Mila
Je reste plantée là, stupide, avec l’impression qu’il vient de me frôler la peau sans lever le petit doigt. Je cligne des yeux, puis secoue la tête. Il faut que je me concentre. L’équipage s’active. Zoé entre à son tour, avec ce sourire mielleux qu’elle ne réserve qu’aux situations où elle sent une proie à partager.
– Il est encore plus froid que ce qu’on racontait, souffle-t-elle, moqueuse. Mais canon… Tu ne trouves pas ?
Je hausse les épaules.
– Peut-être. Je le connais pas encore.
Mensonge.
Je le connais déjà trop.
Elle ricane doucement, comme si elle flairait déjà quelque chose. Zoé est fine. Belle. Toxique. Elle a le regard d’une chatte affamée et les griffes prêtes. Elle sent quand une autre femme brûle pour un homme. Et elle ne recule jamais.
– J’espère qu’il n’a pas de préférence. Ce serait dommage qu’il ne goûte pas à tout ce qu’on peut lui offrir.
Elle me lance un regard en coin, provocateur, puis disparaît vers l’arrière de la cabine.
Je reste là, seule, le souffle court. Mon uniforme me semble trop étroit. Ma peau me démange. J’ai besoin d’air. D’espace. D’un foutu orage pour faire retomber la tension.
Mais c’est lui qui revient.
Nolan sort du cockpit, son regard fixé droit devant lui. Il passe près de moi, très près. Assez pour que nos bras s’effleurent. Assez pour que l’odeur de son parfum vienne m’envelopper à nouveau. C’est subtil. Boisé. Fumé. Masculin.
Il ne me regarde pas. Pas tout de suite. Mais juste avant de franchir la porte vers la zone de service, il s’arrête. Se retourne.
– Procédez à la vérification finale. Je veux un compte-rendu clair avant la montée des passagers. Avec vous. En tête.
Son ton est sec. Sans émotion. Mais dans ses yeux, il y a autre chose.
Du défi.
Du feu.
Je hoche la tête.
– Bien, commandant.
Il incline à peine le menton. Puis il disparaît à nouveau.
Je pose une main sur la paroi froide du fuselage pour ne pas vaciller. Mes jambes tremblent. Mon cœur tambourine. Je n’ai jamais connu un tel trouble. Il me traite comme une simple membre d’équipage, et pourtant… chaque ordre claque comme une caresse brutale.
Je prends une longue inspiration.
Les passagers ne vont pas tarder. L’avion va s’emplir de bruit, de voix, de mouvements. Mais moi, je suis ailleurs.
Dans cette zone invisible entre le contrôle et la perte de soi.
Entre l’obéissance…
Et l’envie furieuse de désobéir.
2h47 – Altitude de croisière , Vol 438
Le silence dans la cabine est ponctué de ronflements discrets, du cliquetis des ceintures qu’on ajuste dans le noir, du souffle doux de l’air conditionné. Tous les passagers dorment, ou du moins essaient. La lumière tamisée baigne le couloir central d’un halo doré qui rend tout plus feutré, presque irréel.
Je vérifie une dernière fois les rideaux, les allées, les portes des compartiments arrière. Zoé est en pause dans la cabine de repos, probablement déjà déchaussée, ses bas glissés sur ses chevilles, son corps étalé dans un luxe paresseux. Je n’ai pas envie de la croiser. Pas maintenant.
Ma tête est ailleurs.
Ou plutôt... avec lui.
Depuis le décollage, Nolan est resté invisible. Aucun mot de trop, aucune familiarité. Il agit comme si je n’existais pas. Mais à chaque appel radio, à chaque échange professionnel, je sens cette tension imperceptible dans sa voix. Une retenue. Une ligne qu’il refuse de franchir.
Je déteste ce genre de tension. Je déteste... à quel point j’en ai envie.
Je m’avance vers la petite cuisine, ramasse une bouteille d’eau, et au moment où je tourne la tête, le coucou lumineux du panneau clignote.
Turbulences prévues – Veuillez rejoindre votre siège.
Je fronce les sourcils. Rien ne semblait prévu sur le radar. L’avion tremble une première fois, une secousse légère mais vive, puis une autre, plus forte. Les lumières vacillent. J'entends une bouteille tomber à l’arrière.
— Merde, je lâche à voix basse.
Un choc résonne dans l’habitacle. Une valise mal fermée s’ouvre, et l’un des compartiments au-dessus du rang 17 se déverrouille soudain. Un claquement sec, brutal.
