Il était 7h30 du matin, et le soleil se levait lentement sur la ville. La lumière pénétrait par les rideaux légèrement ouverts, laissant un éclat pâle dans la chambre de Viel. Dans l’ombre de ses murs gris, l’odeur d’un café fraîchement préparé flottait, mais rien ne semblait vraiment briser le silence pesant. Viel, les yeux à peine ouverts, regarda le plafond blanc, se remémorant la routine qui se répéterait encore aujourd’hui. Il n’y avait rien de nouveau sous le ciel ; il était, comme d’habitude, seul.
Viel avait 24 ans. Il vivait seul dans un petit appartement au dernier étage d’un immeuble qui commençait à prendre de l’âge. Chaque matin, après avoir fait un rapide petit déjeuner, il se rendait dans la salle de bain pour effectuer son rituel. Ce n’était pas juste une routine de toilette, mais une préparation minutieuse. D’un geste automatique, il se débarrassait de ses vêtements et se regardait dans le miroir, les yeux se perdant sur son reflet. Un corps fin, avec une taille marquée, des hanches plus larges que la moyenne, et une poitrine légèrement développée. Il avait toujours peur de ce qu’il voyait, mais il avait appris à vivre avec. Il saisissait la bande élastique et la passait autour de son torse, compressant doucement sa poitrine, dans l’espoir de la dissimuler sous ses vêtements amples. Ce geste, qu’il répétait chaque matin depuis des années, était devenu une part de lui-même, un fardeau qu’il portait en silence. Après tout, personne ne devait savoir. Pas ses collègues, pas les passants dans la rue, pas même ses camarades de fac. La peur du rejet le rongeait depuis longtemps. Cette peur, il l’avait eue dès son adolescence, lorsqu’il avait tenté de s’approcher de quelqu’un. L’échec de cette tentative le hantait encore : une jeune fille, pleine de curiosité et d’envie au début, mais qui, en le découvrant nu, s’était rapidement détournée, dégoûtée par son corps. Ce rejet silencieux, cette froideur glacée, était encore en lui comme une plaie qu’il n’osait effleurer. Depuis ce jour, il avait pris la décision de ne plus jamais laisser personne s’approcher de trop près. Il enfila une chemise trop grande, des pantalons amples, comme à son habitude. Ces vêtements étaient devenus sa carapace. Ils le cachaient. Ils l’aidaient à se fondre dans la masse. Même son visage, avec ses cheveux bruns coupés courts toutes les deux semaines – ils poussaient vite, trop vite pour qu’il puisse les laisser pousser comme bon lui semblait – était une sorte de masque. Ses yeux verts brillaient derrière des lunettes discrètes, mais il les dissimulait aussi, ne laissant personne voir l’angoisse qui les habitait. En descendant les escaliers de son immeuble, il évita de croiser le regard des autres. Il était toujours seul, et il se sentait plus à l’aise ainsi. Il n’avait pas de véritables amis, à part Martine, son amie d’enfance, et Hubert, un collègue de la banque où il faisait son stage. Martine, depuis toutes ces années, était la seule personne à connaître son secret. Elle ne lui en avait jamais fait de reproches, ne lui avait jamais posé de questions, mais Viel savait qu’elle savait. Hubert, quant à lui, ignorait tout. Viel n’en parlait à personne, et il n’avait pas l’intention de le faire. La vérité, la sienne, il la portait comme une ombre derrière son sourire timide et ses gestes mesurés. Arrivé à la banque, il s’installa à son bureau, l’air concentré sur les tâches qui lui étaient confiées. La routine de la journée se déroulait comme un train-train monotone, ponctué de quelques échanges avec Hubert, toujours cordiaux, mais superficiels. Viel était studieux, appliqué, mais chaque mouvement qu’il faisait, chaque mot qu’il prononçait, portait un poids. Il ne laissait rien paraître, mais à l’intérieur, il se sentait épuisé, constamment sur le qui-vive. Le moindre regard, la moindre remarque pouvait le faire déraper. Alors, il se tenait à distance. À l’heure du déjeuner, il alla s’asseoir dans un coin isolé de la banque, là où