Le lendemain, 08 h35
Je m'installe à une table seul puis, je commande un bol de soupe et un verre de limonade. J'ingurgite mon repas tout en relisant quelques notes dans mon ordinateur.
Après manger, je vais directement à l'université. J'arrive au campus à onze heures trente puis, je me dirige vers l'amphithéâtre pour mon premier cours de la journée : physique nucléaire.
J'ai hâte de retrouver Lena car nous sommes dans la même classe. Je veux surtout qu'elle me raconte sa soirée. Enfin, est-ce que j'ai vraiment envie de l'entendre me raconter son date dans les moindres détails ? Est-ce que je veux qu'elle se confie à moi comme elle le ferait avec une bonne copine ? Non ! Je ne veux pas. Ça me ferait trop mal.
Je pousse les portes de l'amphi qui comme chaque lundi matin, est bondé comme un marché indien. Mes oreilles se perdent entre des cris, des rires et des bruits que font les autres étudiants. J'avance en silence sans adresser un seul regard à mes condisciples. Parfois je me demande si nous sommes vraiment de la même génération. Nos âges varient entre dix-neuf et vingt-deux ans mais certains se comportent comme des gamins. Un lundi matin, sérieux ? Qui fait autant de bruit après un week-end ? Moi en tout cas je n'en ai pas la force, j'ai mal dormi mais je porte un masque. Le fameux masque qui cache toutes les souffrances, toutes les peines de l'âme. J'abhorre un grand sourire qui m'étire le visage. Un sourire qui sonne faux et qui me retient d'envoyer valser la terre entière.
Une main me secoue l'épaule. J'oriente mon regard vers la personne qui ose toucher mon jacket édition limitée. Lorsque je me rends compte qu'il s'agit de Sebastien, je range mes griffes et lui lance un regard moins agressif.
— Yo mec ! Viens t'asseoir à côté de nous, fait-il en m'accostant par l'épaule.
''' Attention à mon jacket ! ''
Je froisse mon visage avant de lorgner mon blouson. Il m'a coûté une blinde et mon cœur se serre à chaque fois que quelqu'un pose la main dessus.
Je hoche la tête avant de suivre mon ami qui salut des gens au passage. Sebastien est le mec cool et populaire de la fac'. Il en fait rêver plus d'un. N'importe qui voudrait ne serait-ce que pour une seule journée voir à quoi sa vie ressemble. Il est beau, intelligent et blindé comme une poule aux œufs d'or car son père est l'heureux propriétaire de la Fly compagnie, une agence de voyage. Seb' est le genre de personne qui bombe le torse quand il marche. Il regarde droit devant lui. Ses cheveux longs cheveux châtains sont toujours lâchés, aussi libres que le vent, tandis que son corps musclé presque imposant attire tous les regards. Mais un seul se démarque des autres. Il est rempli de milliers d'étoiles. Il est aussi doux et innocent que le visage d'un enfant. Il mélange admiration, passion et perversion. Il s'agit du regard amoureux d’Eloise sa petite amie qui se mordille la lèvre inférieure en le voyant arriver. J'aimerais tellement que quelqu'un me regarde de la même manière. Je veux vraiment savoir ce que ça fait d'être aimé et désiré tel un trésor inestimable. Je range mes mains dans les poches de mon jean avant de baisser les yeux, le temps d'une seconde pour réfléchir au sens réel de ma vie là maintenant.
'' Pourquoi j'existe si je ne peux être aimé par celle que j'aime ? Pour souffrir ? Je meurs à petit feu. Si seulement quelque chose ou quelqu'un pouvait m'ôter cette boule que j'ai dans le ventre. Et si j'arrivais à extirper ces satanés sentiments de mon cœur. Alors je serai comme une pierre, vide, libre, heureux. Mais mon bonheur a un nom. Il vit sur terre et je ne peux le quitter pour de bon. Oui, mon bonheur s'appelle Lena...''
