Adrian
Je gare ma voiture le long d’une ruelle étroite, encadrée par des façades de pierre usées par le temps. Je coupe le moteur et reste un instant immobile, les mains serrées sur le volant, comme pour retarder le moment d’affronter ce qui m’attend. Devant moi, le palais de justice se dresse, massif et impérieux, silhouette de pierre blanche tachée par les années. C’est le symbole de tout ce pour quoi j’ai choisi cette vie, et chaque pas vers ce bâtiment représente une victoire fragile contre la corruption rampante qui ronge cette ville.
Je descends, refermant la portière avec douceur. Mes chaussures claquent sur les pavés, brisant le silence nocturne. Pourtant, je ne perçois pas le léger écho d’un autre pas, plus discret, qui se calque sur le mien.
Ce que j’ignore, c’est qu’à quelques mètres, dans l’ombre, se tient Vittoria D’Amato. La reine incontestée de la mafia sicilienne. Une femme dont le nom seul suffit à faire taire une pièce entière. Sa réputation repose sur le sang et la peur, mais aussi sur un charme glacé qui désarme autant qu’il terrifie. Depuis des années, elle me suit, m’observe. Moi, Adrian Vega, procureur décidé à mettre à genoux les familles criminelles de Palerme. Ce que je considère comme un devoir, elle le voit comme un affront… et plus encore, comme un lien.
J’entre dans le hall du palais. La lumière blafarde souligne mes traits tirés par la fatigue. Dans mon esprit défilent encore les preuves que j’ai présentées aujourd’hui : documents compromettants, enregistrements… Autant de coups portés à la famille D’Amato. Ce soir, je me sens proche d’un aboutissement.
Mais pour elle, je ne suis pas un adversaire à éliminer. Je suis un but , un trophée.
Je quitte le bâtiment. La fraîcheur nocturne vient frôler ma peau, mais ce n’est pas le vent qui me fait lever la tête. Une sensation étrange, comme une présence invisible, s’ancre dans mon esprit. Je m’arrête une fraction de seconde. Trop tard.
Une portière claque à ma droite, et une silhouette surgit de l’ombre. Un bras puissant se referme sur mon poignet et me tire avec une force implacable vers l’intérieur d’un véhicule noir aux vitres teintées.
— Lâchez-moi ! grogné-je en me débattant, le souffle court.
Je donne un coup de coude, cherchant à me dégager, mais la prise est ferme, presque inhumaine.
— Tu ne comprends pas ? murmure Vittoria, sa voix glaciale comme un couperet.
— Lâche-moi, je ne suis pas ton jouet !
Je sens son regard perçant sur moi, défiant, obsédé.
— Tu es à moi, Adrian. Je t’ai attendu trop longtemps.
— Jamais je ne serai à toi, répliquai-je avec véhémence.
Je cherche la poignée de la portière, prêt à l’ouvrir et à m’échapper, mais elle me plaque contre le siège d’une force brutale.
— Tu as toujours fui, mais cette fois, il n’y aura pas d’échappatoire.
Un silence lourd s’installe, seulement troublé par le vrombissement du moteur qui démarre.
Je tourne la tête pour la regarder. Vittoria est là, calme, souveraine, mais au fond de ses yeux, une flamme brûlante, un feu dévorant qui m’effraie autant qu’il m’attire.
— Pourquoi ? demandai-je, ma voix cassée par le mélange de peur et de colère.
Elle ne répond pas immédiatement. Puis, doucement :
— Parce que tu es tout ce qui me manque.
Le poids de ses mots écrase ma colère. Je me raidis, refusant de céder.
— Je ne suis pas un prix à gagner.
— Peut-être pas. Mais tu es le seul dont je ne peux me passer.
La voiture démarre, avalant la nuit. Palerme disparaît derrière nous.
Je me recroqueville sur mon siège, le souffle court, sentant chaque seconde s’égrener dans cette cage mobile.
Le jeu vient de commencer, et je sais que je ne suis plus libre.
VITTORIAJe laisse mes doigts glisser sur le pied de mon verre, comme si je caressais une promesse. La lumière tamisée du restaurant enveloppe les tables d’une chaleur feutrée, mais à notre table, l’air vibre d’électricité contenue. Le serveur s’éloigne, discret, mais je sais qu’il a vu, qu’il a compris. Tout le monde comprend.Je dépose ma main sur la sienne. Un effleurement d’abord, presque innocent, comme si j’avais simplement besoin d’appui. Mais je prolonge. Mes doigts enveloppent les siens, mes ongles tracent de légers cercles sur sa peau tendue. Il ne retire pas sa main. Il ne peut pas. Ses yeux brûlent pourtant de colère contenue, de refus muet.Je souris, douce et victorieuse. — Tu vois, Adrian, tout paraît si naturel, quand on cesse de lutter.Je serre un peu plus, et j’entends les conversations autour de nous s’interrompre un instant. L’atmosphère change, imperceptiblement, mais je le sens : les regards se tournent, certains subtilement, d’autres avec une curiosité à peine
VITTORIAJe sens le regard d’Adrian brûler contre ma peau alors que je détourne le mien avec légèreté. Les murmures et les flashes continuent de crépiter autour de nous, mais je ne les remarque plus. Tout ce qui compte, c’est le moment que je vais lui imposer, le jeu que je contrôle.— Allons déjeuner, murmuré-je à voix basse, juste pour lui, mais suffisant pour que le monde entende notre complicité apparente.Ses yeux se plissent, mélange de colère et d’incrédulité, mais il ne proteste pas. Pas encore. Je sais que sa fierté hurle, que sa stratégie mentale s’active, mais il ne peut rien contre moi ici. Pas après ce baiser, pas après ce parvis transformé en scène.Je l’entraîne par le bras, léger contact qui en dit long, jusqu’à ma voiture. Les passants reculent instinctivement, fascinés et effrayés par la démonstration silencieuse. Chaque talon frappant le trottoir est un rappel que je dicte le rythme. Adrian garde la tête haute, mais je devine le tremblement contenu dans ses poings.
