La pleine lune dominait la nuit, baignant la forêt d’une lueur spectrale. Le vent soufflait doucement à travers les branches noueuses, portant avec lui des murmures inaudibles, comme si la terre elle-même retenait son souffle.
Au cœur de la tanière sacrée, là où les générations de Keibsters s’étaient succédé, les anciens s’étaient réunis. Le cercle était formé, leurs silhouettes immobiles, imposantes, chacune marquée par le poids des siècles. Leur fourrure portait les cicatrices de leur règne, leurs prunelles pâles reflétaient une sagesse souvent cruelle.
Au centre, Ramba, l’Alpha, se tenait sur son rocher de chef, dominant l’assemblée. Son pelage sombre contrastait avec la clarté lunaire, sa présence imposante soufflant le respect, mais aussi la défiance.
L’un des plus vieux loups, au museau marqué de gris et à la voix profonde, brisa le silence.
— Ta fille n’est pas digne de nous mener. Son cœur est faible. Elle doute, elle hésite, et elle remet en question ce qui fait notre force.
D’autres hochaient lentement la tête, leurs regards se posant sur Ramba comme un avertissement. Ce n’était pas une simple discussion. C’était un jugement.
Ramba ne répondit pas tout de suite. Il leva le museau vers la lune, comme s’il y cherchait une réponse que lui seul pouvait comprendre. Puis son regard descendit à nouveau sur ses frères de meute, vibrant de détermination.
— Mon sang ne connaît pas la faiblesse. Alma est ma fille, et elle portera notre héritage, qu’elle le veuille ou non.
Un grondement parcourut le cercle, une onde de tension qui s’étendit dans l’air nocturne.
Un autre ancien, plus jeune mais tout aussi influent, avança d’un pas.
— Elle a défié la chasse. Elle a hésité face à une proie.
Ramba plissa les yeux, son souffle lent et contrôlé.
— Elle est différente, mais cela ne fait pas d’elle une ennemie.
— Cela fait d’elle un danger, répliqua le vieux loup.
Le silence s’épaissit, lourd de conséquences.
Ramba savait qu’il défendait bien plus que le nom de sa fille. Il défendait son propre honneur, sa propre vision du pouvoir.
Mais les anciens étaient nombreux.
Et ils n’abandonneraient pas leur défiance si facilement.
Un murmure glacé parcourut l’assemblée des anciens, une onde de stupeur et de colère à peine contenue.
Kaelen s’était avancé dans le cercle sans hésitation, le regard dur, la voix posée mais tranchante lorsqu’il révéla ce qu’il avait vu.
— Alma n’a pas seulement hésité lors de la chasse, déclara-t-il. Elle a failli avertir les humains, leur donner une chance de fuir avant que la meute ne les atteigne.
Des grondements s’élevèrent parmi les anciens, certains plus audibles que d’autres.
— Une trahison.
— Inacceptable.
— Elle met en péril nos traditions.
Ramba, toujours debout sur son rocher de chef, resta silencieux. Mais alors que les murmures s’intensifiaient, il baissa lentement la tête.
Un poids terrible s’abattit sur ses épaules.
Il savait qu’Alma était différente. Il l’avait toujours su. Son regard sur le monde n’était pas celui d’une Keibster pure souche, elle possédait un fragment d’humanité qu’il n’avait jamais su expliquer.
Mais jamais il n’aurait imaginé qu’elle irait jusqu’à défier l’un des principes les plus fondamentaux de leur existence.
Les anciens attendaient une réponse.
Ramba inspira profondément avant de relever les yeux.
Son sang lui appartenait. Il devait le défendre.
Mais pour la première fois, un doute s’insinuait en lui.
Et il savait que la meute ne tolérerait pas une faiblesse dans la lignée du chef.
La tension était palpable, lourde comme un orage prêt à éclater. La pleine lune, suspendue au-dessus du cercle des anciens, projetait une lumière spectrale sur les visages sévères des loups rassemblés.
Ramba, l’Alpha, se dressait sur son rocher de chef, dominant la scène de toute sa stature. Ses muscles tendus sous sa fourrure sombre traduisaient une colère contenue, une fureur qui montait à mesure que les anciens remettaient en cause l’honneur de son sang.
Soudain, son hurlement éclata dans la nuit, un cri profond et puissant, faisant vibrer la terre sous leurs pattes. Les jeunes loups endormis dans leurs tanières frémirent sous cette onde sonore, et même les plus expérimentés des anciens ne purent ignorer l’intensité de cette démonstration de pouvoir.
— Silence ! rugit-il, son souffle court mais sa voix implacable.
Il balaya l’assemblée de son regard brûlant, cherchant à écraser toute opposition sous son autorité incontestée.
— Je suis votre chef. Et personne ici n’a le droit de remettre en cause l’héritière de mon sang. Alma dirigera cette meute, qu’elle le veuille ou non, et vous tous devrez la respecter.
