Nous sommes à table. Comme d’habitude, la viande est délicieuse, bien épicée, exactement comme je l’aime. Jared dévore son plat comme un ogre, aspirant ses nouilles à une vitesse surréaliste. Siara, en face de lui, sourit en voyant à quel point ses plats nous font plaisir.
— Oh mon Dieu ! C’est une tuerie ! s’exclame Jared, la bouche pleine. — Fais attention ! Tu vas t’étouffer, le gronde-t-elle gentiment. Je profite du repas, mais mon esprit est ailleurs. Mon âme est accrochée à cette personne qui m’a offert ce mystérieux cadeau, toujours enfermé dans le coffre de ma voiture. C’est perturbant. Ça m’intrigue, ça me ronge. Et la femme que je soupçonne d’en être l’auteure me trouble encore plus. Siara ne semble pas au courant, elle n’a même pas abordé le sujet. Ce n’est pas elle. Puis soudain, elle se lève au beau milieu du dîner. Je la suis du regard. — Jared, tant que tu es là, j’aimerais te montrer l’histoire que j’ai écrite. Bingo. Ce fameux manuscrit de plus de cinq cents pages. L’occasion parfaite de me faufiler discrètement et de tenter de retrouver cette inconnue. Il n’y a qu’un seul endroit où elle pourrait être : l’hôtel mentionné sur la carte. Siara monte chercher son manuscrit. Je jette un œil à Jared qui continue à manger tranquillement. Le pauvre ne se doute de rien. Ce bouquin, je le connais par cœur, elle me l’a déjà lu des dizaines de fois. Mais Jared, lui, en bon dénicheur de talents, saura faire bonne figure. — Jared, j’ai besoin de ton aide. — Je mange, Aaron ! On peut en parler plus tard ?! râle-t-il en mastiquant un bout de viande. — Chut ! Pas si fort. Siara ne doit rien entendre. Écoute, je veux aller à ce rendez-vous… — Aah, petit coquin ! C’est qui cette fille avec qui tu trompes ta femme ? Allez, balance ! Je peux comprendre, t’inquiète… — Quoi ?! T’es sérieux ? Jamais de la vie je ferais un truc pareil ! Mais j’ai vraiment besoin de ton aide. Faut que je parte maintenant. Je pense savoir qui m’a envoyé ces trucs. Une femme que j’ai rencontrée hier. Elle est… bizarre. Je dois clarifier les choses, pour qu’elle ne recommence plus. Siara revient avec un énorme tas de feuilles agrafées. — Ça date un peu, rit-elle doucement. Mais t’inquiète, j’ai corrigé toutes les fautes ! En voyant l’épaisseur du manuscrit, Jared manque de s’étouffer pour de vrai. — T’as écrit combien de pages ? — Cinq cents. Et je pense en faire une trilogie. Il déglutit avec peine, se redresse un peu. — J’ai vu pire. Pas de souci. Rassure-moi juste… tu comptes pas tout me lire ce soir ? Je tends un verre d’eau à Jared qu’il accepte avec gratitude. Ça l’aide à ne pas poser plus de questions. — Non, juste les cent premières pages. C’est pas grand-chose. Je lui donne un coup de pied discret sous la table. Il me fusille du regard mais comprend instantanément le message. Il sourit. Siara s’installe et commence sa lecture. — Désolé, je ne peux pas rester. J’ai reçu un appel du bureau. J’ai laissé des dossiers urgents au bureau. Il faut que je les signe ce soir. — Mais tu viens à peine d’arriver… dit-elle, déçue. Ça me fend un peu le cœur. Je m’approche d’elle et embrasse tendrement son front. Son visage s’illumine d’un sourire. — Une réunion ?! intervient Jared maladroitement. Laisse-le partir. Je suis aussi un homme d’affaires, je comprends. Quand le travail appelle, faut répondre. Aaron a raison, je le jure ! Il en fait un peu trop. Siara fronce les sourcils et croise mon regard. Je garde un air innocent. Jared continue, mais j’ai envie de lui pincer les lèvres pour le faire taire. Je tousse volontairement pour lui rappeler de se calmer. Il comprend. — C’est bon, Jared, on a compris, je tranche. — J’ai confiance en toi, Aaron. Vas-y. Si c’est Tsunade qui a besoin de toi… dit Siara en posant une main sur mon épaule. — Ne sois pas triste. Ton mari est un homme très occupé. Tu devrais être fière de lui, ajoute Jared avec un clin d’œil. Là, c’est mieux. Merci Jared. Siara hoche la tête. Je sors. Jared me suit jusqu’à la porte. — Allez, mon vieux. Va rejoindre ta mystérieuse gazelle. Mais fais pas de conneries, hein. Ta femme t’attend. Il me donne une petite tape sur l’épaule comme un coach motivant son joueur. Je souris. Je hoche la tête et le laisse là. ⸻ Je suis de retour dans ma voiture. Le moteur tourne depuis une dizaine de minutes. Je roule en direction de l’hôtel, les idées embrouillées. Je ne peux pas continuer à mentir à Siara. C’est risqué. Stupide, même. Et si c’était un