. Et des chaussures. On ne nettoie pas une guerre pieds nus.Ses paroles sont directes, sans ménagement. Je obtempère, trouvant une paire de vieilles baskets et des gants de jardinage dans un placard de l'entrée. Quand je reviens, il est déjà accroupi, ramassant les plus gros éclats de cristal avec une dextérité étonnante.— Par terre, monsieur Marco, dit-il sans se retourner. Les mains voient mieux que les yeux pour ce travail.Je m'accroupis près de lui, une humiliation brûlante me montant aux joues. L'homme que j'étais il y a deux jours aurait ri à l'idée de ramasser lui-même les débris de son propre

MarcoDeux semaines ont passé. Deux semaines de poussière, de peinture, de sueur. La maison n'est plus un décor. Elle est devenue un chantier, puis un lieu en convalescence. Les murs du salon sont nets, d'un blanc qui semble plus vrai, plus profond que celui d'avant. Henri est venu tous les jours. Nous avons réparé, poncé, repeint. Nous avons même, sur un coup de tête un après-midi, démonté une cloison inutile qui séparait le salon de la véranda. La lumière est plus abondante maintenant.Henri ne parle pas beaucoup. Il agit. Et à son contact, j'apprends. J'apprends à tenir un marteau, à distinguer un tournevis plat d'un cruciforme, à sentir si une surface est bien lisse. J'apprends la patience. La satisfaction du travail bien fait, pour lui-même, pas pour l'étalage.Mon téléphone a fini par se taire. Le monde de Luc et des contrats Danforth a reflué, comprenant que j'étais perdu pour lui. Une étrange sérénité a pris la place de l'urgence permanente. Je ne suis plus Marco le dirigeant.

Marco Les jours qui suivent sont étrangement calmes. La visite de Claire et Sarah a laissé une empreinte dans la maison, une vibration subtile qui persiste, comme la note tenue d'un diapason. Le verre de jus de fruit est toujours sur la table basse. Je ne peux pas le toucher. C'est une relique.Henri et moi attaquons la pergola. Le bois est vieux, certaines poutres sont pourries. Il faut tout démonter, trier, remplacer. C'est un travail plus complexe, plus physique. Je manie la scie, le marteau, la masse. Mes mains, déjà marquées, se couvrent d'ampoules qui crèvent et se reforment. Henri est un maître exigeant. Il ne tolère pas l'à-peu-près.— Une charpente, ça doit être carré, Marco. Si les fondations sont de travers, tout le reste va suivre. C'est comme dans la vie.Je hoche la tête, concentré sur la ligne que je trace à la craie. Je suis dans l'effort, dans la précision. Penser aux poutres, aux angles, aux clous. Ne penser à rien d'autre.Pourtant, des images reviennent. Le visage