La nuit s’était installée depuis un moment, enveloppant la ville d’un calme profond, presque oppressant. Viel avait passé le reste de sa soirée à se noyer dans ses pensées, une routine qu’il connaissait bien. Une fois son dîner fini, il se leva lentement, comme si chaque geste nécessitait un effort supplémentaire. Son esprit tourbillonnait encore autour des directives données par Marc, mais plus profondément, il y avait cette autre question, cette douleur persistante qui le suivait partout : Pourquoi suis-je ainsi ?
Il se rendit dans la salle de bain, éteignant les lumières du salon derrière lui. En entrant dans la pièce froide, il laissa échapper un long soupir. Il ferma la porte derrière lui, s’assurant qu’il serait seul, qu’il ne serait dérangé par rien ni personne. Dans le silence de la salle de bain, il s’approcha du miroir, les yeux fuyants, comme s’il redoutait ce qu’il allait voir. Il se déshabilla, ses gestes lents et précautionneux, comme un automate, en partie détaché de son propre corps. Ses vêtements tombèrent au sol, laissant apparaître sa silhouette frêle et délicate. Il passa ses mains sur son torse, sentant encore la compression du bandage autour de sa poitrine. Chaque matin, il portait ce fardeau, ce masque invisible qui lui permettait de se sentir à peu près normal. Mais ce soir, c’était différent. Le poids de la journée, du travail, des attentes, de ses propres peurs, tout cela se concentrant en un seul endroit. Il leva la tête, croisant son regard dans le miroir. Les yeux verts qui se posaient sur lui étaient fatigués, marqués par des années de lutte contre lui-même. Il se força à respirer profondément. Tout à coup, un vertige le prit, une chaleur intense envahit son corps. Il avait toujours évité de se regarder en détail. Ce n’était pas tant qu’il détestait son corps, c’était bien pire que ça. C’était la honte. La honte de ce qu’il était. La honte d’être celui qu’il ne pouvait pas changer. Il se regarda dans le miroir, détaillant chaque courbe, chaque trait, chaque partie de son être, comme si c’était la première fois. Mais ce n’était pas la première fois. Non. Il savait ce qu’il allait voir. Il savait, mais il n’arrivait pas à l’accepter. Le reflet qu’il apercevait était celui de quelqu’un qui ne pouvait être que fragmenté, un amalgame de masculinité et de féminité qu’il ne pouvait jamais vraiment réconcilier. Il se baissa, ses mains tremblantes le guidant vers son bas-ventre. Et là, le choc. Ce corps, ce corps qu’il portait depuis toujours. Il avait toujours cherché à l’ignorer, à l’ignorer autant qu’il le pouvait, mais ce soir, tout semblait devenu trop lourd. Il baissa les yeux et les vit : deux sexes. Une réalité qu’il avait toujours tentée de cacher, de fuir, mais qui était là, devant lui. La réalité du syndrome de Klinefelter. L’horreur de sa propre existence. Il n’avait jamais pu se l’avouer, mais il savait, au fond de lui, que c’était cette partie de son corps qui le dégoûtait le plus. C’était l’inacceptable. C’était l’abomination. Il était un homme, mais en même temps, il était une femme. Deux corps dans un seul, un seul corps qui ne savait pas comment se définir. Ses jambes se dérobèrent sous lui. Il s’effondra, ses genoux frappant le sol froid de la salle de bain. L’inconfort physique du carrelage n’atteignit même pas la profondeur de sa douleur. Les larmes commencèrent à couler, silencieuses, lourdes, comme une pluie battante. Son cœur se serra sous la souffrance, et son esprit se noya dans un tourbillon d’auto-détestation. Il se laissa aller à pleurer, à pleurer ce qu’il était, ce qu’il ne pourrait jamais changer. Pourquoi était-il ainsi ? Pourquoi ne pouvait-il pas être normal ? Pourquoi la vie l’avait-elle fait naître avec cette monstruosité, avec cette différence qui le condamnerait à l’isolement à jamais ? Quel abomination… » souffla-t-il entre deux sanglots, comme si ces mots pouvaient alléger le fardeau. Mais rien n’y fit. Rien ne pouvait