Mila
Ses doigts s’attardent sur ma hanche. Juste un instant. Puis il s’éloigne d’un pas.
— Retournez à l’arrière. J’ai besoin d’un œil dans la cabine de pilotage. L’équipage se coordonne mal, et j’ai pas envie qu’on perde le nord ce soir.
Il dit ça comme s’il parlait de navigation.
Mais sa voix...
Elle est plus rauque.
Moins en contrôle.
Je me redresse. Nos regards se croisent. Longs. Silencieux. Je veux lui dire quelque chose. Je ne sais pas quoi. Que je brûle ? Que je le sens faillir ? Que je suis prête à tomber, si c’est lui qui me rattrape ?
Mais je reste droite.
— Reçu, commandant.
Je pivote lentement et m’éloigne. Mes pas résonnent dans le couloir comme un battement de tambour.
Je sens son regard sur moi jusqu’à la dernière seconde.
Et ce que j’ai lu dans ses yeux, ce que j’ai senti dans ses bras...
Ce n’était pas du contrôle.
C’était un dérapage.
Un souffle de désir.
Une faille.
Et moi, Mila Rives,
je suis prête à m’y engouffrer.
3h12 – Cockpit – Vol 438 – Altitude de croisière
Je frappe deux coups secs contre la porte blindée.
– C’est Mila.
Un déclic métallique, puis la porte coulisse. J’entre.
L’air du cockpit est plus sec, plus dense, saturé d’écrans lumineux, de bips sourds, de tension. Tout ici est calculé, calibré, parfaitement silencieux. Un monde réduit à des boutons, des chiffres, des directions. Tout sauf lui.
Nolan.
Assis dans son fauteuil, légèrement incliné, une main posée sur le manche, l’autre sur l’accoudoir. Son visage est à demi tourné vers moi. L’autre pilote, concentré, ne dit rien. Je le salue d’un simple hochement de tête avant que Nolan ne prenne la parole.
– Rejoins-moi là, murmure-t-il en désignant la petite banquette latérale d’un mouvement de tête.
Je m’y installe sans un mot. Mon dos touche le cuir tendu, froid, mais mes paumes sont moites. J’ai l’impression d’être piégée dans un bocal, une tension suspendue entre deux battements de cœur. Mon uniforme me colle à la peau. Mes jambes se frôlent. Mes cuisses se crispent sous la tension accumulée depuis l’incident.
J’entends la porte se verrouiller derrière moi.
Le claquement du loquet résonne comme un écho dans ma cage thoracique.
Il ne se retourne pas tout de suite. Il regarde droit devant lui, concentré. Puis, doucement, comme s’il décrochait de sa ligne d’horizon, il pivote vers moi. Son regard m’enveloppe. Calme. Brûlant. Tranchant.
— Merci pour ta réactivité tout à l’heure.
Je hoche légèrement la tête.
— Je fais mon travail.
Il esquisse un sourire en coin. Ce genre de sourire qui n’atteint pas les lèvres. Un pli à peine visible. Un glissement d’intention.
— Tu fais plus que ça.
Je baisse un instant les yeux, les replie sur mes genoux. Je déteste sentir mon sang battre si fort sous ma peau. Mais je lève la tête. Lentement. Je veux qu’il voie que je ne fuis pas. Même si je suis au bord de l’implosion.
— Pourquoi m’avoir fait venir ici, commandant ? Une vérification ? Un rapport ?
Il ne répond pas tout de suite. Il soutient mon regard.
— Parce que j’avais besoin de vérifier quelque chose.
Il se lève, très lentement, comme un prédateur qui se détache de l’ombre.
Mon cœur s’emballe, mais je ne bouge pas.
— Je voulais savoir… si tu allais obéir jusqu’au bout.
Je me tends. Le ton est bas, posé. Mais ce qu’il dit, lui, n’a plus rien de professionnel.
— Tu crois que je n’ai rien vu ? Depuis l’aéroport. Depuis le moment où t’as levé les yeux vers moi comme si t’étais déjà prête à tomber. Chaque fois que tu t’es approchée. Chaque fois que tu t’es éloignée juste assez.
Il s’avance. Il ne parle plus fort, mais sa voix vibre. Un grondement de contrôle, de désir maîtrisé. Il est debout face à moi, dominant, son torse juste au-dessus de mes yeux.
— Tu veux jouer, Mila ? Alors arrête de mentir.
Mon cœur cogne contre ma poitrine.
Mais je tiens bon.