les collègues ne venaient jamais. Il n’aimait pas les repas collectifs, la convivialité forcée. Il préférait la solitude. À l’extérieur, le monde continuait de tourner, mais il restait dans son cocon, enfermé dans sa bulle, écoutant le bruit lointain des conversations sans jamais y participer. Une fois la journée terminée, il rentra chez lui, se retrouvant à nouveau face à lui-même. La solitude était devenue une vieille amie, et il la connaissait bien. Mais parfois, la solitude devenait lourde. Parfois, la solitude ne suffisait plus à calmer ses pensées. Il s’allongea sur son lit, fermant les yeux, mais il ne put éviter de penser à cette partie de lui qu’il ne pouvait jamais montrer, une partie qu’il n’acceptera jamais vraiment. Les doutes, les peurs, les angoisses se bousculaient dans son esprit. Quel avenir pourrait-il avoir dans un monde qui n’acceptait pas ceux qui étaient différents ? Les minutes passaient, puis les heures. Viel se leva, se regarda dans le miroir une fois de plus, et la même question revint : Pourquoi ne puis-je pas être comme les autres ? La nuit s’étendait autour de lui, et il savait que demain serait pareil. La même solitude, la même peur, le même secret. Mais à l’intérieur de lui, une lueur persistait, faible mais tenace, celle de l’espoir. Espérer que, peut-être, un jour, il pourrait enfin vivre sans cette crainte qui le paralysait. Mais pour l’instant, il se contentait de respirer, de se fondre dans l’anonymat, et de survivre. Viel venait de terminer de préparer son dîner, une simple assiette de pâtes accompagnée d’une sauce tomate maison qu’il faisait souvent pour gagner du temps. Il n’avait pas d’appétit particulier, mais c’était la seule chose qui lui semblait acceptable à cet instant. Alors qu’il s’apprêtait à manger, son téléphone vibra sur la table, interrompant le calme de la soirée. Il regarda l’écran : c’était Marc, son chef de service. Il hésita un instant, puis décrocha. « Oui, Viel ? » la voix de Marc était claire et autoritaire, comme toujours. Marc était le genre de chef qui ne laissait aucune place à la discussion, une personnalité bien tranchée dans un milieu où les attentes étaient élevées. « Je voulais te donner les directives pour demain. Il y a quelques ajustements à faire sur le dossier du client XYZ. On doit préparer une réunion pour la fin de semaine. Assure-toi de bien revoir tous les documents avant de la rencontrer. » Viel écoutait attentivement, notant mentalement chaque détail. Il savait que son rôle dans cette banque n’était pas seulement de faire de la paperasse ; il devait aussi prouver, chaque jour, qu’il était compétent, que sa place était méritée. Malgré son silence, Marc continuait. « Et aussi, veille à la présentation. On te demandera de prendre en charge la présentation des chiffres. » Il marqua une pause, puis ajouta, comme une note supplémentaire : « Je compte sur toi pour ne rien laisser au hasard, Viel. » Une petite bouffée d’anxiété monta en lui. Cela faisait déjà quelques mois qu’il travaillait dans cette banque, et bien que ses résultats aient toujours été satisfaisants, il ne pouvait jamais s’empêcher de se sentir à l’étroit, comme s’il était constamment sur le point de se faire démasquer. Il s’efforça de garder sa voix stable. « D’accord, Marc. Je m’en charge. » Sa réponse était rapide, mais il pouvait entendre dans le ton de Marc qu’il avait fini la conversation. Il raccrocha, et un silence s’installa à nouveau dans la pièce. Le téléphone reposa sur la table, mais Viel n’eut pas le cœur à reprendre son dîner. Il se leva lentement, attrapa son carnet qui traînait sur le bureau. Ce carnet était un autre de ses compagnons silencieux, toujours à ses côtés. Il n’y écrivait pas seulement des choses professionnelles, mais aussi ses pensées, ses doutes. Chaque soir, avant de se coucher, il y consignait ce qu’il devait faire le lendemain. Cela lui permettait de structurer sa journée, de calmer l’anxiété qui lui nouait l’estomac. En s’asseyant à son