J'aperçois Lena au loin. Elle est assise à côté d’Eloise. J'avale d'un coup ma fierté. Je repense à la veille et à toute la cascade d'émotion qui m'ont envahies hier. Celles qui ont légèrement troublé mon sommeil. Lena quant à elle a l'air d'avoir rajeunie de dix ans. Son visage est souriant et elle a échangé son maquillage léger habituel par un autre qui est un peu plus sophistiqué mais qui fait toujours autant naturel. Elle porte un chemisier rouge et une jupe. Ses cheveux descendent le longs de son corps. Ils lui arrivent tout juste au niveau du dos.
Putain, elle est vraiment canon. Si seulement elle pouvait savoir à quel point j'ai envie de l'embrasser là maintenant. Et ses lèvres habillées d'une fine couche de gloss... Hum...si seulement elle m'y autorisait, je les déshabillerais avec une telle passion qu'elle en serait choquée.
Je salut Eloise d'un geste bref de la tête avant de me tourner vers ma Lena. Nos regards se croisent. Ils se tamponnent et le bruit autour n'existe plus. Le temps passe au ralenti.
'' Je l'aime putain, j'en deviens fou ! ''
— Salut, lancé-je les mains dans les poches.
Sebastien rejoint sa belle. Ils s'embrassent langoureusement sous nos regards indiscrets. Lena semble un peu gênée. Elle sourit timidement, les joues rougies puis m'invite à s'asseoir à côté d'elle.
Nous sommes assis côte à côte. Si près l'un de l'autre. Nos souffles se réunissent en un seul son. Les battements de nos cœurs se rejoignent. Ils ont le même rythme ; rapide et affolé. Nous sommes torturés par un silence qui cache l'envie de dire un simple mot qui briserait cette barrière que nous avons construit entre nous. Je cherche en moi, la phrase idéale, pour relancer la conversation. Pour vu qu'elle soit comme d'habitude, banale, sans pression...
'' Et qu'on évite de parler d'hier, surtout ''.
— Ça va ? me demande-t-elle de sa douce voix.
J'expire en silence. Je suis ravi, soulagé qu'elle ait prononcé le premier mot. Mes muscles se décontractent. Je sors mon ordinateur de mon sac puis je le pose sur la table. Mon silence semble la torturer. Elle suit minutieusement chacun de mes mouvements.
— Écoute, je suis désolée-
Je l'interromps.
— Je vais bien et toi ? T'as l'air en forme ce matin.
Elle soupire. Son visage est pris en otage par deux choses : l'angoisse et le désarroi. Elle ne comprend pas ma réaction. Elle ne comprend pas pourquoi j'évite maladroitement le sujet.
— Ça va, lance-t-elle.
Le timbre de sa voix me révèle qu'elle ment. Elle n'est pas sûre d'elle comme d'habitude. Je sens que quelque chose ne va pas. Je ne tarde pas à comprendre qu'elle s'en veut pour hier. Elle cherche comment s'excuser mais je ne veux pas qu'on en parle.
— Ma mère te passe le bonjour. On a passé toute la soirée ensemble hier. Elle a préparé une tarte aux pommes délicieuse et nous avons regardé des séries télévisées toute la nuit, reprends-je en forçant un sourire.
'' C'est faux. Ma mère est parti avant même que je n'eus le temps de couper la tarte que j'avais cuisiné. Je l'ai jetée à la poubelle avant de me rendre au ciné où je t'ai attendu pendant des heures. Ensuite, je suis rentré chez moi et j'ai eu du mal à trouver le sommeil car je pensais à toi ''
Je la regarde droit dans les yeux. Elle s'en veut encore. Je le vois. Ce fichu sourire n'est pas assez convaincant. Je fronce mes sourcils puis, je pousse sa tête avec mon index. Elle sursaute. Mon geste l'a sans doute tirées de ses pensées.
— Eh ! À quoi tu penses ?
'' Ne me parles pas d'hier, Ne me parles pas d'hier, ne me parle pas d'hier ''.
