MasukSofiaJe suis dans notre chambre . Les boîtes siglées forment une pyramide absurde dans un coin, monument de notre folie passagère. Je ne les touche pas. Je reste près de la fenêtre, les paumes contre la vitre froide, cherchant à calmer le chaos intérieur laissé par ses mots.Tu me manquais.Une simple phrase. Une brèche ouverte dans la glace entre nous, révélant un vertige que je ne sais pas encore affronter.Un coup léger à la porte. Ma mère. Son visage, dans l’encadrement, a perdu la légèreté factice de l’après-midi. Il est redevenu un radar, aux aguets.—Il nous demande pour le dîner, chuchote-t-elle. Il a… changé. Il est trop calme. Cela ne présage rien de bon.Je hoche la tête, muette. La descente vers la salle à manger est une marche sur une corde raide. Je passe une robe sobre, une armure parmi d’autres. Leonardo nous y attend, debout près de la cheminée éteinte. Transformé. Impeccable dans un costume sombre, les cheveux disciplinés. Seuls ses yeux, d’un gris d’acier, trahisse
SofiaLe silence de la limousine, après le tourbillon des boutiques, est lourd et cotonneux. Il enveloppe nos corps fatigués, nos rires éteints, la douce euphorie qui se dissipe à mesure que les kilomètres nous rapprochent de la maison. Les sacs en papier épais, siglés de noms prestigieux, sont empilés comme des trophées silencieux sur la banquette d’en face. Des preuves tangibles de l’ivresse dorée. Des reliques d’un moment suspendu.Je regarde par la vitre teintée le paysage nocturne défiler, mes doigts serrant machinalement la carte gold dans la poche de mon manteau neuf. Elle est froide, maintenant. Juste un morceau de plastique.La voiture s’arrête devant le portail. L’instant où le chauffeur coupe le moteur est comme un réveil brutal. L’illusion se fissure. Le monde réel, avec ses règles, ses pièges et ses peurs, nous attend de l’autre côté du seuil.Camila pousse un léger soupir, théâtral mais empreint d’une vraie lassitude heureuse.—Retour à la réalité, mesdames.Ma mère lui
SofiaLa visite à peine terminée, l’énergie refuse de retomber. Elle ne s’éteint pas, elle mute. Elle devient volatile, électrique, presque dangereuse. Mon corps est encore tendu par l’adrénaline, mon esprit flotte comme après un match gagné à la dernière seconde, quand tout pourrait encore basculer mais que la victoire est là, fragile, suspendue.Je marche quelques pas derrière Camila et ma mère. Je les observe. Je nous observe. Trois femmes sorties d’un lieu de pouvoir, encore chaudes de ce qu’on vient de vivre, incapables de rentrer sagement à la maison comme si rien ne s’était passé.C’est Camila qui craque la première. Toujours elle. L’instinct, le feu, l’élan.—On ne va quand même pas rentrer tout de suite… pas après ça.Sa voix fend l’air, claire, vibrante. Elle a ce rire qui ne demande jamais la permission.Ma mère tourne la tête vers elle. Et là, quelque chose se produit. Son visage se détend. Un vrai sourire naît, lentement. Pas celui qu’elle porte comme une armure depuis de
SofiaL’invitation tombe comme un coup de sifflet inattendu en plein milieu du terrain.Un matin trop calme. Un café encore brûlant entre mes mains. Et sa voix, posée, sûre, presque enthousiaste. Trop.—J’ai décidé de convier tout le monde aujourd’hui. Tes parents. Camila. J’aimerais leur faire visiter la dernière entreprise que je viens d’acquérir.Je lève les yeux vers lui. Son visage est parfaitement composé. Une réussite de plus à afficher. Une pièce supplémentaire à son empire. Et moi, encore une fois, placée au centre du décor.—Pourquoi maintenant ? demandé-je, prudemment.Il sourit. Pas son sourire de glace. Un autre. Celui qu’il réserve aux décisions irrévocables.—Parce que c’est le moment idéal. Et parce que j’aimerais que tu m’aides dans la gestion, officiellement.Le mot résonne. Officiellement.Donc publiquement.Donc irréversiblement.Je comprends aussitôt. Me rendre visible. Me lier à lui par le travail, par la responsabilité, par l’image. Faire de moi non seulement sa
SofiaLa nuit ne vient pas vraiment. Elle rôde. Elle s’assoit au bord du lit, me regarde fixer le plafond, et refuse de m’éteindre. Les draps sont trop propres, trop lisses. L’air sent le bois ciré et le silence sous contrôle. Chaque bruit est une menace miniature. Un craquement, un souffle dans les murs, le pas lointain d’un gardien que je n’ai jamais vu mais que je sens.Je ferme les yeux. J’essaie de respirer comme sur un terrain avant un penalty. Inspirer. Bloquer. Expirer. Mais mon cœur joue en contre-attaque permanente. Il refuse la consigne.Je revois la main sur la nappe. Le mot cadeau. La voix basse. Leur toit. Leur confort. Ma performance.Je me tourne sur le côté. Le coussin est froid. Je suis seule et pourtant envahie. Sa présence est partout. Dans les angles. Dans les objets. Dans la façon même dont la chambre m’observe.Si je m’endors, je rêve de quoi. De lui ou d’avant.Je n’ai jamais eu peur de la fatigue. Sur un terrain, elle devient une alliée. Elle brûle, elle netto
Sofia Parce que je comprends, trop bien. Le « programme personnalisé » sera surveillé. Les « entraînements » seront encadrés, comptabilisés. Le terrain privé est au fond du parc, loin des grilles. C’est une illusion de liberté. Une manière de canaliser ma rage, mon énergie, dans un cadre qu’il contrôle. De m’épuiser physiquement pour que je sois plus docile mentalement. C’est un coup de génie. Il a utilisé ce que je suis, ce que j’aime, pour mieux me soumettre.— Dis merci, Sofia, murmure-t-il, sa main venant se poser sur la mienne, sur la nappe. C’est un cadeau.Je sens la chaleur de sa paume, son poids. Je sens le regard de mon père brûler notre point de contact.Je dégage ma main, lentement, comme si elle était brûlée.—Merci, je réussis à articuler, le mot sortant comme un caillou.La soirée s’achève dans un climat étrange, un mélange de légèreté forcée (portée par Camila) et de tension sous-jacente. Mon père n’a plus rien dit de la soirée. Son silence était plus éloquent que tou







