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Chapitre 4— Le poids du désir

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-06-29 23:43:56

Aya

Les nuits dans ce foyer sont longues et froides, même en été.

Le vent s’engouffre par les fissures des fenêtres, glissant comme un souffle invisible, froid et insistant.

Les murs sont fins comme du papier, presque transparents, et les bruits des autres filles traversent le silence avec une brutalité sourde.

Parfois, dans l’obscurité, je tends l’oreille.

Je capte leurs soupirs, leurs sanglots étouffés, leurs respirations haletantes et inégales.

Des murmures d’amour volé, de douleur enfouie, de besoin vital.

Je ne sais pas encore comment parler de tout ça.

Comment mettre des mots sur ce poids nouveau qui s’installe dans mon ventre,

cette chaleur, ce feu qui danse sous ma peau, qui me brûle et me fait tourner la tête.

Au début, je pensais que ce corps était une arme.

Un outil, un simple outil pour survivre dans ce monde brutal et sans pitié.

Mais peu à peu, il devient autre chose.

Un territoire inconnu.

Une énigme.

Un mystère profond qui m’attire et me terrifie à la fois.

Ce soir-là, seule dans la salle de bain, j’ai fermé la porte à double tour.

Je voulais me retrouver, me perdre un peu aussi.

Défaire les nœuds serrés par la fatigue, la peur, la honte.

M’immerger dans l’eau tiède, laisser mes muscles raides se délasser enfin.

Sous le jet d’eau, le ruissellement glissait sur ma peau.

Il emportait la poussière, la sueur, la peur.

Mais pas les souvenirs.

Ils restaient collés à mes pores, murmurant leurs blessures,

réveillant parfois des éclairs douloureux.

Je me suis laissée glisser contre le carrelage froid.

Mes paupières se sont fermées.

Et alors… j’ai senti.

Une vibration.

Douce. Confuse.

Elle partait de mon ventre, remontait lentement,

m’enveloppait tout entière comme un voile léger et électrique.

Un frisson parcourait chaque centimètre de ma peau.

Je ne savais pas si c’était la peur, le désir, ou peut-être les deux en même temps.

Mes doigts ont glissé sous l’eau,

puis sous la robe rouge que j’avais rapportée du bar.

Ils ont effleuré ma peau nue.

Comme pour vérifier qu’elle était encore là.

Qu’elle n’avait pas disparu sous les plaies du passé.

Jamais je n’avais pensé à ça avant.

Jamais je n’avais imaginé que mon corps pourrait me faire sentir vivante, vibrante, désirée de l’intérieur.

Le regard des hommes, leurs mains, leur souffle…

Ils m’avaient toujours fait peur ou dégoût.

Mais ce soir, dans cette intimité silencieuse sous la douche,

c’était différent.

J’étais seule.

Je pouvais choisir.

Et cette idée m’a troublée, déstabilisée.

J’ai fermé les yeux, laissé ma main glisser,

découvrant un territoire inconnu que j’avais toujours fui.

Les jours suivants, j’ai commencé à observer davantage.

Les femmes du foyer, les filles du quartier, les danseuses du bar.

Certaines portaient leur corps comme une armure,

d’autres offraient des sourires qui semblaient cacher des histoires d’ombre et de lumière.

Je voulais comprendre.

Comment ce poids du désir pouvait devenir une force.

Comment on pouvait s’en servir sans se perdre.

Sans que le feu ne consume tout.

Je me suis surprise à rêver.

Non pas d’un prince charmant,

mais d’une lumière douce qui viendrait à moi,

qui ne chercherait pas à me briser,

mais à me relever, à me tenir debout.

J’avais envie qu’on me regarde autrement.

Pas comme un objet,

pas comme une chose à vendre ou à dominer,

mais comme une femme qui sait ce qu’elle veut,

qui tient son propre feu.

Un soir, alors que la ville s’enroulait dans la nuit chaude et moite,

j’ai croisé un homme dans une ruelle mal éclairée.

Il n’était pas comme les autres.

Il portait sur lui un silence profond, presque tangible.

