Adrian
La route défile, sinueuse et sombre, comme un serpent qui s’enroule autour de mes pensées tourmentées. La ville s’efface peu à peu derrière nous, ses lumières vacillantes remplacées par les ténèbres épaisses des collines siciliennes. L’air frais s’engouffre par la fenêtre entrouverte, mais je ne ressens rien, si ce n’est cette lourdeur sourde au creux de la poitrine.
Vittoria reste silencieuse, impassible, assise près de moi, son visage figé dans une expression que je peine à déchiffrer. Parfois, quand elle croit que je ne regarde pas, son regard sombre se pose sur moi, affûté comme une lame prête à trancher.
Le contraste entre nous est saisissant. Elle, reine glaciale d’un empire bâti sur le sang et la peur. Moi, procureur idéaliste au cœur battant pour la justice, enchaîné dans ce luxe qui me fait suffoquer.
Un frisson me parcourt quand la voiture quitte la route principale, s’engageant dans une allée étroite bordée de cyprès dont les silhouettes menaçantes semblent vouloir m’enfermer à jamais.
Je devine à peine le manoir qui s’impose devant nous, tel un géant endormi dans la nuit. Ses murs de pierre, couverts de lierre noir, renvoient une froideur presque surnaturelle. Des fenêtres encadrées de velours rouge jettent des éclats d’ombre, semblant observer la nuit comme une sentinelle invisible.
La portière s’ouvre avec un bruit sec. Un homme en costume sombre, à la mâchoire serrée, s’avance, ouvre la porte du manoir. Vittoria descend avec cette démarche royale et assurée qui m’a toujours troublé.
Elle se tourne vers moi, un sourire glacé aux lèvres.
— Bienvenue chez moi, Adrian.
Son ton est détaché, presque cruel.
Je descends, chaque pas résonne sur le sol de pierre froide comme un glas. L’atmosphère m’oppresse. Ce lieu respire la puissance et l’enfermement.
À l’intérieur, le hall est vaste, sol en marbre poli, meubles anciens aux bois sombres, tapis épais étouffant mes pas. Les tableaux aux visages figés semblent m’observer, témoins silencieux d’un pouvoir ancestral.
Des serviteurs passent sans un mot, invisibles ombres dans ce théâtre cruel.
Je serre les poings, mais je la suis.
— Tu seras ici.
Je relève la tête, défiant.
— Jusqu’à ce que je décide de te libérer ?
Elle tourne lentement la tête, ses yeux perçants braqués sur moi.
— Jusqu’à ce que je n’aie plus besoin de te retenir.
Elle pousse une lourde porte ornée de fer forgé. Derrière, un bureau moderne tranche avec la décoration classique : cuir noir, écrans lumineux, murs couverts de livres anciens.
— C’est ici que tu resteras.
Je serre la mâchoire.
— C’est une prison.
Elle s’avance, calme.
— C’est la réalité.
Je sens le clic sec du verrou. La porte se referme, et avec elle, mes dernières illusions.
Le manoir D’Amato est une forteresse. Moi… je suis son prisonnier.
Vittoria
J’observe Adrian à travers le rétroviseur intérieur, son visage crispé, ses traits tendus comme une toile prête à se déchirer. Il croit pouvoir lutter, mais il ne sait pas encore que dans mon monde, la résistance est un jeu d’enfant.
Ce manoir est le cœur battant de mon empire, le sanctuaire où règne mon pouvoir sans partage. Chaque pierre, chaque meuble, chaque tableau raconte une histoire de sang et de loyauté. Et bientôt, Adrian y écrira la sienne.
Il se débat contre ses chaînes invisibles, mais il est déjà enfermé dans mon piège.
J’aime voir cette étincelle de défi dans ses yeux. Elle me rappelle ce que je suis devenue. Cette femme que rien ni personne n’a pu briser, même lorsque mon père est tombé. À vingt-trois ans, j’ai pris la tête de cette famille, affrontant la haine, la trahison, les hommes qui voulaient me voir tomber.
Le pouvoir m’a forgée, mais aussi glacée. Je suis belle, oui, d’une beauté froide et tranchante, une silhouette élancée vêtue de noir, cheveux lisses encadrant un visage sans faille. Mon corps est une armure, sculpté par la volonté et la discipline.
Je ne laisse personne m’approcher, sauf lui. Mon bras droit, Luca, un homme loyal, impitoyable, qui connaît mes faiblesses sans jamais les montrer.
Il est là, près de moi, discret mais présent. Je sens sa main effleurer mon bras dans un geste de soutien silencieux. Un instant fragile dans ce monde de fer.
— Vittoria, dis-moi quand tu voudras parler, murmure-t-il à voix basse.
Je hoche la tête sans détourner le regard d’Adrian.
— Bientôt, Luca. Tout se jouera ce soir.
Luca acquiesce et s’efface dans l’ombre, tandis que moi, je me tiens prête, reine de glace, maîtresse de ce jeu dangereux où le cœur et le pouvoir s’entrelacent.