alléger cette douleur qui lui rongeait l’âme. Les heures passèrent sans qu’il s’en rende compte, mais il resta là, prostré sur le sol, le corps plié sous le poids de sa propre existence. Son reflet dans le miroir lui renvoyait une image brisée, une image qu’il ne voulait pas voir, mais qu’il ne pouvait plus fuir. Les larmes se tarirent enfin, mais la douleur demeurait. Il se releva lentement, épuisé par cette confrontation violente avec lui-même. Il prit une longue inspiration, son corps secoué par de légers tremblements. Il se tourna vers la douche, la laissant couler pour apaiser ses pensées tourmentées, pour essayer d’effacer, même temporairement, ce qu’il venait de vivre. Le bruit de l’eau chaude frappant sa peau lui rappela combien il était seul, et combien il se sentait déconnecté de tout. Il ne savait pas combien de temps il resta là, sous l’eau, mais il finit par sortir, se regardant à nouveau dans le miroir. Ses yeux étaient rouges, ses joues encore humides des larmes versées. Mais il savait que le matin, la réalité serait toujours là. Cette peur de soi, cette honte qu’il n’arrivait pas à effacer. Pourtant, il fallait continuer. Parce que la vie ne s’arrête jamais, même quand tout semble si insupportable. Il s’essuya doucement, se redressant avec un dernier regard sur le miroir avant de quitter la salle de bain, son esprit tourmenté mais déterminé à ne pas se laisser engloutir par la nuit. Demain, il recommencerait. Parce qu’il n’avait pas le choix. Le lendemain Le matin se leva avec une lenteur qui reflétait l’état de Viel. Il n’avait pas bien dormi, ou plutôt il n’avait pas trouvé le courage de se reposer véritablement. La douleur de la veille, la honte qu’il avait ressentie, ne s’était pas dissipée avec la nuit. Elle était là, prête à l’envahir à nouveau dès qu’il ouvrirait les yeux. Mais il n’avait pas le choix. La routine l’appelait, comme chaque jour. La vie continuait, implacable.Le week-end approchait, et Viel, après de longues journées de réflexion et d’incertitudes, avait finalement accepté l’invitation d’Élisabeth. Il avait besoin de se changer les idées, de prendre un peu de distance par rapport à ses problèmes, même si une petite voix au fond de lui se demandait si ce moment de répit suffirait à alléger son cœur.Quand il arriva chez Élisabeth, il était un peu nerveux. Il n’avait pas l’habitude d’être aussi vulnérable devant quelqu’un qu’il venait à peine de rencontrer. Mais Elisa, avec sa douceur naturelle, semblait être la personne idéale pour lui offrir un moment de tranquillité. Elle l’accueillit avec un sourire chaleureux à la porte, comme si ce n’était qu’une visite ordinaire, mais Viel savait que pour lui, cela représentait bien plus.— Bienvenue, Viel, je suis contente que tu sois venu. Elisa le regarda avec un sourire rassurant avant de lui ouvrir la porte de son appartement.Elle le guida à travers son appartement spacieux et moderne, l’amenant
La semaine qui suivit, Viel se rendit à l’hôpital avec une appréhension grandissante. Chaque rendez-vous avec les médecins semblait ne faire qu’aggraver sa confusion et sa frustration. Il savait que sa situation n’était pas normale, mais chaque explication, chaque mot qu’ils prononçaient le faisait se sentir de plus en plus piégé dans un corps qu’il ne reconnaissait plus. Il entra dans le cabinet du médecin, la peur et la colère mêlées dans son cœur. Les médecins avaient commencé à lui parler d’une possible solution, un traitement, mais tout cela lui semblait si lointain, si difficile à accepter. Ils lui avaient promis qu’il pourrait peut-être revenir à un équilibre, qu’ils avaient des méthodes pour atténuer son côté féminin, mais les mots qu’ils utilisaient sonnaient à ses oreilles comme des mensonges. Le médecin, d’un ton calme mais direct, lui expliqua la situation en termes médicaux, mais Viel n’arrivait plus à écouter. “Le seul moyen de supprimer ce côté féminin, Viel,” exp