homme ? Un investisseur potentiel ? N’importe quoi sauf… elle. C’est trop gros, trop tiré par les cheveux. Elle aurait enquêté sur moi ? Mon nom, mon taf… Non. C’est trop. ⸻ 00h37 – Hôtel Louis Blanc Je suis devant ce grand hôtel. Luxueux, calme, élégant. Trop chic pour un gars en jean. J’aurais peut-être dû mettre ce foutu costume… Mais même sans ça, je reste stylé. Pas narcissique, hein. Juste… réaliste. Je m’avance dans la nuit froide. J’entre. Pas un chat à la réception. Le hall est vide. Silence étrange. Puis, des pas. Ils descendent les escaliers. Je me retourne vers le bruit. — Il est là, dit une voix d’homme, grave. Je lève les yeux. Et là… je me fige. Littéralement. Figé sur place comme une statue. Elle descend lentement les marches, enveloppée dans une robe noire. Hypnotisante. Mon cœur s’emballe. Mon souffle se bloque. Ses yeux croisent les miens. Une vague me traverse. C’est électrique, violent. Et je ne comprends pas pourquoi elle me fait autant d’effet. — Tu es venu, souffle-t-elle. Sa voix est douce. Calme. Elle semble presque fragile. Je la vois vraiment, pour la première fois. De près. Chaque trait est délicat, presque irréel. Ses cheveux bleu nuit descendent en cascade sur son dos. — Oui… Mais pourquoi m’avoir fait venir ici ? Dans ses yeux, quelque chose tremble. Elle a peur. Ce n’est plus le regard de la veille. Il y a du vide et du feu à la fois. Un paradoxe vivant. — Du calme… — Comment voulez que je reste calme ?! J’ai une femme. Je suis pas à votre disposition ! Je perds vite patience. Elle reste tranquille. Un léger sourire efface ma colère. — Alors pourquoi t’es venu ? Tu aurais pu rester chez ta femme. Moi, je crois que tu savais que c’était moi. Et c’est pour ça que t’es là. Je ne réponds pas. Elle me fixe. Je finis par murmurer : — Non… c’est faux… Mensonge. Je le savais. Je l’ai compris en recevant cette foutue carte. C’était elle. Elle et ses yeux hantés. — Tu penses à ta femme ? Ne t’en fais pas. Je ne couche pas avec les hommes mariés. Je rougis malgré moi. C’est quoi cette femme ? Elle ne laisse rien transparaître. Impénétrable. — J’ai jamais dit que vous le faisiez… — Arrête de me vouvoyer. Ça me vieillit. Appelle-moi Véronica Veronica… — C’est… un joli prénom, dis-je en me grattant la nuque. Elle m’observe longuement, tourne autour de moi comme un félin. — Je sais, merci, répond-elle sèchement. Pas très modeste. — On est seuls ? — Oui. J’ai envoyé Wilfried faire quelques courses. — Et toutes ces voitures ? Le costume ? C’était quoi le délire ? — Quatre sont à moi. Le reste… je sais pas. Et le costume, c’était parce que la dernière fois tu portais une horreur. J’ai pensé que celui-ci te plairait. — J’étais bourré… Je suis généralement bien habillé, je me défends, gêné. — Pas grave. Viens, je veux te montrer quelque chose. Et sans attendre ma réponse, elle me prend par la main. Mon corps la suit. Comme s’il lui appartenait déjà.Deux ans plus tardÉcole élémentaire Saint-Exupéry — 12h45Ah, les mioches. Ça court partout, ça bave comme des limaces. Sans oublier qu’ils crient… et ça commence sérieusement à me taper sur les nerfs. Mais aujourd’hui est un jour important pour Veronika, alors je suis là pour elle.Ça fait deux ans qu’on est ensemble. Deux ans que je vis avec cette femme merveilleuse, et je peux encore dire que j’en suis follement amoureux. Je suis fier de la personne qu’elle devient chaque jour. Elle est épanouie, et c’est tout ce qui compte pour moi.Nous sommes à l’école élémentaire Saint-Exupéry. Veronika doit lire un extrait de son nouveau livre devant une classe de jeunes élèves. La plupart ont entre cinq et sept ans. Une vraie garderie.Je suis adossé contre un mur crème. À côté de moi, une institutrice intime le silence à ses élèves. La salle se calme aussitôt. Veronika me cherche du regard. D’ailleurs, depuis que nous sommes arrivés, elle n’a fait que ça : me regarder.Ses yeux descendent v
Un mois, deux mois, trois mois. Je ne compte même plus. Trente jours. Soixante jours. Quatre-vingt-dix jours. Je crois que j’ai assez compté. Ça fait trois mois qu’elle n’est pas revenue. Pourtant, elle me l’avait promis. Sans elle, j’ai recommencé ma vie comme si nous ne nous étions jamais connus. Je suis retourné vivre dans ma maison, car rester dans la sienne me perturbait. Elle ne m’a pas envoyé un seul message. J’ai tenté de l’appeler, mais je tombe sur son répondeur à chaque fois. J’ai fini par abandonner et par me faire à l’idée qu’elle ne reviendra pas. Je vis ma petite vie : maison-boulot. C’est ma routine et plus rien ne l’égaye. Trois mois. Quatre-vingt-dix jours après son départ, je réalise que je suis amoureux d’elle. Si seulement je lui avais avoué mes sentiments avant qu’elle ne parte, je n’aurais pas à vivre avec ce sentiment constant de regret. C’est amer, c’est excessif. C’est trop. Je ne l’attends plus. Je préfère vivre avec nos souvenirs. Ces quelques jour