Ses yeux brillaient d’une lumière calme, ni froide ni cruelle,

mais intense et vraie.

Il s’est arrêté, m’a regardée longtemps,

sans juger ni désirer.

Juste regarder.

Je n’ai pas eu peur.

Il a murmuré un mot en italien, doux et lent,

que je n’ai pas compris.

Puis, comme une ombre, il s’est fondu dans la nuit.

Mais quelque chose est resté.

Une promesse inachevée, un écho.

Je suis retournée dans ma chambre, mon sanctuaire dur et silencieux.

Je me suis allongée sur le matelas rugueux.

Les pensées tourbillonnaient dans ma tête, chaotiques, lumineuses.

Mon corps s’est réveillé à nouveau.

Une étincelle, une flamme qu’on ne peut plus éteindre.

Je ne voulais plus fuir ce feu.

Je voulais apprendre à l’apprivoiser.

À le faire mien.

À le transformer en force.

Ce n’était pas la fin de mes douleurs,

mais le début d’une autre bataille.

Une bataille où, peut-être, je pourrais gagner.

Demain, j’irai danser à nouveau.

Pas seulement pour l’argent.

Pour moi.

Pour la première fois.

La nuit est tombée sur Naples, lourde et épaisse comme un voile de soie noire.

Dans l’air flotte un mélange d’odeurs — la mer proche, les ruelles chaudes, la promesse d’un danger caché.

Je traverse les rues, le corps habillé de la robe rouge que j’ai apprise à dompter.

Chaque pas me rapproche un peu plus d’un monde dont je ne connais rien,

un monde où l’argent scintille et où les regards sont des armes affûtées.

Je suis au bar où je travaille depuis quelques semaines maintenant.

L’endroit est enfumé, bruyant, saturé de lumière tamisée et de murmures chargés de désirs inavoués.

Le patron m’a laissé un sourire complice en passant,

mais je sais que ce soir sera différent.

Quelque chose dans l’air, dans mes entrailles, me dit que je ne suis plus simplement une danseuse parmi d’autres.

Je m’installe au comptoir pour servir, mes mains expertes glissant sur les verres, les bouteilles, les billets.

C’est alors que je le vois.

Il est là, seul, dans un recoin sombre, un verre à la main.

Salvatore Neri.

Son nom circule en murmures dans les cercles fermés.

Homme d’affaires puissant, mystérieux, dont les mots commandent des empires entiers.

Lui, l’homme qu’on dit insaisissable, distant, inatteignable.

Mais ce soir, ses yeux croisent les miens.

Un feu froid, une flamme distante qui brûle silencieusement.

Je sens un frisson remonter le long de ma colonne vertébrale.

Pas de peur.

Plutôt un appel sourd, profond, presque hypnotique.

Il se lève, lentement, avec cette aisance qui vient de la puissance tranquille.

Il traverse la salle comme une ombre,

et ses pas mènent droit à moi, au bord du comptoir.

— Tu danses bien, murmure-t-il en italien, la voix basse, veloutée.

Je ne réponds pas tout de suite,

mon souffle court, mes muscles tendus,

comme si le simple son de sa voix réveillait quelque chose en moi que j’avais cru éteint.

— Tu t’appelles comment ? demande-t-il.

— Aya, je réponds, la voix presque étranglée.

Il sourit, ce sourire qui ne touche pas encore ses yeux,

et il s’installe à côté de moi, comme si j’étais la seule femme dans cette pièce.

Le temps se suspend.

Il commande un verre de vin rouge, puis un autre,

mais je ne peux détacher mes yeux de lui.

Je lis dans ses traits la même fatigue que dans la mienne,

la même lutte silencieuse contre des démons invisibles.

Il parle peu.

Mais quand il le fait, ses mots sont des caresses ou des ordres,

un mélange enivrant qui me déstabilise et m’enflamme à la fois.

— Tu sais, Aya, dit-il finalement,

le monde est un jeu cruel.

Ceux qui savent jouer gagnent.

Les autres…

disparaissent.

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