La lumière crue de l’écran aggravait sa migraine. Léa fixait le tableur depuis plus d’une heure, essayant de corriger une série d’anomalies que personne ne lui avait expliquées. Le silence dans les bureaux était total. Il était déjà 19h passées. Seul le cliquetis de son clavier rompait le vide.
Soudain, une notification apparut dans le coin de son écran. “Message — E.Durval : Réunion urgente ce soir à 21h. Présence obligatoire. Hôtel Atrium, salon privé. Tenez-vous prête.” Léa fronça les sourcils. Hôtel Atrium ? Elle connaissait le nom. Un palace du centre-ville. Réservé aux réceptions diplomatiques, aux signatures de contrats de millions. Elle relut le message plusieurs fois, incrédule. Quelques minutes plus tard, quelqu’un frappa doucement à sa porte. Une jeune femme de l’accueil entra, un cintre à la main. Une robe y pendait, rouge sombre, en satin fluide. À ses pieds, une boîte contenant des escarpins noirs. — De la part de Monsieur Durval, dit-elle avec un sourire figé. Il m’a dit que vous deviez la porter ce soir. — Pardon ? Mais… — C’est votre taille. Il a demandé à ce qu’on vérifie discrètement. La jeune femme repartit aussitôt, la porte se refermant dans un silence plus pesant encore. Léa resta là, figée, regardant la robe suspendue au bord de son bureau comme une énigme impossible. Le tissu brillait légèrement sous la lumière artificielle. La coupe était nette, ajustée à la taille, échancrée juste ce qu’il faut pour être suggestive sans être vulgaire. Les talons, quant à eux, étaient bien plus hauts que ce qu’elle avait l’habitude de porter. Elle se leva, ferma la porte à clé, puis prit la robe. Ses doigts caressèrent le tissu, hésitants. Qu’est-ce qu’il attendait d’elle ? Elle se changea dans la petite salle de bain attenante au couloir. Le satin glissa sur sa peau comme une promesse silencieuse. En se regardant dans le miroir, elle faillit ne pas se reconnaître. Ses épaules nues, ses jambes allongées par les talons, ses lèvres légèrement rosées. C’était une autre elle. Une version plus brillante. Plus fragile. Son téléphone vibra. Un message, encore. “La voiture vous attend à l’entrée. E.D.” Elle enfila un manteau noir pour couvrir un peu la robe, puis descendit lentement les étages. En bas, une limousine noire l’attendait, vitres teintées, moteur ronronnant doucement. Le chauffeur, un homme d’une cinquantaine d’années au costume impeccable, lui ouvrit la porte sans un mot. — Pour l’Hôtel Atrium, mademoiselle Masson. Elle s’installa dans le cuir sombre, le cœur battant à tout rompre. Elle aurait voulu appeler Charles, mais son téléphone semblait soudain bien trop bruyant. Comment expliquer ça sans que ça paraisse déjà suspect ? Le trajet fut silencieux, glissant dans la nuit comme une ombre. Le centre-ville illuminé défilait à travers les vitres noires. Lorsqu’ils arrivèrent devant l’hôtel, elle fut éblouie par les colonnes de marbre, les lustres en cristal visibles depuis la réception, le ballet discret des serveurs en livrée. Le chauffeur sortit, lui ouvrit la portière. Elle descendit, les talons claquant doucement sur les pavés humides. — Monsieur Durval vous attend au salon Vivaldi. Quatrième étage. Ascenseur privé, à gauche de la réception. Elle entra. L’ascenseur glissa sans bruit jusqu’au dernier étage. Les portes s’ouvrirent sur un couloir feutré, au sol moelleux, parfumé de bois ciré et d’ambre. Devant une double porte en bois massif, un serveur s’inclina légèrement. — Mademoiselle Masson ? Elle hocha la tête. — Vous êtes attendue. Il ouvrit la porte. Elle entra. La pièce n’était pas un salon de réunion. C’était une suite. Une chambre d’hôtel. Grande, élégante, aux tons sombres et chaleureux. Un lit king-size