bureau, Viel commença à griffonner sur la première page, ses yeux se concentrant sur les mots qui formaient petit à petit une liste d’objectifs pour le lendemain. L’impression qu’il n’avait pas assez d’espace, ni dans son esprit, ni dans sa vie, se fit plus vive. Marc était exigeant, mais c’était une exigence qu’il s’efforçait de satisfaire, tout en gardant une distance invisible avec ses collègues. Il n’avait pas le droit à l’erreur. Jamais. Il s’arrêta un moment en relisant ses notes. La tâche était claire, mais cela ne faisait qu’ajouter à la pression. Demain, il devra faire face à une réunion importante avec des clients. Le genre de moment où chaque geste, chaque mot comptait. Il y avait des yeux qui l’observaient constamment, des attentes non formulées mais toujours présentes. Et dans cette situation, Viel savait qu’il ne pouvait pas se permettre d’être vulnérable, pas même un instant. Il prit une profonde inspiration, tentant de repousser cette montée d’angoisse qui commençait à l’envahir. Revenir à la tâche l’aidait toujours à se recentrer. Il continua à écrire, à organiser les directives de Marc, à les disséquer pour s’assurer de n’oublier aucun détail. Chaque chiffre, chaque graphique, chaque conversation à préparer… Rien ne devait être laissé au hasard. Il n’y avait pas de place pour la faiblesse. Quand il eut fini d’écrire, il relut une dernière fois ses notes. C’était bon. Tout était en ordre. Mais même en sachant qu’il avait fait son travail correctement, une question persistait : était-ce suffisant ? Était-ce jamais suffisant ? Il posa son carnet et retourna à sa table, reprenant son dîner froid. Le goût de la sauce tomate ne l’intéressait pas vraiment. Ce soir encore, comme chaque soir, la solitude était sa seule compagne. Peut-être que, demain, cela irait mieux. Peut-être qu’il trouverait un moyen de se sentir moins hors de place, moins écrasé par le poids de ses propres contradictions. Mais pour l’instant, il se contenta de manger en silence, sous la lueur faible de la lune.Viel déglutit difficilement. Les mots de Maxime étaient à la fois un soulagement et un fardeau. Être soi-même. Il n’avait pas encore décidé ce que cela signifiait vraiment pour lui. Il avait l’impression de naviguer dans un océan d’incertitudes, cherchant des repères, mais les vagues semblaient toujours plus fortes à chaque fois qu’il pensait avoir trouvé une solution.Maxime se leva pour servir un peu plus de vin. Quand il revint, il s’assit près de lui, un peu plus près que nécessaire, mais sans être envahissant.— C’est bizarre, tu sais, dit Maxime en souriant légèrement. Tu es quelqu’un de complexe. Tu caches beaucoup de choses derrière ce que tu laisses paraître, mais je crois que ça te rend encore plus intéressant.Viel baissa les yeux, sentant une chaleur envahir ses joues. Il n’avait pas l’habitude de recevoir des compliments de cette nature, surtout venant de quelqu’un comme Maxime. Il aurait pu l’envoyer balader, jouer à l’indifférent, mais au lieu de ça, il resta là, immobi
T’es venu, dit-il simplement.— Tu m’as demandé.Maxime hocha la tête et fit un pas de côté pour le laisser entrer.— Bienvenue chez moi.L’intérieur était aussi impressionnant que l’extérieur. Un mélange de modernité et de bois massif, de grandes baies vitrées, des tableaux abstraits sur les murs, un immense canapé en cuir au centre du salon. Maxime ne dit rien, le laissant découvrir. Viel ne savait pas quoi penser. Il se sentait minuscule dans ce lieu qui respirait l’opulence. Ce n’était pas juste une maison, c’était un manoir. Une maison de film.— Tu vis ici… seul ? demanda-t-il.— Oui. Hérité de mes parents. J’ai fait quelques rénovations, mais elle reste ce qu’elle est.Il lui fit signe de s’asseoir et disparut un instant pour revenir avec deux verres et une bouteille de vin. Viel l’observa en silence. Maxime semblait plus calme ce soir, moins arrogant, moins dur. Il versa le vin et lui tendit un verre.— Je voulais te parler. De… tout ça.Viel resta silencieux. Il ne savait pas
