Sa voix avait changé. Froide. Plus basse. Un ton glacial.
— Si vous sortez de cette pièce, Léa, vous le regretterez. Croyez-moi. Elle se retourna, le regard fixé sur lui. — Vous n’avez pas le droit de me menacer. — Je ne menace pas. Je vous informe. Il y a des portes qu’on ouvre… et d’autres qu’il vaut mieux refermer. Et croyez-moi, vous êtes bien mieux ici que seule dans ce monde de requins. Moi, au moins, je vous tends la main. Un silence lourd s’installa. Elle sentit ses jambes trembler, mais elle tint bon. — Je ne suis pas à vendre, monsieur Durval. Elle ne savait pas combien de temps elle resta là, assise sur le bord du lit, sans bouger. Peut-être une minute. Peut-être une heure. Tout semblait figé, comme si le monde avait cessé de tourner au moment où Durval avait fermé la porte à clé derrière elle. La suite, feutrée, était d’un silence oppressant. Le vin sur la table, les chandelles allumées, la lumière tamisée, tout criait piège élégant. Et pourtant, ce n’était pas le décor le plus cruel. C’était ce regard qu’il posait sur elle. Ce calme glacial. Ce sourire qui ne montait jamais jusqu’aux yeux. Il s’approcha lentement, comme s’il voulait éviter de l’effrayer davantage alors qu’il était précisément ce qu’elle craignait. — Léa, dit-il doucement. Tu trembles. Elle ne répondit pas. Son souffle était court. Elle serrait les mains sur ses genoux, pour ne pas se décomposer. — Regarde-moi. Elle ne le fit pas. Il s’accroupit devant elle, posa ses mains sur ses cuisses, juste au-dessus de ses genoux. Un geste lent. Possessif. — Je peux tout arrêter. Toute la douleur, les dettes, les nuits blanches. Ta mère n’aura plus à souffrir. Ta sœur aura ce qu’il faut pour vivre. Tu auras enfin la paix. Léa tourna les yeux vers lui. Il était là, à quelques centimètres. L’assurance incarnée. Le danger, sous contrôle. — Ce n’est pas de l’amour. Ni de la tendresse. Je ne vais pas mentir. C’est du pouvoir. De l’échange. Tu es brillante, mais pas assez forte encore. Tu dois apprendre. Elle laissa une larme couler. Il la regarda descendre sur sa joue et l’essuya avec une douceur presque cruelle. — Il n’y a pas de place pour les faibles dans ce monde, Léa. Soit tu t’adaptes, soit tu disparais. Il se releva et lui tendit la main. Elle la fixa comme si c’était une arme. — Choisis. Elle hésita. Longtemps. Puis, lentement, sa main tremblante effleura la sienne. Durval l’aida à se relever. Il ne dit rien. Il ne sourit pas. Il la guida vers le lit comme s’il menait une négociation. Pas un geste brusque. Pas une parole tendre. Il savait qu’il avait gagné. Pas par séduction. Par pression. — Laisse-toi faire, murmura-t-il. Tu survivras mieux ainsi. Ses lèvres frôlèrent sa tempe, sa joue, puis glissèrent contre sa bouche. Léa ferma les yeux, comme pour se débrancher. Sa main se posa contre le torse de Durval, sans force. Elle aurait pu le repousser. Mais elle ne le fit pas. C’était un pacte silencieux. Elle laissa tomber son manteau. Le tissu glissa sur ses bras et atterrit au sol comme un dernier rempart tombé. Il la guida vers le lit. Leurs mouvements étaient mécaniques, presque irréels. Il n’y avait ni passion, ni tendresse. Juste une tension palpable, contenue, presque clinique. Le poids de son corps sur le sien. Le souffle chaud contre sa peau. Sa main dans ses cheveux. Elle ne prononça pas un mot. Et quand ce fut terminé, elle resta allongée, nue, les yeux grands ouverts vers le plafond, sans savoir si elle avait vraiment été là. Durval était déjà parti. La chambre semblait plus vaste sans lui, mais pas plus légère. Le silence y était épais, saturé du parfum cher qu’il laissait toujours derrière lui — un mélange d’ambre et de contrôle. Léa ouvrit les yeux lentement, comme si son propre corps refusait de l’éveiller à la réalité. La première chose qu’elle sentit, c’était le froid. Pas celui de la pièce, mais celui qui habitait désormais son ventre. Une absence glacée. Un vide amer. Elle porta instinctivement la main à sa