parfaitement fait au fond. Et juste devant les grandes baies vitrées, une table dressée pour deux. Assiettes en porcelaine, verres à pied, chandelier allumé. Au centre, une bouteille de vin rouge déjà ouverte. Pas un seul dossier. Pas de mallette. Pas le moindre signe d’un rendez-vous professionnel. Elle s’arrêta net, la main encore posée sur la poignée. Tout son corps se raidit. — Léa, dit une voix calme derrière elle. Elle se retourna. Durval venait d’apparaître dans l’embrasure d’une autre porte. Costume sans cravate, chemise légèrement entrouverte, verre à la main. — Ne soyez pas si tendue. C’est juste un dîner. Elle sentit le sol se dérober. Une alarme hurlait dans sa tête. — Vous… vous avez dit qu’il y avait une réunion. Avec des investisseurs. Je… — Et vous avez bien fait de venir, sourit-il. Cette soirée est une réunion, d’une certaine manière. Une façon de vous souhaiter officiellement la bienvenue. De vous remercier pour vos efforts . Et de… faire un point. En toute intimité. Détendue. Il s’approcha de la table, versa le vin dans un second verre, puis leva les yeux vers elle. — Asseyez-vous. Vous méritez une coupe. Rien de plus. Léa resta debout. Les mains crispées contre son manteau. — Je crois qu’il y a malentendu. J’ai des obligations. Et je ne suis pas venue pour… — Pour quoi ? dit-il doucement. Un dîner entre un patron et sa collaboratrice ? C’est banal, Léa. Très banal. Je n’ai rien exigé. Pas encore. Alors détendez-vous. Il fit un geste de la main vers le fauteuil en face de lui. — Je ne vais pas vous mordre. Mais elle restait figée, le cœur battant à ses tempes. Une colère mêlée de peur lui montait à la gorge. — Je vais partir. Ce n’est pas professionnel. Et je… — Non. Restez, Léa. Ce serait dommage d’interrompre une soirée agréable. Vous êtes ravissante. Et je suis curieux d’apprendre à mieux vous connaître.Elle recula d’un pas. Et là, tout bascula. Durval posa son verre. S’avança vers elle, lentement. Quand il fut à sa hauteur, il tendit une main vers son visage.Elle eut un frisson quand ses doigts frôlèrent la peau de son cou. Léger. Contrôlé. Maîtrisé. Elle recula vivement, comme brûlée. — Ne me touchez pas. Il haussa un sourcil, presque amusé. Puis son visage se referma. — Vous devriez faire attention à la manière dont vous réagissez. Je vous traite avec bien plus de considération que vous ne l’imaginez. Elle recula encore, cette fois vers la porte. Elle voulut tourner la poignée. — Je pars. — Non.La lumière crue de l’écran aggravait sa migraine. Léa fixait le tableur depuis plus d’une heure, essayant de corriger une série d’anomalies que personne ne lui avait expliquées. Le silence dans les bureaux était total. Il était déjà 19h passées. Seul le cliquetis de son clavier rompait le vide.Soudain, une notification apparut dans le coin de son écran.“Message — E.Durval : Réunion urgente ce soir à 21h. Présence obligatoire. Hôtel Atrium, salon privé. Tenez-vous prête.”Léa fronça les sourcils. Hôtel Atrium ? Elle connaissait le nom. Un palace du centre-ville. Réservé aux réceptions diplomatiques, aux signatures de contrats de millions. Elle relut le message plusieurs fois, incrédule.Quelques minutes plus tard, quelqu’un frappa doucement à sa porte. Une jeune femme de l’accueil entra, un cintre à la main. Une robe y pendait, rouge sombre, en satin fluide. À ses pieds, une boîte contenant des escarpins noirs.— De la part de Monsieur Durval, dit-elle avec un sourire figé. Il m’a
