J’enfile en vitesse un polo basique et un jean propre, puis me précipite à l’extérieur de chez moi. Mon retard ne passe pas aussi inaperçu que je l’aurais imaginé. Lorenzo me jette un regard noir quand je m’arrête près de lui, mais ne dit rien. En fait, personne ne semble vouloir rompre le silence pesant qui règne à l’entrée du village où la meute entière attend que les loups du Texas arrivent enfin. Comme à l’accoutumée, nous nous tenons tous les uns à côté des autres, formant une haie, Lorenzo et Ella en tête. Juste à ma droite, derrière notre alpha, Aiden arbore une posture solennelle.
Je croise le regard de Carole qui se tient en face de moi, à côté d’Ella, et elle me sourit faiblement.
J’ai conscient de l’avoir blessée en ayant été si peu disponible ces derniers temps. Mais c’est tellement difficile… Mon alpha me confie de plus en plus de responsabilités, et il serait impensable de le décevoir. Après le comportement, à la limite de l’insubordination, que j’ai eu par le passé envers lui, faisant primer notre amitié plutôt que son titre, je ne me sens pas légitime d’occuper une place si importante dans la meute. J’ai pratiquement insulté sa femme avant de la connaître, je me suis battu avec lui, et il m’a tout de même offert un siège au Conseil. Ma culpabilité me punit chaque jour pour les erreurs que j’ai commises. Alors je ressens le besoin de faire mes preuves. Encore et encore… J’essaie d’en faire plus que nécessaire, de me rendre utile au maximum, pour que Lorenzo n’ait jamais à regretter son choix.
Mais je ne voulais pas que tout ça se fasse au détriment de ma relation avec Carole.
La distance, qui se creuse entre nous, nous éloigne irrémédiablement, et elle donne plus de poids à l’impression que… quelque chose n’est pas à sa place dans mon cœur. Comme si, d’une certaine façon, je faisais des efforts pour une cause vouée à l’échec.
Je reprends contenance, et je rends un léger sourire à ma petite amie, ne voulant pas troubler ce moment solennel en paraissant trop démonstratif. Postée à côté d’elle, Jenny fronce les sourcils, et je détourne immédiatement les yeux.
– Désolé, m’excusé-je pour mon retard. Qu’est-ce que j’ai manqué ?
– Rien, tu arrives juste à temps, répond Aiden en me tendant son poing.
Je le cogne doucement avec le mien, comme un rituel que nous avons instauré depuis notre enfance.
– Les voilà.
Ella approche de son mari, lui prend la main et le guide vers le véhicule qui s’arrête devant le grand portail ouvert qui marque l’entrée de notre village.
C’est un bus. Sûrement une location. L’espace d’un instant, je me demande si leurs voitures ont brûlé aussi. Des tas de questions émergent dans mon cerveau, reflétant la curiosité à la fois naturelle et malsaine de notre moitié humaine. Des gens sont morts, bon sang, et moi, je pense à leurs fichues bagnoles !
La porte du véhicule coulisse, laissant sortir un homme d’une quarantaine d’années, grand aux épaules larges et aux muscles saillants. Malgré la couleur sombre de sa peau, son teint me paraît étrangement pâle. Presque gris. Comme si la mort l’habitait. Peut-être est-ce l’expression dramatique qu’arbore son visage ? Mais qui pourrait l’en blâmer ?
Il serre la main de nos alpha tandis que sa meute apparaît derrière lui, posant enfin les pieds à l’extérieur.
– Bienvenue chez vous, commence Lorenzo en posant une main sur l’épaule de l’autre chef de meute dans un geste affectueux.
– Merci beaucoup de nous accueillir ici, mais sans vouloir vous vexer, Lorenzo, ce n’est pas chez nous. Nos maisons ont été ravagées par les flammes…
– Et nous en sommes profondément désolés, intervient Ella. Ce que mon mari voulait dire, c’est que nous ferons au mieux pour que vous vous sentiez le plus à l’aise possible ici. Et si vous souhaitez nous quitter, à un moment ou à un autre, nous vous aiderons à trouver une solution, mais en attendant, nous sommes ravis de vous accueillir en dépit des circonstances qui vous amènent.
– Nous vous en sommes tous très reconnaissants.
Mon regard se porte sur les quelques dizaines de personnes qui sortent du car. Certains bâillent, s’étirent, d’autres regardent autour d’eux, parfois en se frottant les yeux. Enfants comme adultes, ils ont l’air de ne pas avoir dormi depuis plusieurs jours. Ils doivent être une quarantaine à tout casser. Et ils ont perdu presque autant de monde, ne puis-je m’empêcher de penser.
Dwayne, leur alpha, échange encore quelques banalités avec nos chefs avant que Lorenzo leur demande de le suivre jusqu’aux nouvelles infrastructures que nous avons bâties pour eux. Nous resserrons alors nos rangs, prêts pour les saluer.
