Aya
Le jour s’est levé sur un silence étrange.
Ni pesant, ni paisible.
Un silence suspendu. Comme s’il attendait, lui aussi, que quelque chose cède ou commence.
Je suis seule dans cette suite encore imprégnée de son odeur.
Le drap froissé garde l’empreinte de son corps.
Le miroir face au lit me renvoie une image que je ne reconnais qu’à moitié.
Quelque chose a changé.
Je me lève nue, sans hâte.
Mes gestes sont lents, habités.
Chaque mouvement semble plus réel que d’habitude.
Comme si, pendant la nuit, ma peau avait appris à redevenir mienne.
Pas par oubli.
Mais par contact.
Je marche pieds nus sur les dalles froides.
J’ouvre une fenêtre.
L’air entre avec brutalité, vif, chargé de sel et d’échos.
Je respire profondément.
Ce matin, je ne fuis pas.
Je ne me cache pas.
Je m’approche d’une petite table en bois près du canapé.
Là, un mot.
Plié avec soin.
Pas un mot doux. Pas une promesse. Juste une adresse.
Un lieu. Et une heure.
20h. Ne sois pas en retard.
S.
Je souris malgré moi.
Il n’est pas du genre à s’épancher.
Mais ce rendez-vous est une offrande.
Un fil tendu entre sa solitude et la mienne.
Je m’habille lentement, comme on se rhabille après une mue.
Mes vêtements semblent plus lourds qu’hier, comme si mon corps s’était alourdi d’un secret.
Je ramasse mes affaires. Je referme la porte.
Mais quelque chose reste là.
Suspendu.
Une part de moi.
Ou peut-être une part de lui.
Salvatore
Je l’observe à travers la vitre teintée de la voiture.
Elle ne sait pas que je suis là.
Pas encore.
Elle marche d’un pas ferme, la tête haute, comme si chaque rue lui appartenait.
Mais je vois la tension dans ses épaules.
La prudence dans ses gestes.
Elle se croit libre.
Elle ne l’est plus.
Elle n’a pas encore compris qu’elle est entrée dans mon monde.
Et que dans mon monde, les choses qu’on touche… ne s’oublient pas.
Je n’aurais pas dû lui donner ce lieu.
Ce rendez-vous.
Je le sais.
Ce genre de geste me ressemble trop peu.
Je suis un homme de frontières.
D’armures.
De murs épais derrière lesquels je garde mes démons en laisse.
Mais elle…
Elle défait mes certitudes comme on défait une boucle de ceinture.
Avec lenteur.
Avec ce regard qui vous dépouille sans vous briser.
Avec cette façon de respirer, comme si elle ne m’appartenait pas et qu’elle me défiait d’essayer.
Je ferme les yeux un instant.
Je revois ses mains, ses soupirs, ce corps contre le mien.
Elle était plus forte que je ne l’aurais cru.
Et plus fragile que je ne voulais l’admettre.
Je suis en train de faire une erreur.
Et je m’y accroche comme à une vérité.
Aya
L’adresse indiquée m’amène dans un quartier en hauteur.
Vieux bâtiments. Grilles rouillées.
Des escaliers de pierre rongés par le sel et les années.
Une terrasse surplombe tout Naples.
La ville s’étire en contrebas, baignée dans une lumière orangée de fin de jour.
Le ciel fond lentement dans la mer.
Il est là.
Seul.
Appuyé contre la balustrade en pierre.
Le vent soulève légèrement les pans de sa veste.
Ses cheveux noirs sont décoiffés par le vent.
Il n’essaie pas de lutter contre lui.
Il se retourne en m’entendant approcher.
Ses yeux me traversent.
— Tu es venue.
Je ne réponds pas.
Je m’approche.
Assez près pour sentir son parfum.
Assez près pour que le silence soit plus parlant que n’importe quelle phrase.
Il ne sourit pas.
Mais je vois l’éclat dans ses yeux.
Une chaleur rare. Troublante.
— Tu n’as pas peur de moi ?
Sa voix est basse, presque rauque.
Je soutiens son regard.
— Je devrais ?
Un silence.
Un battement de cœur.
Puis il hoche la tête, lentement.
— Oui.
Je réponds sans trembler :
— Je ne fuis plus. Pas ce genre de peur.
Il s’approche d’un pas.
Pose deux doigts contre ma joue.
Le contact est léger, mais il me foudroie.
— Je pourrais tout détruire. Tu sais ?
Je pourrais te prendre, te brûler, et te laisser en cendres.
Je déglutis.
Je devrais reculer.
Mais je reste là.
— Et si je préférais brûler que de rester glacée ?
Il reste figé un instant.
Puis son regard se durcit.