VITTORIAJe laisse mes doigts glisser sur le pied de mon verre, comme si je caressais une promesse. La lumière tamisée du restaurant enveloppe les tables d’une chaleur feutrée, mais à notre table, l’air vibre d’électricité contenue. Le serveur s’éloigne, discret, mais je sais qu’il a vu, qu’il a compris. Tout le monde comprend.Je dépose ma main sur la sienne. Un effleurement d’abord, presque innocent, comme si j’avais simplement besoin d’appui. Mais je prolonge. Mes doigts enveloppent les siens, mes ongles tracent de légers cercles sur sa peau tendue. Il ne retire pas sa main. Il ne peut pas. Ses yeux brûlent pourtant de colère contenue, de refus muet.Je souris, douce et victorieuse. — Tu vois, Adrian, tout paraît si naturel, quand on cesse de lutter.Je serre un peu plus, et j’entends les conversations autour de nous s’interrompre un instant. L’atmosphère change, imperceptiblement, mais je le sens : les regards se tournent, certains subtilement, d’autres avec une curiosité à peine
VITTORIAJe sens le regard d’Adrian brûler contre ma peau alors que je détourne le mien avec légèreté. Les murmures et les flashes continuent de crépiter autour de nous, mais je ne les remarque plus. Tout ce qui compte, c’est le moment que je vais lui imposer, le jeu que je contrôle.— Allons déjeuner, murmuré-je à voix basse, juste pour lui, mais suffisant pour que le monde entende notre complicité apparente.Ses yeux se plissent, mélange de colère et d’incrédulité, mais il ne proteste pas. Pas encore. Je sais que sa fierté hurle, que sa stratégie mentale s’active, mais il ne peut rien contre moi ici. Pas après ce baiser, pas après ce parvis transformé en scène.Je l’entraîne par le bras, léger contact qui en dit long, jusqu’à ma voiture. Les passants reculent instinctivement, fascinés et effrayés par la démonstration silencieuse. Chaque talon frappant le trottoir est un rappel que je dicte le rythme. Adrian garde la tête haute, mais je devine le tremblement contenu dans ses poings.
ADRIANLe palais de justice est une ruche disciplinée : robes noires qui se croisent, dossiers sous le bras, pas mesurés, visages fermés. Ici, chaque mot pèse, chaque geste est scruté. C’est mon domaine, mon dernier rempart, le théâtre où je contrôle tout, où chaque seconde est codée et chaque erreur sanctionnée.Je viens de sortir d’une audience. La lumière crue du soleil m’aveugle un instant. Les flashes des journalistes éclatent déjà au bas des marches, impatients, affamés. Je prends une inspiration pour m’armer d’indifférence, mais mon corps refuse. Mon cœur s’accélère avant même que je ne la voie….. Vittoria.Elle se tient là, comme si le parvis entier était son trône. Tailleur sombre parfaitement coupé, lunettes noires, lèvres écarlates. Derrière elle, ses gardes dessinent un arc de cercle menaçant, statues de pierre vivantes. Le tumulte de la ville s’arrête net. Les voitures freinent, les passants figent leurs gestes. Même le vent semble hésiter avant de bouger.Mon souffle se
VITTORIALa grille s’ouvre dans un grincement feutré, à peine audible, mais je sais que derrière le portail, une dizaine d’yeux me suivent déjà. Les gardes se tiennent droits, silhouettes noires découpées dans la lueur des projecteurs. Leurs oreillettes brillent comme des cicatrices métalliques. Ils ne parlent pas. Ils ne sourient pas. Ils sont là pour une seule chose : protéger mon empire.La voiture s’avance dans l’allée bordée de cyprès. Chaque arbre semble se pencher en signe de révérence. Quand je descends enfin, les talons frappent les pavés comme les coups d’un marteau de juge. Ma sentence est tombée ce soir : Adrian est à moi.Un garde ouvre la porte d’entrée de la villa. Pas un mot, pas un regard. Ils savent. Ils sentent que je reviens victorieuse.À l’intérieur, la demeure respire le luxe glacé : marbre poli, tapisseries sombres, lustres de cristal. Tout est silence, sauf le bruissement de ma robe. J’ai bâti ce lieu comme une forteresse : les vitres sont blindées, les caméra
ADRIANUn bruit de chaise fend le silence et me tire du sommeil. Mes yeux s’ouvrent d’un coup, happés par la lumière crue de la lampe de chevet. La chambre paraît étrangère, découpée en zones trop nettes. Vittoria est là, assise dans le fauteuil, jambes croisées, une tasse fumante posée sur la table basse. Son calme me glace. Elle ne semble pas une intruse : elle semble avoir toujours eu droit de cité ici.— Qu’est-ce que tu fais ici ? Ma voix est sèche, alourdie par la fatigue.Elle sourit, ce sourire qui n’éclaire jamais rien.— Je suis venue passer la nuit avec mon fiancé.Je me redresse, le cœur martelant mes tempes.— Ton fiancé ? Tu parles de qui ?— De toi, Adrian. Toi. Et dans quelques jours, dans un restaurant de la place, tu me demanderas en mariage devant témoins.Le souffle se bloque dans ma gorge. Mes yeux cherchent machinalement mon téléphone sur la table de nuit. Vide. Elle suit mon geste d’un léger mouvement de tête, presque amusée.— Inutile. Tu ne l’auras pas. Et qua
ADRIANMon téléphone vibre encore dans ma main quand la réunion se disperse. Les visages autour de la table restent tendus, chacun portant la fatigue d’un animal qui sait qu’on le chassera s’il chancelle. Marco soupire, comme s’il venait d’entendre une cloche qu’il n’a pas su faire taire. Clara range ses notes avec une précision rageuse. Alessandro, lui, a les yeux qui brillent : la chasse a commencé et il adore la chasse.Je relis la capture. Le message est simple, vulgaire par sa clarté : elle a des copies. Elle menace d’envoyer ce qu’il faut au procureur de la République. La formulation est un défi et une promesse. C’est moins un chantage qu’un jeu d’échecs où l’adversaire m’impose un tempo que je dois casser.Sofia me rejoint presque immédiatement, sans cérémonie. Elle entre comme on pousse une porte dans un chantier : poussière, détermination, nerveuse mais nette.— Tu as fait le bon mouvement, dit-elle, sans détour. Mais tu as bougé sur le terrain qu’elle préfère. Elle aime la s