Viel resta figé, son regard ancré dans celui du médecin, cherchant une réponse logique, une réponse qui le réconcilierait avec cette réalité qu’il venait de découvrir. Mais il n’y avait pas de logique, pas de réconfort dans les mots qui suivirent.Ses lèvres tremblaient, et la peur grandissait en lui comme une vague dévastatrice. Les images de son corps, qu’il avait toujours perçu comme un fardeau, prenaient un tour encore plus inquiétant. Il n’avait jamais pensé que son état pouvait aller aussi loin, que son corps pouvait porter cette anomalie de manière aussi visible. Mais maintenant, il était trop tard pour faire marche arrière.“Docteur…” La voix de Viel tremblait, étranglée par une angoisse croissante. “Ai-je… un utérus ? Est-ce que… je peux tomber enceinte ?”Le médecin ne sembla pas surpris par la question. Il avait sûrement déjà vu des patients dans des situations similaires. Mais pour Viel, ces mots étaient un nouveau coup au cœur, une vérité qu’il n’avait jamais voulu affron
La semaine passa lentement, marquée par les réflexions incessantes de Viel sur sa rencontre avec Elisa et sur son avenir. Mais ce matin-là, alors qu’il se rendait à la banque pour une réunion importante, il ne s’attendait pas à ce qui allait se produire.Il était dans la salle de réunion, debout devant l’écran, en train de présenter un projet complexe aux dirigeants de la banque. Sa voix, habituellement calme et maîtrisée, tremblait légèrement tremblante , un peu trop nerveux à l’idée de ses nouvelles responsabilités, maintenant qu il entrain de s’intégrer au travail permanent. Il savait que c’était un moment crucial, qui pouvait changer le cours de sa carrière.Alors qu’il continuait à énumérer les points du projet, une douleur aiguë et soudaine traversa son bas-ventre. Il s’arrêta net, ses yeux se plissèrent sous l’effet de la douleur. Ce n’était pas la première fois qu’il ressentait quelque chose de ce genre, mais cette fois, la douleur était beaucoup plus intense, presque insupp
Le reste du petit déjeuner se passa dans une atmosphère plus détendue, les conversations s’étoffant de plus en plus. Viel se sentait apaisé, bien que le doute demeure en lui. Mais pour la première fois depuis longtemps, il se permit de croire que, peut-être, des petites choses pouvaient réellement faire la différence.Lorsque le café prit fin, Elisa se leva, paya l’addition et lui donna un dernier regard plein de compréhension. “Je dois y aller, Viel. Mais on se voit bientôt, hein ?”Viel hocha la tête, un peu incertain mais déjà anticipant le prochain moment qu’ils partageraient. “Oui, bientôt,” répondit-il, son cœur battant doucement à l’idée de ce qui pourrait suivre.Elle lui fit un dernier signe de la main avant de quitter la pâtisserie, et Viel, un peu plus léger qu’à son arrivée, se retrouva seul avec ses pensées. Mais cette fois-ci, il n’était plus aussi inquiet de ce qui pourrait arriver. Il se sentait juste… prêt à voir où cette nouvelle rencontre pourrait le mener.En rentr
Les deux amis passèrent une soirée agréable, remplie de rires et de confessions. Viel se sentit bien, entouré de la chaleur de son amie et du vin qu’ils partageaient. Finalement, il se dit qu’il commencerait à envisager les choses sous un autre angle, qu’il laisserait de la place pour l’incertitude, mais aussi pour l’espoir. Après tout, tout semblait s’améliorer peu à peu, et ce n’était peut-être pas aussi terrible de lâcher prise parfois.Le lendemain matin, Viel se réveilla tôt, une douce lumière filtrant à travers les rideaux de son appartement. Il avait passé une soirée agréable la veille avec Martine, mais aujourd’hui était différent. En consultant son téléphone, il remarqua un message d’Élisabeth. Elle lui proposait de prendre le petit déjeuner ensemble, ce qui fit naître un sourire sur ses lèvres.“J’ai réservé une table à la pâtisserie en bas de chez toi. Ça te dit ?”Viel n’hésita pas une seconde avant de répondre. “Ça me va, j’arrive dans une demi-heure.”Il se leva rapideme