Son ton était tranchant, définitif, mais les anciens ne se laissèrent pas intimider si facilement.
L’un d’entre eux, un loup à la fourrure grisonnante et aux yeux pâles marqués par les années, avança légèrement, plantant ses griffes dans la terre meuble avec une détermination glaciale.
— Être Alpha ne signifie pas que ton sang est au-dessus des lois de notre meute, Ramba.
Un autre ancien, aux crocs usés mais à la voix ferme, renchérit.
— Tu peux nous imposer ton autorité, mais tu ne peux pas nous imposer une héritière trop faible pour régner.
Les murmures se firent plus audibles, des mouvements discrets trahissant les doutes qui s’insinuaient dans l’esprit des plus jeunes loups.
Ramba sentit son souffle se raccourcir, sa rage bouillir en lui.
Il savait qu’il devait défendre Alma, mais il savait aussi que plus il s’opposait aux anciens, plus le doute prenait racine dans la meute.
Et ce doute, s’il grandissait, pourrait être bien plus dangereux que n’importe quelle menace extérieure.
Il devait agir, avant que son propre pouvoir ne vacille.
La vieille louve, connue sous le nom de Sylvara, avançait lentement au centre du cercle. Son pelage était marqué par l’âge, mêlé de gris et d’argent, et ses prunelles, d’un bleu pâle presque irréel, semblaient voir bien au-delà du présent.
Alors que les murmures s’agitaient encore autour d’elle, elle leva légèrement le museau, imposant le silence par sa seule présence.
— Il n’y a qu’une seule façon de répondre à ce doute, déclara-t-elle dans un calme absolu.
Les autres anciens s’immobilisèrent, attentifs.
Sylvara tourna son regard vers Ramba, puis vers l’ensemble de la meute.
— Alma doit passer l’épreuve de la Lune Sanglante.
Un frisson parcourut les loups rassemblés. Certains hochèrent la tête en signe d’approbation, tandis que d’autres semblaient troublés.
L’épreuve de la Lune Sanglante était ancestrale, redoutée. Peu de loups avaient eu à l’affronter.
Sylvara continua, sa voix posée mais implacable.
— Elle devra quitter la forêt et vivre parmi les humains. Son objectif sera clair : ramener une âme à la meute, prouver que son cœur est assez fort pour régner.
Ramba ne répondit pas immédiatement. Il savait ce que cette épreuve signifiait : Alma serait livrée à elle-même, loin de la protection de la meute. Elle devrait survivre, comprendre la nature humaine, manipuler ceux qu’elle devait chasser et revenir avec une preuve de sa force.
Kaelen, toujours droit, regarda son Alpha avec une lueur d’approbation.
— Si elle échoue, murmura-t-il, alors nous aurons notre réponse.
Ramba ferma les yeux un instant. Il n’avait pas le choix.
Il inspira profondément avant de rouvrir les yeux et de prononcer les mots qui scelleraient le destin de sa fille.
— Soit. Alma passera l’épreuve de la Lune Sanglante.
Et ainsi, son avenir bascula.
La forêt allait bientôt cesser d’être son seul monde.
Ezra bondit sur son lit après avoir raccroché, le téléphone encore chaud dans sa main. Il s’allongea sur le dos, les bras écartés, les yeux fixés au plafond comme s’il espérait y lire une réponse. Son souffle était rapide, agité, et ses pensées débordaient de questions sans fin.– Où est-ce que t’es passée, Alma… murmura-t-il, la voix pleine d’inquiétude. Tu peux pas juste disparaître comme ça.Il se redressa brusquement, s’assit au bord du lit, les coudes sur les genoux.– J’te jure… j’te jure que je donnerais tout pour te retrouver. Tout.Sous le lit, Alma tressaillit. Chaque mot d’Ezra résonnait dans sa poitrine comme une caresse douloureuse. Elle voulait lui répondre. Lui dire qu’elle était là, juste là, à quelques centimètres de lui. Mais la peur la clouait. Et si sa présence le mettait en danger ? Et s’il ne comprenait pas ? Et s’il la rejetait ?Elle serra les dents, ferma les yeux. Son corps était recroquevillé, son souffle court. L’espace sous le lit devenait de plus en plus
Gracia sentit son pouls s'accélérer. La vision l'avait laissée bouleversée, mais ce n'était pas la peur qui l'agitait — c'était l'urgence. Quelque chose en Kaelen, dans son regard glacé et sa présence menaçante, l'avait prévenue : Alma courait un danger qu’elle seule pouvait comprendre. Et même si elle l'avait ignoré, au fond, elle ne voulait pas la mettre en danger. Elle l'aimait comme une mère aime sa fille. Elle ne pouvait pas le cacher. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu’elle tira doucement le téléphone d’Ethan de la poche de sa veste, posée sur le muret. Elle l’ouvrit rapidement, parcourant les contacts jusqu’à trouver celui d’Alma. Elle tapa sans perdre de temps.''Quelqu’un est venu. Je crois qu’il te cherche. Fais attention.''Elle appuya sur envoyer. À peine le message partit que la porte arrière s’ouvrit.Ethan apparut sur le seuil, une pomme à moitié croquée dans la main, les sourcils froncés.– Qu’est-ce que tu fais avec mon téléphone ? Rends le moi maman. Tu abuses