Pas par violence.
Par intensité.
Ses lèvres se posent sur les miennes, et tout bascule.
Ce n’est pas un baiser tendre.
C’est une déclaration de guerre.
Un pacte silencieux entre deux êtres qui savent que ce n’est pas l’amour qui les sauvera.
Mais l’abandon.
Salvatore
Je l’embrasse comme on défie la mort.
Avec violence et besoin.
Avec la peur de tout perdre, et celle, plus grande encore, de tout ressentir.
Elle ne se dérobe pas.
Elle me rend chaque baiser avec une ardeur farouche, animale.
Comme si elle comprenait.
Comme si elle acceptait.
Je la plaque doucement contre le mur de pierre.
Mes mains glissent sous sa veste.
Sa peau est brûlante.
Ma bouche descend sur son cou, s’y perd.
Elle ferme les yeux, mais elle ne fuit pas.
Elle ouvre son corps, mais pas son désespoir.
Je murmure à son oreille, presque malgré moi :
— Tu ne sais pas où tu mets les pieds.
Elle me regarde droit dans les yeux.
Et dit :
— Si. C’est toi. Et c’est exactement là que je veux être.
Aya
Cette nuit-là, il ne m’emmène pas dans un lit.
Pas tout de suite.
Il me parle.
De son passé. D’un frère mort trop jeune.
D’un père trop dur.
De décisions prises trop tôt.
De violence et d’héritage.
De pactes qu’il a dû faire avec le diable pour survivre.
Il ne cherche pas à me faire pleurer.
Il ne cherche même pas à me convaincre.
Il me montre. Ce qu’il est. Ce qu’il cache.
Et ce qu’il n’a encore jamais donné.
Moi, je reste.
Je l’écoute.
Je pose ma tête contre son épaule.
Et je murmure :
— Tu n’es pas obligé d’être seul dans l’ombre. Pas avec moi.
Je le sens se tendre.
Comme s’il ne savait pas quoi faire de cette phrase.
Comme si elle était trop douce pour son monde.
Mais il ne la rejette pas.
Il la garde.
Entre ses côtes.
Comme une brûlure qui soigne.
Salvatore
Quand elle s’endort dans mes bras, je comprends.
Ce n’est plus une distraction.
Ce n’est plus un jeu.
Elle est devenue un point fixe dans mon chaos.
Un centre de gravité.
Un danger immense.
Mais aussi… une échappée.
Je regarde son visage endormi, si calme, si fragile.
Et je me demande ce que je vais devenir.
Avec elle.
Contre elle.
À cause d’elle.
Je ne sais pas combien de temps nous avons.
Ni si j’ai le droit de croire à cette lumière.
Mais cette nuit, je la choisis.
Et je la garde.
Contre moi.
Dans le silence.
Là où tout commence.
ISABELLAJe reste immobile, mes lèvres encore brûlantes du baiser volé, son souffle toujours sur ma peau, mais déjà je sens le monde basculer, l’air se refroidir, se tendre comme une corde prête à se rompre. Ses doigts se crispent sur mes bras, non plus hésitants mais fermes, tranchants, et ses yeux se durcissent en un instant, reprenant cette froideur qui m’avait manqué une seconde plus tôt.— Isabella…, répète-t-il, mais cette fois son ton n’est plus troublé, il est glacé, lourd d’une menace qui me coupe presque le souffle.Je tente de sourire, d’y lire autre chose, mais son regard m’écrase, implacable.— Ne refais jamais ça, souffle-t-il, bas, tranchant, chaque mot comme une lame.Mon cœur se serre mais je refuse de baisser les yeux. Je sens Aya, derrière, retenir son souffle, presque haletante, ivre de vengeance silencieuse. Elle se nourrit de ma chute, je le sais, mais je ne peux pas lui offrir ce spectacle.Je m’avance d’un demi-pas, mes doigts osant remonter le long de sa chemi
ISABELLALe lendemain, l’aube me trouve déjà éveillée, incapable de dormir tant le plan que j’ai dessiné toute la nuit pulse dans mes veines comme une drogue. Chaque fibre de mon corps sait que je dois frapper vite, que la première impression doit marquer Salvatore au fer rouge. J’ouvre ma penderie comme on ouvre un arsenal, mes yeux parcourant les tissus comme s’ils étaient des armes, des lames, des poisons. Rien n’est laissé au hasard.Je choisis une robe noire, ajustée, qui épouse ma taille et laisse deviner mes hanches avec une élégance maîtrisée, pas de provocation vulgaire mais la suggestion calculée d’un désir qui ne demande qu’à éclore. Le tissu glisse sur ma peau avec un frisson, je sens déjà l’effet qu’il aura quand j’entrerai dans son bureau. Mes cheveux, je les laisse libres, disciplinés mais souples, une cascade sombre qui encadrera mon visage comme un voile à lever. Mon parfum, je l’applique avec soin, discret mais entêtant, assez pour hanter l’air autour de moi sans l’a