— Et vous ? Vous ne jouez pas peut-être ? À frôler sans jamais effleurer, à prétendre ne rien voir alors que vous m’observez depuis le premier instant.
Son visage se ferme.
— Je ne joue jamais.
Sa main effleure la paroi du cockpit. Il se penche. Trop près. Je sens la chaleur de son corps, le poids de sa volonté, la violence de tout ce qu’il retient. Son genou touche presque le mien. Il sent ma respiration trembler.
Il chuchote, tout près :
— Tu veux que je dise les choses ? Que je te dise ce que je retiens depuis trois heures ?
Que je t’ordonne de te lever ?
De me faire face ?
De m’avouer à quel point t’es mouillée en ce moment ?
De te plaquer contre cette foutue porte et de t’apprendre ce que ça fait de perdre le contrôle pour de bon ?
Mon souffle s’arrête.
Je ne suis plus qu’un corps qui brûle.
Il ne m’a pas touchée.
Mais c’est pire.
Je le regarde, bouche entrouverte. J’ai chaud. J’ai honte d’avoir si envie. Mes cuisses s’humidifient dans l’uniforme. Je sens chaque battement de mon sang pulser entre mes jambes.
Il me regarde.
Et il recule.
Un pas. Puis deux.
Il détourne les yeux, violemment. Comme s’il s’arrachait à quelque chose de trop fort. Il se rassied. Reprend sa place face aux commandes. Son dos est droit. Tendu. Froid.
Il ne dit plus rien.
Je me lève.
Chaque mouvement est un effort. Comme si mon corps refusait de le quitter. Ma main tremble en allant vers la poignée de la porte.
Mais avant d’ouvrir, je souffle :
— On est déjà en train de tomber, commandant.
Je sens son corps se raidir.
Et je sors.
Je referme la porte derrière moi.
Le couloir me paraît irréel. Trop large. Trop vide. Mes jambes flanchent presque. Je m’adosse contre la cloison quelques secondes. Ferme les yeux.
J’ai vu la faille.
Je l’ai sentie.
Et si je pousse encore un peu… c’est lui qui va céder.
MILAIl est parti , me laissant seule . J'ai tellement aimé cette nuit...une nuit de pure folie . Je le sens plus que je ne l’entends.La porte claque, et pendant une seconde, tout reste figé.L’air.Mon souffle.Le monde.Mon cœur.Puis quelque chose se déchire.Lentement , brutalement , irréversiblement.Je reste là. Debout. Les bras autour de moi. Le regard rivé à la porte close. Comme si je pouvais encore le retenir rien qu’en la fixant. Comme si la force de mon désespoir allait suffire à le faire revenir.Mais Nolan est parti.Et je suis seule.La chambre est soudain immense. Trop grande pour une seule respiration. Trop vide pour une seule peau. Le silence me hurle dessus. Il prend toute la place. Il m’oppresse. Il me balance en pleine face que je viens de perdre un homme que je n’ai même pas encore appris à aimer correctement.Je titube jusqu’au lit. Mes jambes tremblent. Mon dos s’effondre. Je tombe sur le matelas encore chaud de lui. Et je m’écroule.Pas en larmes.Pas encore
NOLANLa porte claque.Et c’est comme si mon cœur, lui aussi, venait de se refermer. Définitivement.Je reste un instant figé devant. La main encore sur la poignée. Les épaules tendues. Le dos droit. Tout mon corps hurle de ne pas reculer, de frapper à cette foutue porte, de l’ouvrir, de la prendre dans mes bras et de lui dire que je me suis trompé, que je suis un lâche, que je n’ai jamais su aimer sans tout abîmer.Mais je ne bouge pas.Je me tiens là, les mâchoires serrées, incapable de respirer autrement que dans l’urgence. J’ai l’impression que si je fais un pas de plus, je vais me briser. Littéralement. Comme un mur qui craque de l’intérieur.Parce que je suis encore ce type programmé pour obéir, pour fuir ce qui déborde, ce qui brûle, ce qui dépasse les règles.Et Mila dépasse tout.Je fais un pas. Puis un autre. Comme un automate. Le couloir est trop blanc, trop long, trop silencieux. L’hôtel dort encore. Pas moi. Moi, je suis réveillé pour de bon. Déchiré. Entier dans la doule
