Chapitre 4 – L'intersection des cœurs brisés

Le moteur ronronnait doucement alors que la voiture s’engageait sur la grande route nationale. Le ciel était clair, parsemé de nuages légers, et la chaleur du soleil baignait l’habitacle d’une douce lumière. Elliana, assise à l’avant, gardait le sourire aux lèvres. Sa main reposait doucement sur son ventre arrondi, tandis que de l’autre, elle tenait son téléphone.

Caleb, concentré sur la conduite, jetait parfois un coup d'œil vers sa femme. Ses lèvres tremblaient légèrement, comme s’il retenait des pensées qu’il n’osait pas exprimer. Le dilemme que sa mère lui avait imposé quelques heures plus tôt trottait encore dans son esprit.

Soudain, une petite tape sèche vint heurter son épaule. Il sursauta.

— Aïe, fit-il en tournant brièvement la tête.

Elliana le regardait avec insistance, ses yeux brillants d’un éclat dur, presque blessé.

— Tu penses à quoi ? murmura-t-elle, la voix calme mais ferme.

Caleb ne répondit pas.

Elliana soupira doucement et retourna son attention vers son téléphone. Elle ouvrit l’application de messagerie et écrivit rapidement :

> Lukas, on est sur la route. On devrait arriver à l’aire de repos dans moins d’une heure. Préviens les autres. Je suis si impatiente de vous revoir.

Quelques secondes plus tard, le message fut reçu. De l’autre côté, dans la maison familiale, Lukas lut les mots de sa sœur avec un sourire attendri.

— Maman ! Papa ! Elliana est en route ! s’écria-t-il.

— Enfin ! lança le père en remettant sa veste. On y va les garçons !

Matteo et Julian l’attendaient déjà devant la voiture, le moteur tournait, prêt à partir. Le trio monta, excité, direction l’aire de repos où les retrouvailles devaient avoir lieu.

Pendant ce temps, dans l’autre voiture, Caleb roulait en silence. Le bruit des pneus sur l’asphalte résonnait dans un climat de tension silencieuse. Il jeta un coup d’œil à Elliana, qui chantonnait doucement une berceuse à leur futur enfant, les yeux rivés sur la route, inconsciente du changement qui s’apprêtait à arriver.

Puis, soudainement, Caleb changea de voie. Il prit à droite, s’engageant dans une intersection menant à un village reculé. Un panneau annonçait la direction : « Village de Hélios - 17 km ».

Cassie sourit immédiatement. Sa mère aussi.

— Enfin, murmura Miranda avec satisfaction.

Elliana fronça les sourcils en voyant la nouvelle direction.

— Caleb ? Pourquoi tu changes de route ? L’aire de repos, c’est tout droit…

— On va faire un petit détour, répondit-il sans la regarder. On va passer d’abord dans mon village natal. Maman veut qu’on fête la promotion.

Elliana se figea.

— Quoi ?! Mais… tu m’avais promis. On avait dit qu’on irait voir mes parents d’abord !

Caleb pinça les lèvres.

— On ira après.

— Caleb, non. Ce n’est pas ce qu’on avait convenu !

Sans réfléchir, Elliana prit son téléphone pour écrire à Lukas, mais avant même qu’elle puisse taper un mot, Cassie tendit la main par-dessus le siège et lui arracha le téléphone.

— Hé ! rends-moi ça ! cria Elliana en se retournant.

Cassie haussa les épaules, faussement innocente.

— Tu n’as pas besoin de ce téléphone pour l’instant.

— Cassie, redonne-le-moi ! Tout de suite !

— Ça suffit ! s’exclama Miranda d’un ton tranchant. Toi, la femme sortie de nulle part, tu restes à ta place ! Ce voyage, c’est pour notre famille ! Pas pour la tienne !

Elliana, le souffle court, tremblante, serra les poings.

— J’ai une famille moi aussi ! Et j’ai convenu ça avec Caleb !

Miranda se pencha entre les sièges avant, la main levée. Avant qu’Elliana ne puisse réagir, la gifle claqua.

— Tais-toi !

Le silence tomba dans la voiture, aussi lourd qu’un orage.

Elliana tourna lentement la tête vers Caleb, les larmes montant à ses yeux.

— Voilà, Caleb. Regarde. C’est ça, ta famille. Tu es fier de toi ? Tu es satisfait ? Tu m’as menti !

Caleb, crispé sur le volant, les jointures blanches, sentit la colère et la honte le submerger. Les cris, les insultes, les pleurs… Il n’en pouvait plus.

Il donna un coup sec sur le clignotant et se gara brusquement sur une aire de repos à la sortie du village.

— STOP ! cria-t-il. Silence, tout le monde !

Personne n’osa parler. Même Miranda ravala ses mots, Cassie se taisait.

Caleb ouvrit sa portière, descendit, fit le tour de la voiture et ouvrit violemment celle côté passager.

— Descends, Elliana.

— Quoi ?

— Je t’ai dit de descendre.

Il attrapa le bras d’Elliana sans douceur et la tira hors de la voiture.

Elle chancela, se tenant le ventre. Le sol sous ses pieds lui semblait glissant, incertain. Miranda et Cassie, restées à l’intérieur, éclatèrent d’un rire moqueur, comme si la scène leur appartenait.

Elliana, les larmes coulant le long de ses joues, regarda Caleb avec un mélange de douleur, de rage et de tristesse.

— Tu m’as brisé le cœur.

Caleb ne répondit rien. Il détourna le regard.

Pendant ce temps, à quelques kilomètres plus loin, dans une autre aire de repos, Lukas, Matteo et Julian étaient déjà là. Les bras croisés, scrutant chaque voiture qui passait.

— Elle devrait déjà être arrivée, dit Lukas, inquiet.

— Peut-être qu’ils ont pris un autre chemin ? proposa Matteo.

Julian secoua la tête.

— Ou peut-être que ce mari est encore en train de l’éloigner de nous…

Ils ignoraient que leur sœur, à peine à quelques kilomètres, se tenait debout, seule, le cœur brisé, tandis que sa famille adoptive célébrait une victoire cruelle. Le vent soufflait doucement autour d’elle, emportant ses larmes, mais pas sa fierté.

Ce jour-là, Elliana comprit qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même… et sur ceux qui, malgré les années de distance, l’avaient toujours attendue.