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Chapitre 2 – Les cendres sous la peau

Auteur: L'invincible
last update Dernière mise à jour: 2025-05-15 07:01:03

Éva

Il est si près que je sens la chaleur de son souffle. Ma peau se tend, malgré moi. Ce corps que j’ai appris à ignorer se souvient. Il se réveille, malgré mes efforts. Une partie de moi se tend, se prépare. Une partie de moi accepte déjà ce retour en arrière. Mais je ne peux pas. Pas maintenant. Pas après tout ce que j’ai fait pour m’échapper.

Puis il s’éloigne. Sans attendre ma réponse. Parce qu’il sait. Il sait que je flancherai. Il sait que j’ouvrirai l’enveloppe. Que je reviendrai à lui, de gré ou de force .

Quand il quitte la pièce, je reste seule.

Le monde autour de moi n’a pas bougé. Les bruits du standard, les pas dans le couloir, les fax qui cliquettent. Mais en moi, quelque chose s’est fissuré.

Je fixe l’enveloppe. Elle semble palpiter, comme un cœur maudit.

Et je comprends. Ce n’est pas de lui que j’ai le plus peur.

C’est de moi.

Je n’ai pas ouvert l’enveloppe. Pas encore. Mais elle est là, posée sur ma table basse, au centre de mon salon trop ordonné. Son simple poids déforme la réalité. Elle pulse. Elle attend.

Je suis rentrée chez moi comme un automate. J’ai marché d’un pas raide, droit, trop parfait. Mes talons claquaient contre le bitume, plus fort que d’habitude. Comme si chaque pas voulait couvrir la voix dans ma tête. Celle qui chuchote tu sais que tu vas céder.

La porte de mon appartement s’est refermée derrière moi dans un clic trop sec. J’ai ôté mes vêtements lentement, en respirant profondément. Rituel après rituel. Je suis entrée sous la douche. J’ai frotté ma peau jusqu’à la brûler. Mais rien n’a suffi à effacer la sensation de son regard.

Victor.

Il est un poison. Un feu froid qui consume sans laisser de cendres.

Je le déteste. Je me déteste plus encore.

Je me fais une tisane, comme chaque soir. Camomille. Inoffensive. Mais mes mains tremblent quand je tiens la tasse.

Je m’assois. L’enveloppe est là. Blanche. Cachet rouge.

Il ne choisit jamais au hasard. Il sait exactement ce qu’il fait. Il ne m’a pas apporté une preuve. Il m’a offert une clef. Celle de la cage que j’ai refermée sur moi-même.

Je l’ouvre.

Dedans, des photos. Des copies de courriers. Un reçu de virement. Des extraits de mails. Des détails que j’avais effacés de tous mes disques. Des souvenirs qui ne devraient plus exister.

Et une lettre. Manuscrite.

"Tu es la seule en qui j’aie jamais eu vraiment confiance. Tu es aussi la seule que j’aie jamais brisée à ce point. Je ne demande pas pardon. Je te donne une chance de finir ce que tu as commencé."

Je serre les dents. Les mots me percent la gorge.

J’ai envie de brûler cette enveloppe. D’effacer encore une fois cette version de moi. L’ancienne. Celle qui disait oui trop vite. Celle qui se perdait dans les regards des hommes puissants. Celle qui croyait qu’être désirée, c’était être aimée.

Mais il y a autre chose.

Un nom. Une adresse. Une date.

Il me tend une mission. Une seule, a-t-il dit.

Pourquoi maintenant ?

Je n’ai rien fait depuis trois ans. Pas un faux dossier. Pas un seul mensonge. Je suis devenue un modèle d’intégrité.

Mais cette adresse…

Je la connais.

C’est une société écran. Un paradis fiscal. Et derrière, je le sais, se cache quelque chose de sale. Trop sale pour que même Victor veuille s’en mêler sans moi.

Je referme l’enveloppe.

Je pourrais ne pas y aller. Je pourrais. Mais je sais déjà que je mentirais.

Je dors mal. Je rêve de couloirs sombres. De mains qui m’agrippent. D’ombres aux visages familiers. Je me réveille en sueur. J’attrape mon téléphone. Je compose un numéro que je connais encore par cœur.

Je raccroche avant la première sonnerie.

Pas encore.

Le lendemain, je ne prends pas le métro. Je marche. Longtemps. Les rues sont floues autour de moi. Mon tailleur est trop strict, mes escarpins trop hauts. Je me sens comme déguisée. Une étrangère dans sa propre vie.

Bureau 14B. Sixième étage.

Je m’assieds. Sourire automatique à la réceptionniste. Les bonjours glissent sans m’atteindre. Je classe, je trie, je filtre.

Mais à midi, je fais quelque chose que je n’ai pas fait depuis trois ans.

Je sors. Je déjeune dehors. Dans un café près des Halles. Un lieu discret. Je commande un thé et une salade. Et j’attends.

Il arrive à 12h37. Précis comme toujours. Costume gris, regard d’acier. Il s’assoit sans demander la permission.

— Tu l’as lue.

Je hoche la tête.

— Pourquoi maintenant ?

Il penche légèrement la tête.

— Parce qu’eux, ils ne reculent pas. Et j’ai besoin de quelqu’un qui sait où frapper.

— Et après ? Tu me laisses tranquille ?

Il ne répond pas tout de suite. Il observe mon visage. Je sens qu’il cherche la faille.

— Après, tu feras ce que tu veux.

Je ris, sans humour.

— Tu ne sais pas à quel point c’est dangereux, ce que tu me demandes.

— Si. Justement. Je le sais.

Il sort un nouveau dossier. Plus mince. Un nom est inscrit en haut. Je le reconnais. Un homme lié à une affaire de corruption enterrée. Un homme que j’ai failli dénoncer.

Victor me fixe.

— Ce n’est pas une mission. C’est une réparation.

Je serre les dents. Mon cœur bat trop vite.

— Tu m’as déjà détruite une fois.

— Et pourtant, tu es encore debout.

Il se lève. Laisse le dossier. S’éloigne.

Je reste seule, encore une fois. Mais quelque chose a changé.

Je sais que je vais y aller. Pas pour lui.

Pour moi.

Pour recoller ce qui a été brisé.

Et surtout…

Pour redevenir Lune.

Celle que j’étais avant de m’effacer.

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