Home / Romance / BAISE-MOI ENCORE / Chapitre 6 — Sa Cousine 6

Share

Chapitre 6 — Sa Cousine 6

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-08-05 18:29:03

Éric

Le bureau m’oppresse.

Plus que jamais.

J’y suis pourtant venu pour fuir. Fuir la chambre. Fuir Clara. Fuir le souvenir de la veille, de sa voix douce comme un verdict, de son souffle mesuré dans le noir. Fuir surtout Jade. Ironie sordide : c’est elle que je retrouve, dès le seuil franchi.

Pas en chair. En esprit. En parfum. En poison.

Tout me rappelle Jade. Même ici.

L’odeur du café, d’habitude rassurante, me brûle la gorge. Le bruit des claviers, les appels au loin, les portes qui claquent… chaque chose m’agresse. Mon corps est là, assis, costume impeccable, cravate bien nouée. Mais à l’intérieur, c’est le désert.

Je crois que je suis devenu une enveloppe.

Une illusion d’homme.

Les collègues me saluent, me parlent. Je réponds par automatisme. Je souris parfois. J’ai appris à faire semblant. Je suis un bon menteur, désormais. Mais mes mains tremblent un peu quand je m’assois. Et mon estomac se tord chaque fois qu’un téléphone vibre.

Parce que j’attends un message.

Le sien.

Et parce que je redoute qu’il arrive.

Je l’imagine, derrière son écran, cigarette entre les doigts, jambe repliée sur un fauteuil. Elle ne douterait pas. Elle oserait. Elle, elle n’aurait pas besoin d’écrire puis d’effacer mille fois.

Mais moi, je suis encore suspendu.

Entre deux mondes.

À onze heures, je craque.

Je ferme la porte de mon bureau. Je baisse le store. Je verrouille.

Et je vais la chercher : Jade.

Son profil I*******m. Quelques photos, froides, maîtrisées. Mais dans chaque image, il y a quelque chose de moi. Ou peut-être est-ce moi qui mets quelque chose d’elle partout. Sa dernière photo est là. Un verre de vin rouge. Une table en marbre blanc. Une lumière chaude.

"Entre deux villes, entre deux vérités."

Je la relis. Encore. Et encore.

Je tape un message.

“Tu me manques.”

J’efface.

Je recommence.

“Je repense à cette nuit.”

J’efface.

Je soupire. Je ferme l’application. Je la rouvre. Encore.

Je me déteste.

Je suis censé aimer ma femme.

Je suis censé rentrer à la maison sans cette faim étrange au creux du ventre.

Mais je pense à Jade comme un homme pense à son dernier souffle.

Et Clara…

Clara devient une habitude. Une ombre douce. Un silence qui m’énerve.

Je passe l’après-midi à errer entre des dossiers ouverts et jamais lus, des messages professionnels auxquels je réponds sans lire. Je suis là, mais absent. Tout ce que je fais est vide.

À 17h, je n’en peux plus. Je pars. Je fuis.

Mais je ne rentre pas immédiatement.

Je marche dans la rue. Je m’arrête devant un bar. Je me demande si elle est là, quelque part, en train de m’attendre. Peut-être dans un autre hôtel. Peut-être nue sous un peignoir. Peut-être en train de rire déjà de moi.

Et pourtant je ne l’appelle pas.

Quand je rentre à l’appartement, il fait presque nuit. Clara est dans la cuisine. Elle découpe des légumes avec lenteur. Trop de lenteur.

Je m’arrête sur le seuil.

Elle ne se retourne pas.

— Tu veux un verre ? demande-t-elle.

Sa voix est douce. Mécanique.

Je réponds oui.

Je me sers moi-même.

Elle me sourit. Un tout petit sourire. Poli. Lointain.

Et je comprends que ce sourire est le début de la fin.

Clara

Je le sens avant même qu’il entre.

Je sens sa fatigue, son absence, son odeur étrangère à la maison. Quand la porte s’ouvre, c’est comme si l’air changeait autour de moi. Comme si l’amour que j’ai tant tenté de préserver s’étiolait à chaque pas qu’il fait vers moi.

Je suis dans la cuisine. Je découpe des carottes. Il aimait ça, avant.

Je fais semblant.

Je m’accroche aux gestes, aux recettes. Je m’accroche à ce qu’il reste.

Il me dit bonsoir.

Je l’entends à peine.

Je lui propose un verre. Parce que je ne sais plus quoi dire d’autre. Parce que lui poser une question serait le forcer à mentir. Et je ne veux pas l’entendre mentir.

Pas ce soir.

