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Chapitre 6 — Masques et Dîners

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-09-03 03:32:05

Élise

Je suis dans ma chambre, encore enveloppée dans la douce chaleur de la matinée. Le souvenir de Armand, de ses baisers et de sa présence furtive, flotte autour de moi comme un parfum interdit. Soudain, un bruit de pas retentit dans le couloir. Mon cœur rate un battement : c’est mon père.

Je me précipite vers la fenêtre, le souffle court, et j’aperçois Armand près du rebord. Il me regarde, un mélange d’inquiétude et de tendresse dans les yeux.

– Vite, chuchoté-je, passe par la fenêtre… vite !

Il hoche la tête, disparaissant avec une agilité silencieuse, et je referme précautionneusement les volets. Le danger est passé, mais l’adrénaline brûle encore mes veines.

Quelques secondes plus tard, un knock autoritaire retentit à ma porte.

– Élise ! Ouvre-moi immédiatement !

Je respire profondément, reprenant contenance, et laisse entrer mon père, Monsieur Henri de Villeneuve. Il entre avec sa démarche stricte, le visage fermé, scrutant chaque recoin de ma chambre comme s’il cherchait déjà la moindre faiblesse.

– Pourquoi as-tu mis tant de temps pour m’ouvrir ? demande-t-il, la voix glaciale.

Je hausse les épaules, feignant l’indifférence.

– J’étais occupée… qu’est-ce que vous voulez ?

Son regard perçant ne me quitte pas, et je sens que ses yeux cherchent à sonder chaque pensée, chaque secret que je pourrais cacher.

– Ce soir, dit-il enfin, tu assisteras au dîner de fiançailles. Ce sera dans la propriété de ton futur époux, Charles-Antoine de Montferrand.

Je me fige. Charles-Antoine de Montferrand… un homme beaucoup plus âgé que moi, un nom que je connaissais uniquement par la société et les commérages. Mon estomac se noue, et je sens la colère et la peur se mêler en un mélange amer.

– Vous… vous ne pouvez pas me forcer ! m’exclamai-je, la voix tremblante mais vibrante de révolte. Je ne veux pas… je ne veux pas de ce mariage !

Mon père me fixe, ses yeux deviennent encore plus froids, tranchants comme des lames.

– Écoute-moi bien, Élise, dit-il d’une voix glaciale mais ferme. Tu n’as pas le choix. Ce mariage n’est pas une question de désir ou de volonté personnelle. C’est une alliance. Pour la famille. Pour l’honneur. Et tu t’y conformeras.

Je sens mes poings se serrer, mes doigts trembler de colère. Une rage sourde bouillonne dans ma poitrine, mais je dois rester prudente. Le moindre mot de trop pourrait déclencher sa colère, et je ne peux pas risquer cela.

– Mais… je… protestai-je, les mots bloqués dans ma gorge.

– Tu as entendu, Élise, coupe-t-il sèchement. Le dîner ce soir n’est pas une option, et ta présence est obligatoire. Tu fermeras la bouche et suivras les règles comme toujours.

Je baisse les yeux, mes mains crispées sur le tissu de ma robe. La pièce semble se refermer autour de moi, et je sens une boule de désespoir monter dans ma poitrine. Pourtant, au fond de moi, le feu secret de ma rébellion ne s’éteint pas. Lucien, ses baisers volés, sa présence furtive… tout cela me rappelle que je ne suis pas seule, que je peux trouver une force autre que celle que mon père croit détenir.

– Très bien, dis-je enfin, la voix tremblante mais mesurée. Je… je serai prête pour ce soir.

Mon père hoche la tête, satisfait de ce semblant d’acceptation. Il se retire, laissant derrière lui une tension glaciale et un silence oppressant.

Je reste là, seule, les mains sur les genoux, reprenant mon souffle. Le mariage, le dîner, le fiancé imposé… tout cela semble insurmontable. Mais je sais que je dois tenir. Pour Lucien, pour moi, pour la liberté que je refuse de céder.

Mes yeux se tournent vers la fenêtre par laquelle Lucien est parti. Un sourire triste mais déterminé se dessine sur mes lèvres. Quoi qu’il arrive ce soir, quoi qu’il dise ou impose, je ne renoncerai pas à ce que je ressens pour lui. Je dois être forte, et chaque baiser volé, chaque promesse silencieuse, devient mon armure contre l’autorité et les contraintes de ce monde.

Le dîner approche, et avec lui, le poids des conventions, des alliances, et de la société. Mais au fond de moi, une flamme brûle, fragile mais obstinée, prête à éclairer les ombres de cette vie qui m’est imposée.

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