GabrielleJe n’ouvre pas les yeux tout de suite.Je laisse le jour filtrer doucement derrière mes paupières, j’écoute les bruits familiers d’un appartement qui commence à respirer. Les oiseaux dehors, le grincement de la chaise qu’Alexandre vient de tirer, le léger tintement d’une tasse contre le plan de travail. Et son pas… régulier, calme. Il ne cherche pas à se faire discret, mais il ne m’envahit pas. C’est ça, sa force : il est là sans m’écraser.Je me redresse lentement, encore enveloppée par une fatigue qui ne m’a pas quittée malgré la nuit. Mais elle est différente. Moins lourde. Moins collante. Comme si mon corps comprenait qu’il n’a plus besoin de lutter en permanence.Quand je le rejoins dans la cuisine, il me tend une tasse de café sans un mot. Je le remercie d’un regard. Il ne pose pas de questions. Et je ne parle pas encore. Ce matin, les mots doivent naître doucement.Je m’installe en face de lui. Le silence entre nous n’est pas vide. Il est doux. Dense. Il me permet de
GabrielleLe matin s’infiltre par les rideaux entrouverts, timide et doré, comme s’il ne voulait pas brusquer la paix précaire qui règne dans l’appartement. Je suis réveillée depuis longtemps. Alexandre dort encore, paisible, une main posée sur mon oreiller comme si son corps refusait de lâcher le contact. Je l’observe en silence, étonnée moi-même par cette sérénité que je ressens.Ce n’est pas la fin du combat. Mais c’est une trêve. Et dans cette trêve, je respire un peu mieux.Je me lève sans bruit, enfile le pull qu’il a laissé traîner sur le dossier d’une chaise et me dirige vers la cuisine. Chaque geste est simple. Faire couler du café. Tartiner une tranche de pain. Regarder la ville au-delà des vitres. C’est presque banal. Mais après des mois à guetter, à craindre, à fuir, cette banalité est un luxe.Je ne pense pas à Samuel.Enfin, pas tout de suite.Mais quand je croise mon reflet dans la vitre, je le sens remonter. Comme une ombre au bord de la conscience. Il a appelé, hier.
AlexandreElle dort.Pas profondément. Pas encore. Son souffle est irrégulier, comme si même dans le sommeil, son corps hésitait entre la paix et la fuite. Elle s’est assoupie contre moi, ses jambes repliées, son front toujours contre ma clavicule. Et moi, je reste là, immobile, comme si le moindre de mes gestes pouvait briser ce fragile apaisement. Ce n’est pas de l’amour fou. Ce n’est pas une conquête. C’est une veille. Une promesse silencieuse que je me répète, encore et encore.Je ne lui ferai jamais peur.Je passe une main lente dans ses cheveux, repoussant une mèche qui frôle sa joue. Sa peau est tiède, sa respiration plus calme. Dans la pénombre, elle semble presque paisible, mais je sais ce que ses silences contiennent. Je sais les cendres qu’elle porte encore dans la gorge.Gabrielle.Je l’ai vue forte. Résistante. Acérée même, parfois. Mais ce soir… ce soir, elle est juste humaine. Fatiguée. Fragile. Belle d’une beauté que le chaos n’a pas ternie. Une beauté qui vient du fai
GabrielleJe referme la porte après son départ. Lentement. Comme si le simple bruit du bois pouvait rompre le fil fragile qui me maintient encore debout. Le cliquetis du loquet me semble sourd, lointain. Il résonne comme une fin. Ou peut-être un commencement.Il est venu. Il a parlé. Il a demandé pardon.Et je ne ressens ni triomphe, ni soulagement, ni cette justice émotionnelle qu’on imagine recevoir après des années de douleur. Juste… une immense fatigue. Écrasante. Comme si mon corps portait enfin le poids de toutes ces années à faire semblant. À sourire alors que je m’effondrais à l’intérieur. À supporter ce qu’aucune femme ne devrait jamais tolérer sous prétexte d’amour.Je m’assois à mon bureau, mais je ne touche ni aux papiers, ni à l’écran. Mes mains sont posées à plat sur le bois, immobiles. Mes yeux se perdent dans le vide, glissant au-delà des murs, au-delà du présent.Samuel.Il m’a regardée comme un homme regarde une étoile qu’il sait ne jamais pouvoir atteindre à nouveau
SamuelJe tourne le volant un peu trop brusquement et la voiture grince comme si elle partageait ma colère. J’ai l’impression de brûler de l’intérieur. D’une colère noire, sourde, qui ne veut pas s’éteindre.Elle était là. Debout. Face à moi. Elle m’a regardé avec cette lueur nouvelle dans les yeux. Une force. Une rébellion. Ce feu qu’elle avait perdu et que quelqu’un d’autre a ravivé.Pas moi.Lui.Je me gare en double file, claque la portière sans me soucier du monde autour. J’ai besoin d’air. D’un coup. D’un sens. Gabrielle m’échappe. Comme du sable entre les doigts. Et plus je serre, plus elle fuit.Je monte à mon appartement. Je jette la veste sur le canapé. J’arrache ma cravate. Tout m'étouffe. Le silence. Le vide. L’absence.Je la revois. Droite. Inébranlable. Comme si elle n’avait plus peur de moi. Comme si j’étais devenu un écho lointain.Tu croyais m’avoir enfermée.Ses mots me claquent encore en pleine tête.Je l’ai enfermée.Oui. Je l’ai faite prisonnière de mes choix, de
AlexandreElle dort.Sa respiration est lente, profonde. Sa main repose contre ma poitrine, comme un ancrage. Et moi, je reste éveillé. Pas parce que je doute d’elle. Pas parce que je la surveille. Mais parce que je sens au creux de mes entrailles que le calme ne durera pas.Gabrielle m’a regardé ce soir comme elle ne l’avait jamais fait. Droite. Fière. Libre.Elle est revenue avec cette étincelle dans les yeux que je croyais perdue. Cette force tranquille qu’elle cache trop souvent derrière les compromis. Ce feu qu’elle retient pour ne pas tout brûler. Mais moi, je l’ai vu. Ce brasier. Et il m’a foudroyé.Je passe une main sur son dos, lentement, comme pour m’assurer qu’elle est bien là. Que ce n’est pas un rêve. Je l’ai aimée dès l’instant où j’ai compris combien elle luttait pour garder la tête hors de l’eau. Mais ce soir… ce soir, j’ai envie de l’aimer autrement.Pas pour la sauver.Pas pour l’enfermer dans mes doutes.Mais pour l'accompagner dans sa tempête.Elle bouge un peu, mu