— Attachez-vous immédiatement, annonce une voix dans le haut-parleur. Mila, en cabine centrale.
C’est lui.
Sa voix.
Tranchante.
Je cours vers le compartiment.
La turbulence suivante est plus violente. L’avion tangue brusquement. Mon épaule heurte la cloison. J’ai à peine le temps de stabiliser mon équilibre que le commandant sort du cockpit — en uniforme, mais sans sa veste, chemise blanche ouverte au col, manches relevées jusqu’aux avant-bras. Sa mâchoire est serrée.
— Bouge pas, ordonne-t-il en s’approchant du coffre ouvert.
Il attrape une sangle et l’enroule autour de la poignée du compartiment. Mais un choc violent fait décaler la valise à moitié tombée. Elle glisse et manque de frapper un passager assoupi.
Je tends la main par réflexe, pour la bloquer. Trop tard. Mon genou cède sous la pression du mouvement.
Et là, il me rattrape.
Ses bras m’enveloppent. Durs. Forts. Brûlants.
Mon dos heurte son torse, et je sens tout. Son souffle contre ma nuque. La chaleur de ses bras. Son cœur qui bat fort, très fort, contre mes omoplates. Il me tient si fermement que je ne bouge plus. Que je ne respire plus.
— Est-ce que ça va ? souffle-t-il, tout près.
Je ferme les yeux une seconde.
— Oui... Merci.
Mais il ne me lâche pas.
Ses mains glissent le long de mes bras, comme s’il vérifiait que je ne suis pas blessée. Comme s’il cherchait... autre chose. Je retiens un frisson. Mes doigts tremblent légèrement. Sa peau est brûlante contre la mienne. J’ai envie de me retourner. De le regarder. De le provoquer.
Mais je ne bouge pas. Pas encore.
MILAIl est encore là.Assis sur le bord du lit. Silencieux. Trop calme.Comme s’il attendait que la tempête passe.Mais je ne suis pas une tempête.Je suis un putain d’ouragan.Et cette fois, je vais tout balayer.Je me tiens droite, les bras croisés, le dos raide, comme si je pouvais ainsi contenir l’explosion intérieure. Comme si j’avais encore assez de contrôle pour rester debout alors que tout en moi hurle. Mes tripes, ma gorge, ma peau.Je le regarde. Il est trop beau. Trop calme. Trop réel.Et ça me donne envie de le gifler.— Tu devrais partir, je lâche.Il tourne la tête. Lentement. Comme s’il venait d’émerger d’un rêve. Ou d’un cauchemar. Son regard accroche le mien. Un éclat de surprise. Puis l’inquiétude. Et enfin… la résignation.— Mila…— Je t’ai dit de partir.Ma voix est plus tranchante que je ne l’aurais voulu. Mais je ne recule pas. Je ne tremble pas.Pas encore.Il se lève. Pieds nus sur le tapis beige de l’hôtel. Le dos nu. Les marques de mes ongles encore visibles
MilaIl commence à bouger.Doucement. Puis plus fort.Ses hanches claquent contre les miennes.Mes ongles griffent son dos.Mes jambes le serrent.Je veux qu’il entre plus encore.Plus fort.Plus loin.Il grogne. Il jure.Il gémit mon prénom. Encore. Encore. Encore.Il me retourne. Il me prend par derrière.Je colle ma poitrine au drap.Et il me possède avec une force animale.Puis il me ramène à lui.Assise sur ses cuisses.Je le chevauche. Je le regarde droit dans les yeux.Et c’est moi qui le prends.Il me serre. Il m’embrasse à la gorge. À la bouche. À l’âme.— Tu ne partiras plus, je murmure.Il sourit. Tremblant.— Jamais.Quand on jouit, ensemble, c’est violent.C’est viscéral.C’est trop.Et pourtant…On recommence.Encore.Plus tard.Plus doucement.Comme une pluie après la foudre.Quand l’aube glisse derrière les rideaux, il me tient toujours dans ses bras.Et cette fois, je sais.Je ne suis plus seule.9h06 – Chambre 1322 – Hôtel de TokyoJe suis réveillée, mais je ne bouge