Il me regarde. Je le vois, du coin de l’œil. Il ne sait pas quoi faire de ses mains, ni de son silence. Il veut combler. Mais il n’a plus rien à offrir.

Alors il me sourit.

Et moi, je lui rends ce sourire.

Un sourire d’adieu.

Pendant qu’il boit son verre, je pense à toutes les fois où il me regardait vraiment. Où son regard me cherchait, me déshabillait, me voulait. Ces regards-là ont disparu. Remplacés par cette gêne, cette culpabilité feinte, cette retenue lâche.

Je le sais.

Je sais qu’il pense à elle.

Pas à cause d’un message lu. Pas à cause d’un mot entendu.

Mais parce qu’il ne me voit plus.

Je suis là, devant lui, et il regarde à travers moi.

J’ai trouvé une trace de rouge à lèvres sur sa chemise il y a deux jours. Un rouge foncé, presque bordeaux. Moi, je ne porte que des tons neutres. Il sait que je l’ai vu. Je l’ai remise en boule dans le panier à linge. Je n’ai rien dit.

Et il n’a rien dit non plus.

Je me suis réveillée cette nuit. Il respirait fort. Il avait le front humide. Je l’ai observé. Je me suis demandé s’il rêvait d’elle. Si, dans son sommeil, il trouvait avec elle ce qu’il ne cherche plus avec moi.

Et c’est là que j’ai compris.

Il n’était pas parti.

Il s’était évaporé.

Décomposé.

Et moi, j’étais là. Seule avec un fantôme. Un homme que j’aimais. Que j’aime encore. Et que je suis en train de perdre, sans même avoir la force de le retenir.

Je n’ai pas crié. Je n’ai pas pleuré.

Mais depuis cette nuit, je le pleure en silence.

Et je me prépare. Pas à lui faire une scène. Pas à le supplier.

Mais à le laisser choisir.

Je veux savoir s’il est encore capable de me voir.

Moi ,Clara.

Pas la femme avec qui il partage une adresse.

Mais la femme qu’il a aimée. Peut-être.

Un jour.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • BAISE-MOI ENCORE    Épilogue — La lumière au creux des jours

    BlackParfois nos épaules se frôlent. Parfois nos mains aussi. Il n’y a pas de gestes calculés, seulement l’envie de rester proches. Et à chaque contact, je sens un peu plus cette tension invisible s’évaporer.On s’arrête au bord d’un petit parc. Elle s’assoit sur un banc, les genoux ramenés contre elle. Le ciel est pâle, voilé, mais il y a une clarté douce, presque timide. Je la rejoins, sans rompre le silence. Il n’y a rien à dire que son souffle contre le mien ne dise déjà mieux.— Tu sais, souffle-t-elle, je crois que je ne cherche plus à comprendre pourquoi c’est toi. Je crois juste… que c’est toi.Ses mots me traversent comme un coup de vent chaud en hiver. Je tourne lentement la tête vers elle. Elle me regarde comme si elle venait de me confier quelque chose de sacré.Je tends la main, frôle doucement sa joue du bout des doigts. Sa peau est tiède, vivante. Elle ne recule pas.— Et moi… je ne veux plus être ailleurs qu’ici. Avec toi.Elle ferme les yeux un instant, inspire profo

  • BAISE-MOI ENCORE    Chapitre 140 — Sous peine de silence 47

    BlackLa lumière du matin s’est installée doucement, caressant les murs, glissant sur ses traits fatigués mais apaisés. Nous restons là, immobiles, dans cette cuisine devenue un sanctuaire fragile. L’air est épais de tout ce qui n’a pas été dit, de tout ce qui attend encore d’être confronté.Elle s’appuie contre le comptoir, croisant les bras, les épaules légèrement voûtées. Son regard cherche le mien, hésitant, comme s’il fallait franchir un autre mur invisible.— Je… je ne sais pas si je peux vraiment te faire confiance, murmure-t-elle.Ce n’est pas une accusation, juste un aveu qui pèse plus lourd que n’importe quel reproche.Je baisse les yeux, le souffle court, conscient que c’est un chemin qu’on doit parcourir, pas à pas, avec soin, dans la douleur autant que dans l’espoir.— Je sais. Et je ne te demande pas de le faire tout de suite. Je ne te demande pas de m’abandonner ta peur, ta douleur. Juste… de m’accepter dans tout ça. Avec mes failles, mes erreurs.Elle tourne la tête, u

