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Author: L'invincible

Chapitre 1 : Le retour du silence

Author: L'invincible
last update Huling Na-update: 2025-05-15 07:00:23

Éva

Chaque matin, je prends le même métro.

Même rame, même horaire, même place quand elle est libre. Ligne 9, direction Pont de Sèvres. Je me glisse dans la foule comme dans une seconde peau. Silencieuse. Anonyme. Invisible.

Je ne me mêle à personne. Je n'échange pas de regards. C’est une sorte de danse muette où chacun connaît sa place, où chacun joue son rôle. Personne ne me remarque. Et c’est parfait ainsi. Chaque matin, j’embrasse cette solitude douce, ce cocon qui me protège des autres.

À 7h52, je passe les portiques. Je sais que je suis dans les temps. À 8h06, je monte dans l’ascenseur en verre du bâtiment gris qui abrite les bureaux de Delcourt & Associés, cabinet d’avocats d’affaires. La vue depuis l’ascenseur est splendide, mais je n’y prête pas attention. Je me concentre sur mon reflet dans le verre, sur la manière dont je suis devenue presque une étrangère pour moi-même. Je souris brièvement à la réceptionniste, je réponds à quelques bonjours de manière mécanique, et je m’installe à mon poste. Bureau 14B, sixième étage.

Je n'ai jamais été faite pour être remarquée. Je me fonds dans les murs, dans la lumière blanche des néons, dans le bruit des photocopieurs et des discussions à voix basse. Mon existence s'écoule ici, sans vagues, à l’abri des tempêtes.

Je classe, je trie, je prépare des dossiers confidentiels pour des hommes pressés en costume. Ils m’appellent Mademoiselle Caron. Jamais Éva. Encore moins Lune. Ce nom appartient à un autre temps. À un autre moi. Celui que j’ai laissé derrière moi, noyé sous une mer de silence.

La journée passe dans une lente succession de gestes mécaniques. Je réponds à des emails que je ne lis jamais vraiment, je distribue des dossiers que je n’ouvre pas, je prends des appels auxquels je n’écoute que d’une oreille distraite. Le rythme est parfait. Prévisible. Sécurisant.

Et surtout, propre.

C’est cela, ma victoire. La normalité. Le vide. Un vide que j’ai appris à aimer, à cultiver. Dans ce silence, je me sens en contrôle. En sécurité. Le monde extérieur n’existe plus, et je suis enfin à l'abri de ses douleurs, de ses excès.

À 12h30, je déjeune seule. Toujours. Un sandwich au pain noir, une bouteille d’eau minérale. Je me rends dans la salle de repos, mais je n’y reste jamais plus de dix minutes. Pas de discussions futiles. Pas de complicité. Je suis l'ombre parmi les ombres. Je ne réponds jamais aux invitations. Pas de verres après le boulot, pas de sorties, pas d’amies. Il y a un monde entre l’isolement choisi et la solitude subie. Le mien est un bunker.

Je rentre chez moi à 18h17. Mon appartement est petit, mais il est mien. 34m², deuxième étage, immeuble sécurisé. Je verrouille la porte à double tour, comme chaque soir. Puis je me déshabille, me débarrassant de mes vêtements de fonction comme d’une armure. Je prends une douche chaude, je laisse l'eau faire son travail : effacer la journée, effacer mes pensées. Ensuite, une tisane. Un roman ennuyeux, un autre rituel, une distraction pour endormir mes rêves. Je dors tôt, je rêve peu.

Je suis sobre de tout : d’hommes, de plaisir, de souvenirs. Et tout cela me va parfaitement.

Mais ce soir, à 17h59, tout s’arrête.

Je sens sa présence avant même de le voir. Un frisson, une vibration dans l’air. Ce n’est pas un bruit, pas une parole. C’est une fausse sensation, une tension invisible mais palpable, qui fait vaciller l’équilibre fragile que j’ai réussi à établir autour de moi. Il est là, avant même d’être apparu. Une fissure dans mon système, un trouble que je n’avais pas anticipé.

Je relève les yeux.

Il est là.

Assis, comme s’il m’avait toujours attendue. Victor Lemaire. Tailleur de requins, destructeur de femmes. Mon passé le plus intime. Mon bourreau. Mon initiateur. Celui pour qui j’ai dit oui à tout, jusqu’à m’oublier.

Il n’a pas changé. Toujours ce regard froid comme un lac gelé, cette mâchoire tranchante, ce sourire carnassier. L’assurance de celui qui a toujours tout contrôlé. Il ne bouge pas, me fixe. Il ne me dit rien, mais il est déjà tout.

Je m’arrête dans mon geste, une fraction de seconde trop tard, me laissant submerger par une terreur sourde. Il sourit. Lentement. Dangereusement.

— Bonjour, Éva.

Mon nom entre ses lèvres me brûle. C’est une sentence, une marque de possession qu’il laisse sur moi, un peu comme une cicatrice invisible. Je me fige, mon cœur bat trop fort, trop vite. Je vois les murs de ma routine se fissurer sous son regard.

— Vous n’avez rien à faire ici.

Ma voix est plus ferme que je ne l’aurais cru. Mais mes doigts se crispent sur la souris. La tension dans l’air est électrique, chargée, menaçant de déborder à chaque instant.

— Et pourtant, me voilà, souffle-t-il, une pointe de défi dans la voix.

Il se lève lentement, comme s’il prenait possession de l’espace. Il contourne mon bureau avec cette démarche fluide, prédateur. Je devrais me lever, m’opposer, crier, fuir, faire quelque chose. Mais je reste figée, incapable de bouger.

Il sort une enveloppe. Blanche. Cachet rouge.

Mon estomac se noue. Mon souffle se fait court.

Je sais ce qu’elle contient. Des preuves. Des images. Des mots griffonnés sur des contrats de silence, de servitude. Tout ce que j’ai fui pendant cinq ans. Tout ce que j’ai enfoui sous des couches de non-dits et de promesses brisées.

Il la dépose, comme un trophée, un rappel cruel de ce que j’ai perdu. Ce passé qui ne me lâche jamais vraiment.

— Tu as bien effacé toutes les traces, murmure-t-il, presque avec tendresse. Mais moi, je les ai gardées. Avec soin.

Je ne dis rien. Mes mains tremblent, mais je le cache, ou du moins j’essaie. Il le remarque. Il aime ça. Il aime me voir perdre le contrôle.

— Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

Je le demande plus pour moi-même, comme si cette question pouvait dissiper la brume qui m’envahit. Mais je connais déjà la réponse. Je la vois dans ses yeux.

— Une dernière mission.

Il sourit. Ce sourire-là. Celui qu’il avait quand il me regardait m’abandonner dans ses draps, quand il jouait à me briser doucement, à me modeler selon ses désirs. Celui qu’il avait lorsque je lui ai dit "oui", sans savoir que c’était un oui pour tout.

— Non, dis-je, sans conviction. Je sais déjà que ce mot ne changera rien.

Mais ma voix sonne faux, trahie par l’écho du passé qui résonne en moi. Lui le sent. Il se rapproche, lentement, inéluctablement, comme un prédateur en pleine chasse.

— Ce que tu étais… Ce que je t’ai appris à devenir. Je veux que tu le sois encore. Une seule fois. Pour moi.

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