Mila6h58 – Hôtel de transit TokyoLa lumière du matin est grise et lourde.Comme moi.Je n’ai pas fermé l’œil.Le vol s’est terminé dans un silence épais. Professionnel. Irréprochable.Nolan n’a pas croisé mon regard une seule fois.Mais je l’ai senti.Je l’ai senti derrière moi pendant le débarquement.Je l’ai senti quand il a effleuré mon épaule dans le couloir de sortie.Je l’ai senti surtout… quand il m’a ignorée volontairement dans la navette.Et maintenant, je suis là.Dans cette chambre impersonnelle, étage 12, odeur de désinfectant et de fatigue collée à la peau.Je me suis effondrée sur le lit sans enlever mes talons.J’ai les jambes encore tendues.Le ventre noué.Le sexe douloureux de ce qu’il n’a pas terminé.Il m’a laissée là-haut.Incomplète.Explosive.Et je le hais pour ça.Mais je le veux encore plus.Je ferme les yeux.Je revois son visage dans la lumière du cockpit.Sa mâchoire tendue.Son regard au bord de la rupture.Il avait craqué.Pour un instant.Pour un batt
Nolan4h26 – Cabine de repos – Vol 438 Ciel de SibérieJe suis debout, immobile, le dos contre la cloison métallique de la cabine, les bras croisés, le regard vissé à la porte.Elle est là.Derrière.Allongée, peut-être.Ou juste éveillée dans le noir, tendue comme une corde.Mila Rives.Son nom cogne à l’intérieur de ma poitrine comme un rappel constant, un battement régulier. Ce prénom m’obsède. M’infiltre. Me suit dans chaque couloir, chaque espace clos, chaque zone d’ombre.Je m’étais juré de ne jamais recommencer.Pas avec une membre d’équipage.Pas avec une femme qui me regarde comme si elle voulait me faire tomber.Et pourtant je suis là.Comme un con.Mes mains tremblent. Pas de peur. De contrôle. De désir. J’ai eu des femmes. Trop. Des corps offerts, des regards dociles. Mais Mila n’a rien de tout ça. Elle me défie. Me regarde comme si elle m’attendait déjà.Et dans ce foutu cockpit, j’ai failli craquer.J’ai senti la chaleur de sa peau, la tension dans sa gorge, cette odeur
MilaSes doigts s’attardent sur ma hanche. Juste un instant. Puis il s’éloigne d’un pas.— Retournez à l’arrière. J’ai besoin d’un œil dans la cabine de pilotage. L’équipage se coordonne mal, et j’ai pas envie qu’on perde le nord ce soir.Il dit ça comme s’il parlait de navigation.Mais sa voix...Elle est plus rauque.Moins en contrôle.Je me redresse. Nos regards se croisent. Longs. Silencieux. Je veux lui dire quelque chose. Je ne sais pas quoi. Que je brûle ? Que je le sens faillir ? Que je suis prête à tomber, si c’est lui qui me rattrape ?Mais je reste droite.— Reçu, commandant.Je pivote lentement et m’éloigne. Mes pas résonnent dans le couloir comme un battement de tambour.Je sens son regard sur moi jusqu’à la dernière seconde.Et ce que j’ai lu dans ses yeux, ce que j’ai senti dans ses bras...Ce n’était pas du contrôle.C’était un dérapage.Un souffle de désir.Une faille.Et moi, Mila Rives,je suis prête à m’y engouffrer.3h12 – Cockpit – Vol 438 – Altitude de croisière
MilaJe reste plantée là, stupide, avec l’impression qu’il vient de me frôler la peau sans lever le petit doigt. Je cligne des yeux, puis secoue la tête. Il faut que je me concentre. L’équipage s’active. Zoé entre à son tour, avec ce sourire mielleux qu’elle ne réserve qu’aux situations où elle sent une proie à partager.– Il est encore plus froid que ce qu’on racontait, souffle-t-elle, moqueuse. Mais canon… Tu ne trouves pas ?Je hausse les épaules.– Peut-être. Je le connais pas encore.Mensonge.Je le connais déjà trop.Elle ricane doucement, comme si elle flairait déjà quelque chose. Zoé est fine. Belle. Toxique. Elle a le regard d’une chatte affamée et les griffes prêtes. Elle sent quand une autre femme brûle pour un homme. Et elle ne recule jamais.– J’espère qu’il n’a pas de préférence. Ce serait dommage qu’il ne goûte pas à tout ce qu’on peut lui offrir.Elle me lance un regard en coin, provocateur, puis disparaît vers l’arrière de la cabine.Je reste là, seule, le souffle cou