Le ciel était d’un gris pâle, presque blanc, comme si le dimanche lui-même hésitait à exister.Léa tenait Émilie par la main, un petit bouquet de pivoines dans l’autre. Elles remontaient l’allée goudronnée qui menait à l’hôpital Saint-Martin.— T’as vu ? On dirait des nuages qui se sont perdus, dit Émilie en levant les yeux.Léa sourit faiblement. Son dos était encore douloureux de la semaine passée. Et dans sa tête, l’ombre de Durval traînait, accrochée à ses pensées comme une vrille. Mais ce matin, elle refusait de le laisser entrer.Aujourd’hui, elle avait besoin de douceur. De silence. De quelque chose de vrai.Elles passèrent la porte du service d’oncologie et montèrent les escaliers jusqu’à la chambre 326. Léa frappa doucement, puis entra. Corinne, leur mère, était éveillée, les yeux un peu creux, mais le sourire lumineux.— Mes deux soleils !Émilie courut jusqu’au lit, grimpa sur le rebord avec l’agilité d’un chaton.— On t’a apporté des pivoines ! Elles étaient à moit
Le réveil sonna à 5h45. Léa était déjà debout.Ses yeux brûlaient encore des heures passées à rédiger le compte rendu de la réunion d’hier. Elle l’avait revu trois fois, vérifié chaque chiffre, soigné la mise en page. Elle avait tout envoyé à l’adresse personnelle du directeur, comme indiqué. Aucune réponse. Évidemment.À 7h00, elle franchit à nouveau les portes du Conglomérat Durval. Toujours cette impression d’entrer dans une cage de verre. Belle. Silencieuse. Dangereuse.Elle était la première dans l’ascenseur. La lumière crue du plafond lui rappelait une salle d’opération. Lorsqu’elle arriva à son bureau improvisé, les dossiers de la veille avaient disparu. À la place, un post-it collé sur l’écran :“Venez me voir. Bureau 42. Maintenant. — E.D.”Un frisson lui remonta la colonne. Cette fois, elle allait le voir, seule. Pas pour un entretien. Pas pour un test anonyme. Pour un face-à-face.Elle ajusta sa chemise, lissa sa jupe, et marcha dans le couloir silencieux comme un couv
Léa sentit la brûlure monter. Elle ne devait pas pleurer. Elle ne pleurait jamais devant personne. Elle pensa à sa mère, aux factures empilées sur la table, à la chimio repoussée.Elle redressa les épaules.— Alors testez-moi.Durval arqua un sourcil.— Pardon ?— Testez-moi. Donnez-moi une tâche. Une journée. N’importe quoi.Il la fixa longuement, puis esquissa un sourire fin, presque amusé. Il ne répondit pas. Il tapota ses doigts sur le bureau.— On vous rappellera.Il se leva. Entretien terminé.Léa ressortit, humiliée. Son visage brûlait. Elle marcha lentement jusqu’à l’accueil, les yeux embués. Elle avait tenu bon. Elle avait donné tout ce qu’elle avait. Et ce n’était pas assez.Elle atteignait l’entrée quand une voix l’appela dans son dos.— Mademoiselle Masson !Elle se retourna. C’était l’assistante en tailleur gris.— Monsieur Durval vous attend ici demain. 7h30. Il souhaite vous mettre à l’épreuve. Une “journée blanche”, comme il dit. Il veut… voir si vous tenez
Le minuscule appartement sentait le café tiède, la fatigue et la lessive bon marché. Un deux-pièces de rien du tout au quatrième étage sans ascenseur, dans une banlieue grise que personne ne photographiait. Léa, cheveux blonds attachés à la va-vite, était penchée sur un carnet de notes couvert de chiffres et de rappels, un stylo calé entre les dents. Elle révisait encore, comme si chaque ligne retenue pouvait éloigner un peu la réalité.Dans la pièce d’à côté, on entendait le son étouffé d’un dessin animé. Émilie, sa petite sœur de dix ans, s’était installée sur le vieux canapé avec une couverture sur les genoux et un bol de céréales presque vide. Léa se leva pour vérifier discrètement que tout allait bien. Depuis un an, elle surveillait Émilie comme une mère. Elle n’avait pas le droit de flancher.— T’as mis ton réveil pour demain matin ? demanda-t-elle.— Mmmh… ouais, répondit Émilie sans détourner les yeux de l’écran.— Je te laisse dix minutes, ensuite tu files au lit.Elle a