Au même instant, le professeur rentre dans la salle qui fait silence. Nous nous concentrons tous sur lui et sur le cours qui dure trois heures environ. Durant tout le long, je suis resté focus sur le tableau. J'étais complètement imperturbable malgré les blagues que lançait Sebastien pour amuser la galerie. Le Brun aime bien irriter les profs. En plus d’être drôle, seb est aussi un athlète. Nous sommes dans l’équipe de basketball de l’université. Pendant nos match, il attire l’attention de toutes les filles. Malheureusement pour ces demoiselles, son cœur appartient déjà à la ravisante Eloise. Une jolie blonde extravertie, sympathique et gentille. Leur couple est le plus beau que j'ai jamais vu. Ils sont si proches, si épris l'un de l'autre qu'à chaque fois que nous sommes ensemble, leur amour m'éclabousse. J'ai l'impression d'assister à un coucher de soleil dans les montagnes. C'est si beau, si osé et romantique. Ils s'en foutent de ce que les gens pourraient penser d'eux. Ils vivent pleinement leur amour comme s'il s'agissait d'un rêve qui prendrait fin bientôt.
Le cours étant finit, nous nous regroupons dans la bibliothèque universitaire pour une pause d'une heure avant le prochain cours. Je me demande comment je vais faire face à Lena qui meurt d'envie de me raconter sa soirée. Je le sais, je le sens. Elle veut se confier à moi. Elle veut que je la soutienne et que je la suive tête baissée dans chaque décision qu'elle prend, celle d’aimer un autre homme que moi. Elle veut que je ne perde pas le fil pour que dans son monde, j'existe encore.
Nous sommes assis l'un en face de l'autre. Comme d'habitude, Sebastien et Eloise sont dans leur coin à eux, au bout de la table. Ils se font des papouilles, des bisous et se murmurent des " je t'aime " au creux du cou, l’endroit où l'on est le plus sensible.
Lena et moi sommes leurs opposés. Nous nous abordons comme deux potes, comme deux amoureux qui s’ignorent.
Léna me fixe droit dans les yeux.Et dans ce regard, il y a cette lueur brûlante qui me transperce de part en part. Une faim, une flamme, comme si j’étais une proie qu’elle s’apprêtait à dévorer sans scrupules. Ses lèvres, entrouvertes, sont une invitation au péché. Au pire des interdits. Parce que oui… ce serait une faute, un mensonge, un putain de péché de l’embrasser. Je suis en couple. Je suis lié à une autre.Mais nier ce que je ressens là, maintenant, serait le plus vilain des mensonges. Je crève d’envie de goûter sa bouche, de m’abandonner à ce qu’elle allume en moi depuis des années.Je lutte. Je serre la mâchoire, je me mords presque la langue pour ne pas sombrer. Mais je n’y arrive pas. Mes pensées s’alourdissent, se brouillent, se tordent comme des vagues. Et dans ce chaos mental, une seule idée persiste : Léna. Elle et son corps qui me hante depuis toujours. Je l’ai déjà rêvée mille fois, nue, haletante, offerte à moi. Alors je me demande… si en rêve c’était déjà le paradi
Je sors deux verres du placard et les pose sur le plan de travail. Le bruit du verre contre le bois résonne étrangement dans cette grande cuisine trop silencieuse. — Tu bois quoi, Eloise ? je demande en ouvrant la bouteille de vodka. — Oh… rien, je crois. Pas trop envie de boire ce soir, dit-elle en détournant les yeux. Je fronce les sourcils. Elle est étrange, comme ailleurs. Moi, au contraire, ce soir, j’ai besoin de lâcher prise, de sentir l’alcool brûler ma gorge et m’alléger la tête. — Allez, bois un verre avec moi. Juste un. J’ai envie de picoler ce soir, d’oublier un peu. Elle secoue la tête doucement, son sourire est poli mais ses yeux sont absents. — Non, vraiment. Je ne préfère pas. Je l’observe un instant, hésitante, mais je ne la force pas. J’attrape la bouteille de whisky posée dans le buffet, me sers généreusement, et avale une longue gorgée. Le feu descend dans ma gorge. Ça chauffe. Ça anesthésie un peu. Et ça me fait du bien. À ce moment-là, Sébastie