MILAIl est encore là.Assis sur le bord du lit. Silencieux. Trop calme.Comme s’il attendait que la tempête passe.Mais je ne suis pas une tempête.Je suis un putain d’ouragan.Et cette fois, je vais tout balayer.Je me tiens droite, les bras croisés, le dos raide, comme si je pouvais ainsi contenir l’explosion intérieure. Comme si j’avais encore assez de contrôle pour rester debout alors que tout en moi hurle. Mes tripes, ma gorge, ma peau.Je le regarde. Il est trop beau. Trop calme. Trop réel.Et ça me donne envie de le gifler.— Tu devrais partir, je lâche.Il tourne la tête. Lentement. Comme s’il venait d’émerger d’un rêve. Ou d’un cauchemar. Son regard accroche le mien. Un éclat de surprise. Puis l’inquiétude. Et enfin… la résignation.— Mila…— Je t’ai dit de partir.Ma voix est plus tranchante que je ne l’aurais voulu. Mais je ne recule pas. Je ne tremble pas.Pas encore.Il se lève. Pieds nus sur le tapis beige de l’hôtel. Le dos nu. Les marques de mes ongles encore visibles
MilaIl commence à bouger.Doucement. Puis plus fort.Ses hanches claquent contre les miennes.Mes ongles griffent son dos.Mes jambes le serrent.Je veux qu’il entre plus encore.Plus fort.Plus loin.Il grogne. Il jure.Il gémit mon prénom. Encore. Encore. Encore.Il me retourne. Il me prend par derrière.Je colle ma poitrine au drap.Et il me possède avec une force animale.Puis il me ramène à lui.Assise sur ses cuisses.Je le chevauche. Je le regarde droit dans les yeux.Et c’est moi qui le prends.Il me serre. Il m’embrasse à la gorge. À la bouche. À l’âme.— Tu ne partiras plus, je murmure.Il sourit. Tremblant.— Jamais.Quand on jouit, ensemble, c’est violent.C’est viscéral.C’est trop.Et pourtant…On recommence.Encore.Plus tard.Plus doucement.Comme une pluie après la foudre.Quand l’aube glisse derrière les rideaux, il me tient toujours dans ses bras.Et cette fois, je sais.Je ne suis plus seule.9h06 – Chambre 1322 – Hôtel de TokyoJe suis réveillée, mais je ne bouge
Mila6h58 – Hôtel de transit TokyoLa lumière du matin est grise et lourde.Comme moi.Je n’ai pas fermé l’œil.Le vol s’est terminé dans un silence épais. Professionnel. Irréprochable.Nolan n’a pas croisé mon regard une seule fois.Mais je l’ai senti.Je l’ai senti derrière moi pendant le débarquement.Je l’ai senti quand il a effleuré mon épaule dans le couloir de sortie.Je l’ai senti surtout… quand il m’a ignorée volontairement dans la navette.Et maintenant, je suis là.Dans cette chambre impersonnelle, étage 12, odeur de désinfectant et de fatigue collée à la peau.Je me suis effondrée sur le lit sans enlever mes talons.J’ai les jambes encore tendues.Le ventre noué.Le sexe douloureux de ce qu’il n’a pas terminé.Il m’a laissée là-haut.Incomplète.Explosive.Et je le hais pour ça.Mais je le veux encore plus.Je ferme les yeux.Je revois son visage dans la lumière du cockpit.Sa mâchoire tendue.Son regard au bord de la rupture.Il avait craqué.Pour un instant.Pour un batt
Nolan4h26 – Cabine de repos – Vol 438 Ciel de SibérieJe suis debout, immobile, le dos contre la cloison métallique de la cabine, les bras croisés, le regard vissé à la porte.Elle est là.Derrière.Allongée, peut-être.Ou juste éveillée dans le noir, tendue comme une corde.Mila Rives.Son nom cogne à l’intérieur de ma poitrine comme un rappel constant, un battement régulier. Ce prénom m’obsède. M’infiltre. Me suit dans chaque couloir, chaque espace clos, chaque zone d’ombre.Je m’étais juré de ne jamais recommencer.Pas avec une membre d’équipage.Pas avec une femme qui me regarde comme si elle voulait me faire tomber.Et pourtant je suis là.Comme un con.Mes mains tremblent. Pas de peur. De contrôle. De désir. J’ai eu des femmes. Trop. Des corps offerts, des regards dociles. Mais Mila n’a rien de tout ça. Elle me défie. Me regarde comme si elle m’attendait déjà.Et dans ce foutu cockpit, j’ai failli craquer.J’ai senti la chaleur de sa peau, la tension dans sa gorge, cette odeur