SentimentÉtat affectif ou affection profondeÊtre amoureux« Sentiments forts éprouvés pour une personne. L’amour nous fait l’idéaliser, d’où l’expression : l’amour rend aveugle. C’est un désir profond qui grandit avec le temps. Quand on est amoureux, on a sans cesse envie de voir l’être aimé, de le serrer dans nos bras. Sa simple présence suffit à nous rassurer et à nous apaiser. La personne amoureuse a peur de perdre celui ou celle qu’elle aime et serait prête à se sacrifier pour lui/elle. »⸻Où en sommes-nous, elle et moi ?Pourquoi je n’arrive pas à lui répondre clairement ?Elle se lève. Elle ne veut pas de réponse, elle l’a dit. Elle s’en va, me laissant seul. J’en profite pour réfléchir, mais c’est un vrai casse-tête. C’est compliqué…Les sentiments sont difficiles à comprendre. Il y a l’amour, l’amitié, et bien d’autres nuances. Tellement de choses dans lesquelles on se perd. J’y cogite longtemps, avant que le sommeil ne m’emporte.⸻Le jour se lève.J’ai dormi sur le canapé
Il faut que je lui dise au revoir. Oui, il le faut, pour que nos souvenirs ne deviennent pas des cauchemars et que le pardon ait raison de nous.Je veux dire au revoir aux mensonges, à la rancœur qui nous a séparés, car j’aime encore cette femme et je l’aimerai à jamais. Elle fait partie de moi.Autrefois, elle a été ma chair, mon âme sœur, ma côte, ma moitié. Je veux dire adieu à ses yeux verts émeraude, ceux qui me faisaient vriller à une époque. Ceux dont je suis tombé amoureux. Je l’ai aimée jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à ce que mon cœur n’en puisse plus. Mais aujourd’hui, ce soir, il est temps de tourner définitivement la page.Un simple papier nous a séparés, mais nos mots, eux, n’ont pas été entendus. Non, nous n’avons pas su faire ressortir toutes ces choses que nous avions en nous. Et puisque nos chemins vont prendre des directions différentes, il est temps de le faire.La voiture de Jared roule sur la route. C’est lui qui conduit. Je suis assis à l’avant, côté passager. Je su
12h02Après une demi-journée de travail, je suis enfin prêt à rentrer à la maison. Enfin… chez Veronika. Ce matin, je suis passé chez moi pour me changer et récupérer ma voiture. C’est donc à son volant que je repars, direction la plage privée de Tsubaki.⸻La route est longue, monotone. Je bâille comme un idiot. Il me tarde d’arriver et de fouler le sable chaud. Je roule des heures sous une chaleur étouffante. Quand j’arrive enfin, il est presque quatorze heures. Je gare la voiture non loin de la maison, les véhicules n’ayant pas accès jusqu’à l’entrée.Je pousse la porte. Le salon est vide.— Veronika ? T’es là ?— Oui, dans la salle de—Sa voix se perd, trop faible pour que je distingue la fin. Je me laisse guider et arrive devant une porte entrouverte. Le bruit de l’eau me parvient. Elle est sous la douche.Je veux toquer, mais ma main hésite. Une envie étrange me pousse à franchir la porte. Je résiste. Je préfère attendre qu’elle descende. Mais soudain, mon pied pousse la porte t
Il est neuf heures. J’ai dormi sur le canapé, torse nu, car Veronika porte mon t-shirt. J’ai eu du mal à trouver le sommeil, trop occupé à veiller sur elle. J’avais peur de fermer les yeux et qu’elle disparaisse. Chaque fois que mes paupières se fermaient, l’angoisse revenait.Au réveil, je tombe sur son visage encore endormi. Je me lève doucement et m’approche d’elle. Je vérifie si elle respire toujours. Oui. Je souffle, rassuré.Le jour s’est levé. La nuit a été calme, malgré la tentation de suicide de Veronika. Y repenser me glace le sang. La peur revient, m’envahit de nouveau. Son corps presque inerte, son souffle disparu, son cœur que je ne sentais plus battre à l’unisson avec le mien… L’image m’étouffe.Cette femme est blessée, son âme n’a pas encore cicatrisé. C’est ce qui l’a menée au bord de l’eau, hier soir. Et moi, je n’ai rien vu venir. Elle s’est laissée emporter, ses poumons se remplissant d’eau. Je sais qu’à son réveil, elle me tiendra pour responsable, car ses démons o