Tandis qu’un groupe passe, la version miniature d’Ella et Lorenzo débarque entre Aiden et moi, me faisant perdre l’équilibre. Je me retourne brusquement et ne peux m’empêcher de reculer pour éviter de marcher sur Angela. Je trébuche alors sur les pieds de quelqu’un et ne parviens à me rattraper qu’en bousculant une fille du petit groupe de nouveaux, avec tant de brutalité qu’elle en tombe par terre. Tous les regards convergent soudain vers nous et un profond malaise se répand dans l’air.
– Merde ! Je suis vraiment désolé, excuse-moi ! m’exclamé-je, en lui tendant une main pour l’aider à se relever.
Elle regarde autour d’elle, la bouche entrouverte et les yeux écarquillés. Elle est sûrement aussi gênée que moi d’avoir attiré l’attention, bien qu’elle n’y soit pour rien. Elle semble enfin réaliser qu’elle est par terre et que je lui tends la main. Quelques secondes de flottement qui me suffisent pour détailler les traits de son visage.
Éblouissant…
Son regard foncé se pose sur moi, et elle repousse quelques mèches bouclées de ses cheveux, parsemés de fines tresses. Sur sa peau métisse se reflète un rayon de soleil devant lequel je m’empresse de me positionner pour qu’elle ne soit pas aveuglée. Mon estomac se tord quand elle me sourit timidement.
À l’instant où elle glisse sa main dans la mienne, le monde semble s’arrêter. Quelque chose qui dépasse de loin tout ce que j’ai jamais ressenti jusqu’à présent se produit. Une vive chaleur provenant de sa paume traverse la mienne et grimpe le long de mon bras comme un brasier enflammé, jusqu’à provoquer une sensation d’engourdissement qui me cloue sur place. Mon cœur rate un battement à mesure que tout mon être se fige. Un frisson me parcourt. Je suis saisi d’une sorte de vertige qui brouille toute pensée cohérente que pourrait formuler mon esprit.
Toute, sauf une… Carole.
Mais l’espèce de courant électrique qui me traverse des pieds à la tête, pendant que j’aide cette fille à se relever, retient mon attention pleine et entière, et je ne suis capable de rien d’autre que de me concentrer sur elle.
Je reprends peu à peu conscience du monde qui nous entoure et secoue la tête comme un dernier recours pour m’arracher à ma contemplation. Je laisse néanmoins mes yeux glisser le long de sa silhouette élancée, histoire d’être certain qu’elle va bien.
– Tu… tu n’es pas blessée ? demandé-je, le ton grave, avant de me racler la gorge.
Ses bras sont fins, sa taille étroite, et les muscles de ses jambes visiblement galbées sont moulés dans son jean. Elle est presque aussi grande que moi, ce qui m’étonne au vu de mon mètre quatre-vingt, mais ça lui va bien. Elle est d’une beauté à couper le souffle. À faire tomber n’importe qui à ses pieds sans avoir à fournir le moindre effort.
– Non, ça va.
Elle me répond d’une voix douce et faible, presque inaudible, qui rend mon battement de cœur suivant affreusement douloureux. Je me retiens de porter ma main à ma cage thoracique pour tenter d’en maîtriser la brûlure. La culpabilité m’assaille maintenant que je comprends à quel point je suis sensible à son charme, mais l’étrange chaleur qui se répand dans mes veines est… réconfortante.
Je voudrais que ça dure éternellement.
La sensation indescriptible que je pourrais tout lui dire inonde jusqu’à la plus infime cellule de mon corps, comme si je pouvais avoir en elle une confiance aveugle. Mais je ne peux pas y croire. Je m’y refuse. Parce que cela voudrait dire quelque chose que je ne suis pas prêt à accepter… Pas alors que je fais de mon mieux depuis des années pour que tout aille bien entre Carole et moi. Malgré toutes les difficultés que nous traversons, malgré nos doutes, malgré ses incertitudes, nous sommes un couple.
