Mila
Il recule , comme si j’étais un monstre sorti de ses cauchemars.
Ses yeux, quelques secondes plus tôt encore brumeux de sommeil, sont maintenant tranchants comme des lames. Ils me découpent, me sondent, me repoussent.
Je ne reconnais plus cette lueur que j’avais cru voir en lui.
Non.
Ce que je vois, c’est une peur sèche, brute, animale. Une peur qui hurle.
Et elle me transperce, déchirant tout ce que je pensais vrai.
– Tu es folle.
Ces trois mots me frappent comme un coup de poing.
Ils ne tremblent pas. Ils ne cherchent pas à ménager quoi que ce soit. Ils s’abattent sur moi comme un verdict.
Il ne crie pas.
Non. Sa voix est glaciale. Lente. Précise. Comme un scalpel qui entaille la chair sans un bruit.
Et je sens mon cœur se serrer, s’effondrer.
Je reste figée , clouée au sol.
Mon souffle devient court, haletant, alors que mon cœur cogne, cogne, cogne encore, trop fort, trop vite.
J’ai la sensation qu’il va éclater, que je vais m’effondrer, là, devant lui.
Il recule encore , un pas , puis un autre.
Il trace entre nous une frontière invisible. Une distance qu’il croit pouvoir ériger comme un mur.
– Tu es folle…
Le mot tourne en boucle dans ma tête.
Il se répète, s’écrase dans mes oreilles, martèle mes tempes.
Je le vois attraper son téléphone.
Ses mains tremblent. Mais ses gestes sont rapides, presque désespérés. Il veut un secours. Une porte de sortie.
Je fais un pas vers lui.
Il recule brusquement. Ses yeux se crispent, ses narines frémissent comme celles d’un animal qui refuse d’être pris au piège.
– Oui. Chambre 19. Il y a une intruse dans ma chambre , venez immédiatement.
Une intruse , le mot m’arrache un sourire amer.
Il croit que je vais me laisser effacer ? Qu’un coup de fil suffit ?
– Je ne suis pas une menace, je dis d’une voix basse, qui gronde presque. Je suis venue parce que tu avais besoin de moi.
Il éclate d’un rire sec.
Pas un rire de joie. Non. Un rire qui griffe. Qui méprise.
– Tu te rends compte de ce que tu fais ?
– Tu crois que c’est un jeu ?
Ses mots sont des gifles.
Je les sens brûler ma peau.
– Tu t’es introduite dans ma chambre. Tu m’as regardé dormir comme une malade. Tu crois que c’est de l’amour ?
Je baisse un instant les yeux. Pas par honte. Non. C’est la douleur qui m’étrangle.
Mais je relève la tête, droite.
– Tu ne comprends pas…
– Je ne VEUX pas comprendre !
Il hurle cette fois. Sa voix fend l’air.
Je vois ses veines battre dans son cou, ses mains se crisper sur le téléphone.
– Ce que tu fais, jeune femme , c’est malsain , tu me fais peur.
Peur ! Il dit que je lui fais peur !
Le mot me lacère, me déchire de l’intérieur.
Il me voit comme une menace.
Moi.
– Tout ce que j’ai fait… je souffle, avançant d’un pas, c’était pour toi.
Il lève la main d’un geste sec, violent, comme pour m’arrêter, comme si mes mots étaient des balles.
– Arrête ! Tu entends ? Arrête ça tout de suite !
Je le fixe.
Je le vois trembler.
Pas seulement de colère. Pas seulement de peur.
De quelque chose d’autre qu’il refuse d’admettre.
Un bruit sec.
Trois coups contre la porte.
Puis une voix autoritaire :
– Sécurité ! Ouvrez !
Il se précipite vers la porte, comme si chaque seconde lui permettait d’échapper à un danger imminent.
Ses gestes sont rapides, précipités, presque fébriles.
La porte s’ouvre.
Deux hommes entrent. Vêtus de noir. Massifs. Leurs regards sont froids, métalliques.
– C’est elle, dit-il d’une voix coupante. Je veux qu’elle parte. Maintenant.
Ils avancent vers moi.
Leurs épaules roulent. Leurs mains se referment déjà, prêtes à me saisir.
Je ne bouge pas.
Je les regarde, avec un calme glacé.
Puis je souris.
Un sourire lent. Tranchant.
Parce que je sais.
Parce que ce n’est pas fini.
Parce que ce moment n’est que le premier coup de tonnerre.
Ils m’attrapent.
Leurs doigts s’enfoncent dans mes bras, me broient presque. Mais je ne résiste pas.
Je les laisse faire.
Je les laisse croire qu’ils m’ont gagnée.
Mon regard glisse sur lui une dernière fois.
Ses yeux sont sombres, durs… mais je vois autre chose...une chance , petite , infime , mais une chance !
Et je souris encore . Parce que c’est une porte . Et moi… je sais toujours comment entrer.