Viel était installé dans le cabinet, face à Docteur Dio les mains posées sur ses genoux. Le médecin le regardait attentivement, une expression professionnelle mais inquiète sur le visage. — Alors Viel, commença le médecin en observant son dossier, parlons de ce qui s’est passé. Peux-tu me dire ce que tu as ressenti pendant l’acte ? Viel baissa les yeux, cherchant ses mots. C’était un moment étrange, presque déstabilisant. Il n’était pas habitué à être aussi ouvert à propos de ses émotions. Pourtant, il savait qu’il devait répondre sincèrement. — Je… je me suis senti bien, je pense. Comme si… j’étais accepté. Comme si je n’étais pas en conflit avec moi-même pour une fois. Le médecin hocha la tête, prenant des notes. — Et concernant l’orgasme ? demanda-t-il, une légère insistance dans la voix. Viel rougit un peu avant de répondre. — Oui. J’ai… joui. Mais, mon pénis n’a pas changé de forme, il était toujours couché, même quand j’étais excité. Le silence s’installa un inst
Il la regarda, les yeux brillants.— Je ne veux pas qu’on me définisse par mon corps, Martine. Je veux être Viel. Pas un genre. Pas une étiquette. Juste… moi.Elle lui sourit, les larmes aux yeux.— Et tu y as droit. Et je serai là pour te le rappeler autant de fois qu’il le faudra.Ils restèrent là, dans ce silence plein de compréhension. Et pour la première fois depuis des jours, Viel sentit son cœur un peu plus léger.La journée avait commencé normalement. Viel, chemise soigneusement repassée et pantalon bien ajusté, avait pris place à son bureau avec une concentration quasi mécanique. Les heures défilaient, les mails s’enchaînaient, et il s’efforçait de garder son esprit focalisé sur ses tâches. Mais à peine avait-il terminé de répondre à une demande de financement qu’il sentit son téléphone vibrer dans sa poche.Il jeta un coup d’œil : un message d’Élisabeth.« Dis-moi, tu étais à la maison dimanche ? »Il sursauta légèrement. Il n’avait pas prévu d’en parler avec elle. Il hésita
Il fit quelques pas vers la porte. Juste avant de l’ouvrir, il se retourna :— Si tu crois que je fais ça pour jouer… tu te trompes.Et il disparut, laissant Viel seul dans un salon devenu trop silencieux.Viel resta immobile un moment. Son cœur battait encore à vive allure. Il s’assit lentement, les mains tremblantes. Il fixait un point invisible, perdu dans ses pensées.Pourquoi tout devenait-il aussi confus ?Viel se laissa tomber sur le canapé, la tête entre les mains. Son cœur battait encore de cette drôle de cadence qu’il n’arrivait pas à calmer. La scène de tout à l’heure repassait en boucle dans son esprit. Les lèvres de Maxime, sa main sur sa nuque, le regard intense… puis son départ précipité.Il soupira profondément.Mais pour qui il se prenait au juste ?Entrer chez lui sans prévenir. Sans autorisation. Comme si c’était normal. Comme si… comme s’il avait un droit sur lui.Non. C’était trop.Il attrapa son téléphone, les doigts tremblants, et appela Martine. Il avait be
Viel resta debout un long moment, les bras croisés sur la poitrine, le regard perdu. Il repensait à ses mots. « Sans masque. Sans filtres. » Pouvait-il réellement lui montrer tout de lui ? Même la partie qu’il refusait encore de comprendre lui-même ?Il retourna dans son bureau, mais l’esprit n’y était plus.Il s’en voulait. Il se haïssait presque d’avoir aimé ça. D’avoir ressenti quelque chose de fort, presque irrépressible. Lui qui avait toujours fui les regards insistants, les mains trop curieuses, avait cédé, s’était laissé aller… et pire encore : il y pensait encore.Il se leva difficilement, prit une douche rapide et s’habilla pour aller travailler. Premier jour officiel. Il devait garder la tête froide.Il attrapa son sac, rangea rapidement quelques papiers, puis sortit. Dans le taxi, il regardait les rues défiler, comme s’il cherchait à s’éloigner de ses pensées. Il se répétait sans cesse :« C’est rien, c’est passé. C’était un accident. C’est Maxime, le frère d’Elisabeth. Ça