D’un mouvement de la tête, il m’invite à regarder Carole, toujours de l’autre côté du cercle. Jake Miller se dirige vers elle sous ses yeux pétillants. J’ignore si elle a décidé de revenir définitivement dans la meute, mais une chose est sûre : elle est heureuse d’être là, avec ses amis. Sa famille. Je ne suis même pas sûre qu’elle en ait conscience.Elle serre Jake dans ses bras, mais pas comme on le ferait avec un simple ami. Pas comme si Mason avait creusé un trou béant de tristesse et de solitude à cause de son absence. Mais plutôt comme si retrouver Jake lui provoquait un profond soulagement. Et je le sais, car j’ai l’impression de me voir il y a quelques minutes avec Mason.Si Carole et Jake n’en sont pas à s’avouer leurs sentiments naissants, il est tout de même certain qu’ils en ont.– Bien, lance Lorenzo d’une voix puissante qui résonne parmi la foule. Puisque nous sommes tous là, ou presque, commençons.Les chuchotements s’essoufflent au point de plonger le village dans un s
– Mes affaires.– Pourquoi ? demande-t-il avant même que l’écho de mes mots ne se soit essoufflé.– Eh bien… Je me suis dit que ce serait déplacé de rester ici avec Carole à côté… Je ne voudrais pas créer un malaise…Il fronce les sourcils, l’air de réfléchir à ce qui aurait pu me faire penser ça, puis son regard revient percuter mes iris.– Je t’ai dit que tu étais ici chez toi et que tu pouvais rester aussi longtemps que tu le souhaitais.– Mais Carole…– Carole vient de s’installer chez Ella et Lorenzo. Elle laisse ainsi sa maison à disposition, en cas de besoin. Tout est clair désormais entre elle et moi.J’ouvre la bouche pour répondre quelque chose qui me donnerait moins l’air désespéré, mais rien n’en sort. La situation est si perturbante qu’une vague de soulagement me fait vaciller lorsque Mason m’adresse un sourire sincère en esquissant un pas vers moi.– Tu m’as manqué, murmure-t-il.Il avance encore, jusqu’à s’arrêter à quelques centimètres. Son souffle s’échoue sur mes jou
Ses épaules se détendent imperceptiblement et un sourire éclaire son visage lorsque nous passons entre les premiers arbres qui marquent la lisière de la forêt.– Tu as toujours vécu ici ? demande-t-elle.– Oui ! C’est le cas de la plupart des membres de la meute.Je lui prends la main pour l’aider à escalader quelques rochers avant de reprendre notre avancée tranquillement. Ce n’est que quelques mètres plus tard que je prends conscience de ne pas l’avoir lâchée.Nous évoluons sur le terrain escarpé en comparant ma vie recluse au village et la sienne, pleine de possibilités, dans une ville où le tourisme est particulièrement actif. Je lui avoue n’avoir jamais imaginé ma vie ailleurs que dans ce coin paumé au cœur de la Louisiane.Finalement, nous atteignons le sommet de la colline où nous avons l’habitude de nous retrouver avec le groupe. C’est un peu notre endroit à nous, notre refuge, où rien ni personne ne pourra jamais nous atteindre.– Waouh… lâche-t-elle dans un soupir en découvr
MasonEn sortant de la douche pour rejoindre la solitude de ma chambre d’hôtel, les cheveux encore dégoulinants, je repense à ma conversation avec Carole.Ces dernières semaines, bien qu’on se disputait souvent, je l’aimais, et ça fait du bien d’apprendre qu’elle aussi, même si nos sentiments avaient déjà pris une autre voie. Ils s’étaient transformés en quelque chose de moins passionnel, et sûrement de plus amical au fond. Ce que je ressens pour Inaya n’a pas d’égal. C’est tellement plus… profond. Indescriptible. Et si une part de moi sera toujours attachée à Carole, je dois faire mon chemin de mon côté et lui laisser une chance d’en faire de même, y compris si c’est avec Jake.La sonnerie de mon téléphone m’interrompt dans mes pensées alors que j’enfile un bas de survêtement. Le nom de Lorenzo s’affiche sur l’écran. Je fronce les sourcils, étonné. Il sait où je suis et ce que je suis venu faire là, il n’est pas du genre à se manifester dans ce type de situations. Je repense à ce qu’
– Laisse-la digérer l’information. Tu la retrouveras plus tard.Je fronce les sourcils, à la fois intriguée par le départ d’Ella et perplexe face à ce qui se joue sous mes yeux. Je ne comprends plus rien. En quoi la sœur de l’ancien alpha pourrait être mêlée à cette affaire ? Pourquoi était-elle en prison ? Et surtout, comment a-t-elle réussi à s’en échapper ?C’est Brice qui attire mon attention en soupirant bruyamment. Puis il entreprend de me raconter.– Nicole a toujours été de nature très jalouse. C’est presque maladif chez elle. Je suis l’aîné de la fratrie, alors j’ai repris la direction de la meute après mon père. Elle ne l’a jamais supporté. Je suppose que tout est vraiment parti de là. Puis, elle a épousé l’alpha Miller…– Miller comme… Jake et Gregor ? l’interrompé-je de plus en plus étonnée.– C’est leur père, oui. Nicole est leur belle-mère. Mais cette union ne lui a pas suffi. Elle voulait diriger et elle n’était pas en position de le faire, du moins pas toute seule. C’e
Inaya– C’est le deuxième incendie en à peine quelques semaines. Comme dans le village de Dwayne, personne n’a rien vu avant les premières flammes. Il y a bien eu un bruit d’explosion, mais ça a été rapidement mis de côté face à la fureur du feu qui s’est propagé. Ce n’est que plus tard que la thèse de l’incendie criminel a été confirmée. Heureusement, il n’y a eu aucun blessé, mais il faut faire quelque chose pour que ça ne se reproduise plus, récapitule Lorenzo en s’asseyant autour de la table du Conseil, juste à côté d’Ella.Je n’arrête pas de passer en revue les maigres informations dont nous disposons à ce sujet, dans l’espoir d’y trouver une explication. J’ai un mauvais pressentiment. Une sombre impression que quelque chose de beaucoup plus grave, qu’on ne se l’imagine, se prépare dans notre dos. Et en attendant, on perd notre temps à discuter…Sur le chemin vers la salle du Conseil, Ella m’a informée des dernières nouvelles pour que je ne sois pas perdue. Il y a quelques jours,