Alma resta longtemps immobile, seule avec l’écho des paroles de Gracia qui continuaient à tourbillonner dans son esprit. La grotte semblait figée dans le temps, mais en elle, tout bouillonnait. Chaque mot prononcé revenait avec le poids de ce qu’elle voulait croire, ce qu’elle avait déjà cru, et ce qu’on tentait de lui arracher.Ses doigts tremblaient encore autour du cristal. Ce n’était pas la peur, ni la colère. C’était cette tension intérieure, ce conflit entre ce qu’on lui disait et ce qu’elle ressentait profondément. Elle ne savait plus si elle doutait des mots de Gracia ou de sa propre intuition.Il y avait une fatigue sourde dans son corps, comme si la certitude qu’elle avait chérie s’était effondrée, et qu’elle se tenait désormais dans les décombres. Pourtant, elle ne pouvait renoncer. Ethan n’avait peut-être pas le sang royal, mais il avait quelque chose de plus rare — une force qui ne se prouvait pas par les lignées mais par les choix, les silences, les regards portés quand
Alma ne recula pas. Elle observait chaque réaction, chaque frémissement dans les yeux de cette femme. Elle y lut quelque chose qui ne pouvait pas être feint. Une onde de choc, profonde, viscérale. — Il est mort il y a deux hivers, dit Alma d’une voix plus douce. Dans un affrontement contre Kaelen. même si les autres pensent que c'était une mort naturelle d'un combat contre les humains. moi je sais que c'est kaelen. C’est ce qui a scellé la prise du trône. Et ce pourquoi je suis ici. En fuite. Le souffle de Gracia se coupa net. Elle posa une main contre sa bouche, ses yeux brillants, son esprit submergé par les souvenirs qui remontaient d’un puits qu’elle avait scellé depuis trop longtemps. Et dans cet instant suspendu, au cœur de la grotte endormie, quelque chose se fissura. Un pan du passé. Une faille dans le silence. Gracia tomba sur ses genoux. Ses mains heurtèrent le sol de la grotte avec un bruit sourd. Ses doigts s’écrasèrent contre la terre encore froide. Elle ne pleurait
Et dans le silence qui suivit, le passé frappa doucement à sa porte. Au moment où la ligne coupa, Gracia resta immobile, le téléphone encore pressé contre son oreille. Son cœur battait plus vite qu’elle ne voulait l’admettre. Cette voix… elle avait quelque chose de familier et d’oublié. Quelque chose d’ancré dans un passé qu’elle avait tenté d’effacer. Elle reprit son souffle et tapa rapidement un message de réponse, se faisant passer pour Ethan. Les mots étaient simples, courts, maîtrisés : « Je ne peux pas parler. Ma mère est endormie pas loin. On se retrouve à l’endroit habituel. Je viendrai avec ce qu’il faut. » Puis elle localisa le point d’émission de l’appel — un signal triangulé en bordure du parc forestier, juste derrière le musée. Là où se trouvait cette fameuse grotte. Elle resta assise un moment, dans la pénombre de son bureau, les doigts crispés sur le bois du bureau. Elle savait ce qu’elle allait faire. Pour avoir aimé un loup autrefois, elle connaissait leur regard.
Ethan regarda profondément sa mère, le souffle court, les yeux noyés d’émotions contradictoires. Puis, d’une voix retenue, presque fragile, il demanda : — Il s’agissait d’un frère… ou d’une sœur ? Gracia détourna les yeux. Son regard se posa sur la table en bois, usée par les années, puis glissa jusqu’à la fenêtre où dansaient encore les ombres de la nuit. Elle sembla chercher ses mots, mais rien ne vint tout de suite. Finalement, dans un souffle brisé : — Je ne sais pas. Ils… ils ne me l’ont pas dit. À peine l’enfant est sorti de mon ventre… qu’on me l’a déjà pris. Elle serra les bras contre sa poitrine, comme pour retenir une douleur ancienne, toujours vive. Les larmes glissèrent sans bruit sur ses joues fatiguées, creusées par les années de silence. Sa tête s’inclina doucement, comme alourdie par le poids d’un souvenir trop longtemps enfoui. — J’ai hurlé. Supplié. Mais ils ne m’ont rien laissé. Ni prénom, ni regard, ni certitude. Il… ou elle… a disparu aussitôt. Comme s’il… co