ADRIANLe palais de justice est une ruche disciplinée : robes noires qui se croisent, dossiers sous le bras, pas mesurés, visages fermés. Ici, chaque mot pèse, chaque geste est scruté. C’est mon domaine, mon dernier rempart, le théâtre où je contrôle tout, où chaque seconde est codée et chaque erreur sanctionnée.Je viens de sortir d’une audience. La lumière crue du soleil m’aveugle un instant. Les flashes des journalistes éclatent déjà au bas des marches, impatients, affamés. Je prends une inspiration pour m’armer d’indifférence, mais mon corps refuse. Mon cœur s’accélère avant même que je ne la voie….. Vittoria.Elle se tient là, comme si le parvis entier était son trône. Tailleur sombre parfaitement coupé, lunettes noires, lèvres écarlates. Derrière elle, ses gardes dessinent un arc de cercle menaçant, statues de pierre vivantes. Le tumulte de la ville s’arrête net. Les voitures freinent, les passants figent leurs gestes. Même le vent semble hésiter avant de bouger.Mon souffle se
VITTORIALa grille s’ouvre dans un grincement feutré, à peine audible, mais je sais que derrière le portail, une dizaine d’yeux me suivent déjà. Les gardes se tiennent droits, silhouettes noires découpées dans la lueur des projecteurs. Leurs oreillettes brillent comme des cicatrices métalliques. Ils ne parlent pas. Ils ne sourient pas. Ils sont là pour une seule chose : protéger mon empire.La voiture s’avance dans l’allée bordée de cyprès. Chaque arbre semble se pencher en signe de révérence. Quand je descends enfin, les talons frappent les pavés comme les coups d’un marteau de juge. Ma sentence est tombée ce soir : Adrian est à moi.Un garde ouvre la porte d’entrée de la villa. Pas un mot, pas un regard. Ils savent. Ils sentent que je reviens victorieuse.À l’intérieur, la demeure respire le luxe glacé : marbre poli, tapisseries sombres, lustres de cristal. Tout est silence, sauf le bruissement de ma robe. J’ai bâti ce lieu comme une forteresse : les vitres sont blindées, les caméra
ADRIANUn bruit de chaise fend le silence et me tire du sommeil. Mes yeux s’ouvrent d’un coup, happés par la lumière crue de la lampe de chevet. La chambre paraît étrangère, découpée en zones trop nettes. Vittoria est là, assise dans le fauteuil, jambes croisées, une tasse fumante posée sur la table basse. Son calme me glace. Elle ne semble pas une intruse : elle semble avoir toujours eu droit de cité ici.— Qu’est-ce que tu fais ici ? Ma voix est sèche, alourdie par la fatigue.Elle sourit, ce sourire qui n’éclaire jamais rien.— Je suis venue passer la nuit avec mon fiancé.Je me redresse, le cœur martelant mes tempes.— Ton fiancé ? Tu parles de qui ?— De toi, Adrian. Toi. Et dans quelques jours, dans un restaurant de la place, tu me demanderas en mariage devant témoins.Le souffle se bloque dans ma gorge. Mes yeux cherchent machinalement mon téléphone sur la table de nuit. Vide. Elle suit mon geste d’un léger mouvement de tête, presque amusée.— Inutile. Tu ne l’auras pas. Et qua
ADRIANMon téléphone vibre encore dans ma main quand la réunion se disperse. Les visages autour de la table restent tendus, chacun portant la fatigue d’un animal qui sait qu’on le chassera s’il chancelle. Marco soupire, comme s’il venait d’entendre une cloche qu’il n’a pas su faire taire. Clara range ses notes avec une précision rageuse. Alessandro, lui, a les yeux qui brillent : la chasse a commencé et il adore la chasse.Je relis la capture. Le message est simple, vulgaire par sa clarté : elle a des copies. Elle menace d’envoyer ce qu’il faut au procureur de la République. La formulation est un défi et une promesse. C’est moins un chantage qu’un jeu d’échecs où l’adversaire m’impose un tempo que je dois casser.Sofia me rejoint presque immédiatement, sans cérémonie. Elle entre comme on pousse une porte dans un chantier : poussière, détermination, nerveuse mais nette.— Tu as fait le bon mouvement, dit-elle, sans détour. Mais tu as bougé sur le terrain qu’elle préfère. Elle aime la s