ELIAHLe car se vide dans un silence alourdi par la fatigue, les corps qui s’étirent, les soupirs de lassitude, chacun happé par l’idée d’un lit, d’une douche, d’un répit. La ville nous avale dans ses néons froids, ses trottoirs mouillés, ses façades impersonnelles. L’hôtel se dresse comme un bloc de verre et d’acier, sans âme, juste une halte nécessaire dans la course. Mais pour moi, il devient déjà une promesse, un sanctuaire provisoire, un piège où je veux me perdre en elle.Elle descend la première, ses pas rapides, professionnels, ses épaules droites, son carnet toujours en main, comme si elle tenait le monde entier en équilibre. Mais je vois la crispation de ses doigts, la tension de sa nuque, le masque qui s’accroche à son visage avec trop de force. Elle sait que je la regarde. Elle sait que je la suivrai.Dans le hall, les clés sont distribuées, les voix s’éteignent une à une, chacun disparaît dans l’ascenseur ou dans l’escalier, les portes se ferment, et le silence retombe. J
ELIAHL’air du couloir est plus froid quand nous ressortons, il se plaque sur ma peau comme une morsure, comme si la pièce derrière nous avait absorbé toute la chaleur de nos corps, toute la fureur de nos souffles, et qu’il ne restait dehors qu’un monde exsangue. Elle marche à côté de moi, carnet serré contre sa poitrine, ses doigts encore tremblants mais déjà redevenus précis, ordonnés, prêts à jouer leur rôle, et pourtant je vois, je sens, que sous ce masque de maîtrise il y a encore la même fièvre qui brûle en moi. Mon corps est imprégné d’elle, chaque fibre vibre d’un manque qui n’a pas été comblé mais seulement attisé, et chaque pas que je fais dans ce couloir résonne comme une torture.Nous passons devant deux techniciens qui tirent un câble énorme, leurs épaules tendues, leurs voix basses, et l’un d’eux nous jette un regard distrait avant de replonger dans sa tâche, mais je crois que mon cœur s’arrête une seconde. J’ai peur qu’il voie, qu’il sente, qu’il devine l’odeur de nous
EliahLes bureaux se vident peu à peu, chacun happé par la course contre la montre du départ, et moi je reste planté dans le couloir, la respiration lourde, mes yeux suivant chacun de ses pas, comme si je pouvais la retenir ainsi. Elle s’éloigne avec son carnet contre la poitrine, son allure rapide et concentrée, et je sens déjà ma gorge se serrer à l’idée que les heures à venir ne nous offriront aucun répit.Je détourne à peine le regard quand elle bifurque vers l’aile réservée aux loges et aux salles de repos, comme si elle n’avait pas entendu mon murmure, mais je sais. Je sais qu’elle a compris, qu’elle m’attend.Je quitte le flot des conversations logistiques, laisse derrière moi les éclats de voix des techniciens, les ordres du staff sécurité, les bruits métalliques des caisses que l’on charge, et je m’engouffre dans le couloir désert. Le silence m’engloutit soudain, seulement troublé par le vrombissement lointain d’un monte-charge.La porte est entrouverte. Elle est là.Elle m’at
EliahLa réunion se dissout peu à peu, les financiers replient leurs dossiers, les tableurs se ferment un à un, les voix s’atténuent, mais je sens encore la brûlure de son regard plantée dans ma chair, cette promesse muette que rien ne pourra étouffer. Elle est à mes côtés, posture impeccable, carnet fermé sur ses genoux, sourire poli, et pourtant je sais que ses doigts tremblent encore du souvenir de mes mains sur son corps, que son souffle porte encore l’empreinte de la nuit.Je prends congé de l’équipe d’un ton neutre, professionnel, distribuant les dernières instructions, mais dans ma tête je ne pense qu’à une chose : nous n’avons que quelques heures avant le départ vers la prochaine ville, une route longue, une nouvelle scène à préparer, un nouveau vertige à vivre.Dans les couloirs, le ballet s’intensifie, techniciens, logisticiens, attachés, tous s’agitent déjà autour des caisses de matériel, des camions prêts à charger, des écrans qu’on démonte, des flight cases que l’on claqu
EliahLe soleil pénètre à peine par les stores à moitié tirés, déposant des bandes de lumière tiède sur nos corps encore enlacés, et pourtant la chaleur de la nuit précédente ne nous a pas quitté. Je la sens contre moi, ses cheveux s’éparpillant sur mon torse, ses mains effleurant mes flancs dans un sommeil léger, ses respirations irrégulières racontant encore le vertige dans lequel nous avons plongé.Je la regarde un instant, la douceur et la tendresse prenant le pas sur la fièvre charnelle qui nous a consumés, et pourtant mes mains retrouvent ses courbes instinctivement, mes doigts parcourant ses épaules, son dos, comme si je voulais me rappeler, encore une fois, l’intensité que nous avons partagée. Elle frissonne sous mes caresses, ouvre un œil, me sourit avec ce mélange de fatigue et de désir encore brûlant, et je fonds devant cette image, incapable de résister à l’envie de l’embrasser doucement, lentement, presque en chuchotant.— Tu dois rentrer… murmure-t-elle, la voix encore é
EliahNous quittons enfin les coulisses, encore engourdis par la frénésie qui nous a saisis, nos mains toujours liées comme si elles refusaient de se séparer, comme si elles savaient que le moindre écart nous ferait tomber dans un vide insupportable. Le trajet jusqu’à chez moi est flou, ponctué de rires nerveux, de baisers volés dans l’ombre des rues, de frôlements impatients qui réveillent le feu déjà prêt à exploser, et quand la porte se referme derrière nous, je sens une vague de soulagement et de désir nous submerger d’un seul coup, comme si enfin le monde extérieur n’avait plus aucun droit sur nous.Elle me pousse doucement contre le mur de l’entrée, ses lèvres retrouvant les miennes avec une urgence qui me coupe le souffle, ses mains glissant déjà sous ma chemise, et je me laisse faire, grisé par son audace, par cette faim qui égale la mienne, par la chaleur de sa peau contre mes paumes quand je l’attire plus près de moi. Chaque pas que nous faisons vers la chambre est une lutte