poitrine, comme pour se protéger d’un coup invisible. Puis elle regarda autour d’elle : le lit défait, une tâche rouge sur le drap blanc et un papier posé sur la table de nuit. Elle se redressa, lentement, comme si chaque vertèbre refusait de coopérer. Le drap glissa sur sa peau nue. Elle sentit son cœur se serrer, son souffle se couper. Elle avait cédé. Pas par envie. Pas par curiosité. Mais parce qu’elle n’avait plus d’alternative. Et ce qui était arrivé cette nuit, ce qu’il avait pris… c’était quelque chose qu’elle ne pourrait jamais revivre, ni offrir à quelqu’un d’autre. C’était sa première fois. Elle avait grandi avec l’idée — naïve peut-être — que ce moment serait partagé avec quelqu’un qui la regarderait comme une promesse. Quelqu’un qui aurait pris le temps, qui aurait écouté ses silences. Pas comme ça. Pas dans un lit d’hôtel, avec un homme qu’elle craignait plus qu’elle ne le comprenait. Pas comme une transaction silencieuse, un chantage habillé d’élégance. Ses jambes fléchirent. Elle posa ses coudes sur ses genoux, se prit la tête entre les mains. Et pour la première fois depuis des mois, elle pleura sans retenue. Elle sanglotait dans le silence, secouée de larmes qu’elle avait retenues trop longtemps. Pas seulement pour cette nuit. Mais pour tout ce qu’elle avait porté, seule, depuis la maladie de sa mère, depuis la mort de son père, depuis chaque fois où elle s’était dit : Je dois tenir. Et ce matin, elle se sentait brisée, jusqu’au plus profond d’elle-même. Après plusieurs longues minutes, elle se leva. Elle chercha ses vêtements du regard. La robe rouge, froissée, pendait sur le dossier d’un fauteuil. Elle l’enfila lentement. Elle n’avait rien d’autre. Cette robe, celle-là même qui l’avait transformée la veille en objet de tentation, lui semblait à présent grotesque. Comme un déguisement de force qu’elle n’avait pas. Elle marcha jusqu’à la salle de bain. Cette fois, elle se força à regarder son reflet. Et ce qu’elle vit, ce n’était pas la jeune femme fragile de la veille.Le soleil déclinait lentement sur la ville. Léa était assise seule sur le balcon, une tasse de thé refroidie dans les mains. Elle n’avait rien mangé depuis midi. Le silence lui pesait comme un manteau mouillé.Émilie était dans sa chambre, occupée à regarder un dessin animé avec ses écouteurs. Charles n’était pas repassé. Et pour une fois, elle en était presque soulagée.Elle n’avait ni la force de parler, ni celle de prétendre.Elle s’apprêtait à rentrer lorsqu’on frappa à la porte.Deux coups nets.Son cœur se serra aussitôt. Elle savait. Avant même d’ouvrir.Elle inspira lentement, puis se dirigea vers l’entrée. Elle entrouvrit la porte. Et comme prévu, il était là.Einer Durval. Impeccable dans un manteau sombre, une chemise ouverte sur la gorge, les yeux luisants d’un calme parfait.— Bonsoir, Léa, dit-il avec ce ton tranquille qui dégoulinait de contrôle.Elle recula légèrement pour le laisser entrer. Il ne demanda pas si elle était seule. Il ne demanda pas si c’était le bo
Pas encore une guerrière, non. Mais quelque chose avait changé. Une étincelle sombre, dans ses yeux rougis. Une ombre de lucidité. Elle avait touché le fond. Elle le savait. Il n’y avait plus rien à perdre. Et parfois, c’est à cet endroit précis que l’on renaît.Elle se lava le visage. Noua ses cheveux. Redressa légèrement les épaules. Elle n’allait pas donner à Durval la satisfaction de la voir s’effondrer.Sur la table de chevet, elle reprit le papier. Une note brève : ^ bonjour j’ai dû aller au boulot, tu as vraiment été parfaite cette nuit et ne t’en fait pas pour le reste je gère ^ un avocat contactera la clinique. Tu as bien fait. – E.D.” Un haut-le-cœur la prit. Il avait mis ça par écrit.Un simple tu as bien fait.Comme si elle avait signé un contrat. Comme si son corps, sa dignité, sa première fois, valaient une ligne de budget dans une colonne de profits.Elle rangea le mot dans son sac sans l’ouvrir à nouveau.Quand elle descendit dans le hall de l’hôtel, la limous