  • BAISE-MOI ENCORE    Chapitre 139 — Sous peine de silence 46

    BlackLe silence entre nous ne s’est pas dissipé avec la nuit. Il est devenu un souffle, un murmure qui s’infiltre partout, un poids aussi lourd que les regrets que je traîne. Chaque seconde, il s’insinue un peu plus profondément, m’empoisonnant le cœur et l’esprit, en même temps qu’il crée un espace fragile où tout pourrait basculer.Je reste immobile, figé dans cette chambre qui semble à la fois trop petite et trop vaste. Le temps semble suspendu, chaque tic-tac de l’horloge résonnant comme un coup de marteau sur une enclume. À peine conscient du monde autour de nous, mon esprit est tendu comme une corde prête à craquer. Elle dort enfin, ou du moins elle essaie, mais je sais que ce sommeil est fragile, qu’il vacille au moindre battement trop fort de la peur.Je la regarde, ses paupières légèrement closes, ses traits tendus par la fatigue et l’angoisse. Son souffle est irrégulier, parfois retenu, comme si le poids du passé pesait encore trop lourd sur sa poitrine. Je me demande comme

  • BAISE-MOI ENCORE    Chapitre 138 — Sous peine de silence 45

    BlackJe ne dors pas.La nuit s’étire, lourde, étouffante, comme un voile épais qui écrase le moindre souffle d’air.Le silence est dense, presque palpable, une masse invisible qui pèse entre les murs, entre nous, chargée de tout ce qui n’a pas été dit, de tout ce qui reste suspendu, fragile, prêt à se briser au moindre frémissement.Je sens son souffle contre moi, un souffle léger, régulier, presque fragile, qui rythme chaque battement de mon cœur.C’est comme un fil ténu qui me retient, m’ancre au présent, à elle.Elle dort, ou du moins elle essaie.Sous ma main, je devine le soulèvement lent et irrégulier de sa poitrine, le rythme parfois saccadé de son cœur, encore là, battant contre moi, pour moi.Mais je sens aussi sa tension, ce léger frisson qui traverse ses muscles, cette crispation furtive qu’elle ne peut pas entièrement dissimuler.Comme si elle était prête à fuir à la moindre alerte, à s’échapper d’un monde qui l’étouffe.Elle ne me fait pas totalement confiance, pas encor

  • BAISE-MOI ENCORE    Chapitre 137 — Sous peine de silence 44

    SilviaLe jour n’est pas encore levé.Mais je le sens.À la manière dont la lumière tremble doucement contre mes paupières closes,À ce souffle léger qui effleure la chambre,À ce frisson presque imperceptible qui traverse l’air tiède et immobile.Ce n’est pas une promesse encore.Juste une hésitation, fragile comme un papillon posé sur la peau du monde.Un souffle suspendu entre la nuit qui s’achève et le matin qui attend,Comme si ce dernier craignait de briser le silence avec son éclat.Je suis lovée contre lui.Ou peut-être… c’est lui qui s’est noué à moi, s’est enraciné sous ma peau, au creux de mes os.Je ne sais plus vraiment.Je ne distingue plus où il finit et où je commence.Nos corps s’entrelacent dans une harmonie confuse, une frontière effacée, une fusion douce et brûlante.Son torse chaud respire doucement contre mon dos,Chaque battement caressant la peau de mon épaule comme une promesse silencieuse.Ses jambes, emmêlées aux miennes, me retiennent comme les racines soli

  • BAISE-MOI ENCORE    Chapitre 136 — Sous peine de silence 43

    SilviaJe n’ai pas dormi.Pas vraiment.J’ai menti à la nuit comme je lui ai menti à lui.Avec douceur. Avec tendresse.Avec cette forme de tendresse qui n’est jamais que de la peur habillée.J’ai gardé les yeux fermés, la respiration feinte, le corps abandonné sous les draps froissés, comme si j’étais innocente. Comme si j’étais à lui.Comme si j’étais encore cette femme-là. Celle qu’il pense pouvoir aimer.Mais la vérité, c’est que je l’ai senti s’éloigner bien avant qu’il ne se lève.Je l’ai senti se contracter, se refermer sur lui-même, lutter contre le besoin de me réveiller d’un mot ou d’un geste.Je l’ai senti se tendre, chaque muscle vibrant d’un non-dit.Je l’ai senti peser ce qu’il voulait savoir, contre ce qu’il pouvait supporter.Puis il s’est levé.Et son absence a laissé un vide dans l’air.Un vide dense. Absolu. Un vide qui suinte le soupçon.Un froid plus tranchant que l’hiver.Le genre de froid qu’on ressent quand une présence s’arrache à vous. Pas le corps. L’âme.Je

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status