ISABELLAJe referme la porte de ma chambre derrière moi et le cliquetis du verrou me semble à la fois protecteur et suffocant. Je reste un instant immobile, le dos collé contre le bois froid, les mains crispées sur les draps pliés sur la chaise. Mon esprit est un tourbillon, une tempête de peur, de colère et d’opportunité. Tout est fini et rien n’est fini à la fois. Salvatore est parti, mon père m’a ordonné de céder, mais je refuse de disparaître dans ce rôle d’obéissante qui m’écrase déjà. Je dois reprendre quelque chose de mon destin, même si ce quelque chose est tordu, même si ce quelque chose est dangereux.Je marche lentement jusqu’au bureau dans un coin de ma chambre, et je m’assois, les coudes appuyés sur le bois lisse, le menton dans mes mains. Je pense à Salvatore. Son visage me revient net, froid, distant, comme un mur que je devrais franchir mais qui me renvoie. Je devrais pleurer, hurler, fuir, mais aucune de ces options n’est possible. Tout ce que j’ai à faire, c’est tran
ISABELLAJe pousse la porte du bureau de mon père, le cœur encore en désordre, mes pas hésitants trahissant le tumulte de mes pensées. Salvatore… il est parti, laissant derrière lui ce vide que je croyais impossible à combler, mais ce n’est pas le silence qui m’oppresse le plus, c’est ce que je dois annoncer maintenant, la vérité que je n’ai même pas eu le courage de formuler à voix haute jusqu’ici.— Père… je…Je m’arrête, incapable de former une phrase complète, mes doigts jouant nerveusement avec le bord de ma robe, et je sens le regard de mon père peser sur moi, lourd, évaluateur, inquiet. Il lève un sourcil, et je comprends qu’il a deviné avant même que je ne parle.— Qu’y a-t-il, Isabella ? ta voix hésitante me fait mal.Je prends une inspiration, le souffle court, et je me lance :— Salvatore… il… il veut mettre fin à notre relation.Les mots résonnent dans la pièce, et j’ai l’impression qu’ils tombent sur un sol de verre, fragile, fissuré, prêt à céder. Mon père reste silencie
AYASon regard ne me lâche plus, il me cloue à ce canapé comme si mes jambes s’étaient dissoutes dans le tapis épais, et quand il se rapproche encore, quand son ombre dévore presque la lumière filtrée par les parois de verre, je comprends que la frontière invisible que je m’efforçais de maintenir vient de s’effondrer .Il s’assied à côté de moi, sans précipitation, le poids de sa présence suffit à faire trembler l’air, et sa cuisse touche presque la mienne, assez pour que je sente la chaleur qui s’en dégage, pas assez pour que je puisse prétendre que ce n’est qu’un hasard .— Tu crois vraiment que c’est toi qui choisis quand je franchis la distance ? dit-il à voix basse, si basse que je dois tendre l’oreille, et ce simple effort me fait basculer vers lui .Je déglutis, mon souffle se raccroche à ma gorge— Ce n’est pas toi qui décides de tout .Il rit doucement, un rire sans éclat, mais qui vibre comme une lame qu’on aiguise .— Alors dis-moi, Aya… qu’est-ce qui m’échappe ? Qu’est-ce
AYALe silence retombe comme une chape de plomb, et pourtant il n’a plus la même texture qu’avant son entrée, il est saturé de ce qui a été vu, de ce qui a été tu, de ce qui désormais existe au-delà de nous deux. J’ai envie de baisser les yeux, de me faire petite, mais je sens que ce serait une faiblesse qu’il ne tolérerait pas, alors je fixe mes mains crispées sur mes genoux comme si j’y accrochais ma dignité.Il s’appuie contre le dossier de son fauteuil, ses coudes posés sur les accoudoirs, ses doigts joints, et ses yeux rivés à moi avec une intensité qui m’oblige à respirer plus lentement, plus fort, comme si l’air devenait rare.— Elle t’a vue, dit-il enfin, sa voix basse et égale. Elle t’a vue, et elle a compris.Je relève la tête malgré moi, piquée par cette affirmation nue.— Compris quoi ?Un sourire effleure ses lèvres, froid et sûr.— Que tu es à ta place. Ici. Avec moi.Je secoue imperceptiblement la tête, mon cœur cogne contre mes côtes.— Tu ne m’as rien présenté… tu n’a