Sa voix avait changé. Froide. Plus basse. Un ton glacial.— Si vous sortez de cette pièce, Léa, vous le regretterez. Croyez-moi.Elle se retourna, le regard fixé sur lui.— Vous n’avez pas le droit de me menacer.— Je ne menace pas. Je vous informe. Il y a des portes qu’on ouvre… et d’autres qu’il vaut mieux refermer. Et croyez-moi, vous êtes bien mieux ici que seule dans ce monde de requins. Moi, au moins, je vous tends la main. Un silence lourd s’installa.Elle sentit ses jambes trembler, mais elle tint bon.— Je ne suis pas à vendre, monsieur Durval.Elle ne savait pas combien de temps elle resta là, assise sur le bord du lit, sans bouger. Peut-être une minute. Peut-être une heure. Tout semblait figé, comme si le monde avait cessé de tourner au moment où Durval avait fermé la porte à clé derrière elle.La suite, feutrée, était d’un silence oppressant. Le vin sur la table, les chandelles allumées, la lumière tamisée, tout criait piège élégant. Et pourtant, ce n’était pas le déc
La lumière crue de l’écran aggravait sa migraine. Léa fixait le tableur depuis plus d’une heure, essayant de corriger une série d’anomalies que personne ne lui avait expliquées. Le silence dans les bureaux était total. Il était déjà 19h passées. Seul le cliquetis de son clavier rompait le vide.Soudain, une notification apparut dans le coin de son écran.“Message — E.Durval : Réunion urgente ce soir à 21h. Présence obligatoire. Hôtel Atrium, salon privé. Tenez-vous prête.”Léa fronça les sourcils. Hôtel Atrium ? Elle connaissait le nom. Un palace du centre-ville. Réservé aux réceptions diplomatiques, aux signatures de contrats de millions. Elle relut le message plusieurs fois, incrédule.Quelques minutes plus tard, quelqu’un frappa doucement à sa porte. Une jeune femme de l’accueil entra, un cintre à la main. Une robe y pendait, rouge sombre, en satin fluide. À ses pieds, une boîte contenant des escarpins noirs.— De la part de Monsieur Durval, dit-elle avec un sourire figé. Il m’a
Le ciel était d’un gris pâle, presque blanc, comme si le dimanche lui-même hésitait à exister.Léa tenait Émilie par la main, un petit bouquet de pivoines dans l’autre. Elles remontaient l’allée goudronnée qui menait à l’hôpital Saint-Martin.— T’as vu ? On dirait des nuages qui se sont perdus, dit Émilie en levant les yeux.Léa sourit faiblement. Son dos était encore douloureux de la semaine passée. Et dans sa tête, l’ombre de Durval traînait, accrochée à ses pensées comme une vrille. Mais ce matin, elle refusait de le laisser entrer.Aujourd’hui, elle avait besoin de douceur. De silence. De quelque chose de vrai.Elles passèrent la porte du service d’oncologie et montèrent les escaliers jusqu’à la chambre 326. Léa frappa doucement, puis entra. Corinne, leur mère, était éveillée, les yeux un peu creux, mais le sourire lumineux.— Mes deux soleils !Émilie courut jusqu’au lit, grimpa sur le rebord avec l’agilité d’un chaton.— On t’a apporté des pivoines ! Elles étaient à moit
Le réveil sonna à 5h45. Léa était déjà debout.Ses yeux brûlaient encore des heures passées à rédiger le compte rendu de la réunion d’hier. Elle l’avait revu trois fois, vérifié chaque chiffre, soigné la mise en page. Elle avait tout envoyé à l’adresse personnelle du directeur, comme indiqué. Aucune réponse. Évidemment.À 7h00, elle franchit à nouveau les portes du Conglomérat Durval. Toujours cette impression d’entrer dans une cage de verre. Belle. Silencieuse. Dangereuse.Elle était la première dans l’ascenseur. La lumière crue du plafond lui rappelait une salle d’opération. Lorsqu’elle arriva à son bureau improvisé, les dossiers de la veille avaient disparu. À la place, un post-it collé sur l’écran :“Venez me voir. Bureau 42. Maintenant. — E.D.”Un frisson lui remonta la colonne. Cette fois, elle allait le voir, seule. Pas pour un entretien. Pas pour un test anonyme. Pour un face-à-face.Elle ajusta sa chemise, lissa sa jupe, et marcha dans le couloir silencieux comme un couv