La musique…C’est tout ce qui me fait respirer. Vivre. Voyager. Rêver.Surtout quand elle est douce, un peu mélancolique, au point de me donner envie de hurler le mot « liberté » à pleins poumons. Les bras levés, les yeux fermés face au néant. Juste ça… et je suis en paix.J’aime ces chansons tristes qui font réfléchir, qui me ramènent à mon enfance comme un écho. Les paroles me bouleversent toujours autant. Elles transpercent mon âme, l’éteignent un instant avant de la rallumer comme un soleil après l’orage.Lana del Rey.Encore Lana del Rey.Pourquoi tes chansons touchent-elles mon âme comme si la tienne et la mienne étaient reliées ? Pourquoi tes blessures deviennent-elles instantanément les miennes lorsque ta voix se brise sur tes mots ?— Hé, les gars ! On va pas passer la soirée à écouter des trucs aussi mélodramatiques. Mettez du punk ! Enfin j’sais pas moi ! balance Sébastien en entrant dans la pièce.Nous sommes dans un grand salon à la déco sobre et chaleureuse. Le bois est
Quelques jours plus tôt.Le Mont Blanc.C’était le nom du parc où j’allais quand j’étais gosse. Enfin… où Shawn m’y traînait, surtout. Chaque fois que nos parents s’arrachaient la gorge à coups d’insultes, il me sortait de la maison pour m’épargner le carnage. Il disait que je n’avais pas besoin de voir à quel point les humains pouvaient être des monstres. Il disait aussi que malgré les tempêtes, le soleil finirait toujours par revenir.En vrai, Shawn était un sacré connard avec moi, la plupart du temps. Mais, paradoxalement, il m’a sauvé.C’est grâce à lui si j’ai réussi à garder cette part sensible en moi, ce morceau de chair tendre coincé sous mon armure de pierre. Celle que je cache au reste du monde.Aujourd’hui, je suis assis sur ce même vieux banc en bois, face au lac et au grand chêne. Jessy est à côté de moi, silencieuse. Et d’un coup, tout me revient. J’ai dix ans, Shawn à mes côtés. On ne parle pas. On ne se regarde même pas. On fixe juste l’eau, le ciel, les nuages, on éco
L’ambiance au chalet est lourde depuis l’arrivée de Lena et d’Eliott. Un poids invisible flotte dans la pièce, comme une brume qui ne veut pas se dissiper. Les rires sont forcés, les mots parfois étouffés, et derrière chaque silence se cache une tension que personne n’ose nommer.J’ai ce verre entre les mains et ce liquide incolore le remplit à moitié. Ça sent l’alcool à plein nez. C’est de la vodka pure : 37,5 degrés d’alcool dans une seule bouteille. Même si c’est fort, je sais qu’il m’en faudrait bien plus qu’un seul verre pour être complètement ivre.Cela fait plus d’une heure que nous sommes dans le salon. On boit, on parle de tout et de rien. Lena est assise juste en face de moi. Elle sirote son cocktail rouge vif. Elle ne me regarde presque pas. Ses yeux pâles restent fixés sur une seule personne. Même si elle tente de le cacher, je le vois. Et je me demande pourquoi ses yeux ne cherchent plus les miens. Pourquoi ils ne me désirent plus avec la même intensité. Quelque chose a c
Le silence, parfois, est le plus honnête des langages. Il apaise. Il protège. Il parle pour nous quand les mots se cassent la gueule.Avec Eliott, tout est si simple. On n’a pas besoin de parler pour se comprendre. C’est comme de la télépathie — pure et naturelle. Quand il est là, je perds mes repères, je dérive dans un monde parallèle où il n’y a plus que lui. Depuis ce jour-là, je ne sais plus quoi penser. Ni quoi dire. Je suis épuisée, mais je lutte contre le sommeil juste pour rester éveillée dans sa présence.Le chalet est enfin là, devant nous. Mais je n’arrive pas à avancer. Pas avec lui à quelques centimètres de moi. Il est silencieux. Moi aussi. Je l’entends soupirer doucement, je vois les battements de son cœur sous son pull. Et les miens s’alignent aux siens, comme s’ils avaient trouvé leur métronome.C’est vertigineux.Incontrôlable.J’ai cette sensation étrange… Comme si le lien d’amitié entre nous était en train de s’effriter. Se rétracter. S’atrophier. Et ça me terrifie