ÉvaLe silence est une lame.Tranchante. Insupportable.Et il tranche plus profond que tous les cris.Je scrute l’ombre, le souffle court. L’air pue la rouille et le désespoir. Le vide qu’elle laisse derrière elle ne s’évapore pas. Il ne fuit pas. Il rampe. Il s’insinue. Il me ronge.Dans ma gorge. Dans ma nuque. Dans mes pensées.Nyx est partie. Mais elle nous regarde encore.Je le sens.Comme un frisson sur la peau. Comme un œil qui ne cligne jamais.— Elle ne reviendra pas tout de suite, dit Belmont.Mais sa voix est trop basse.Trop incertaine.Trop humaine.Je croise le regard de Victor. Il évite le mien.Il sait.Elle n’a pas fui.Elle a choisi. Le moment. Le lieu. La manière.Et ça me glace. Parce que ça veut dire qu’elle connaît la suite. Elle connaît notre itinéraire. Nos réactions. Nos peurs.Elle est toujours en avance.— On bouge ? demande-t-il.Belmont hoche la tête. Il ramasse son sac, vérifie ses munitions. Ses gestes sont lents, méthodiques. Une mécanique qui cache la
ÉvaJe me réveille la joue collée contre son torse, bercée par la chaleur de son corps. Son odeur m’enveloppe, fer, sueur, cendre. Ses bras me retiennent encore, même endormi. Il murmure quelque chose dans son sommeil, mon prénom, peut-être. Ou juste un souffle.Un instant, j’oublie la guerre. La faim. La peur.Un instant, je suis juste une femme aimée.Et j’ai envie d’y croire. Juste quelques secondes de plus.Mais la lumière crue qui filtre par l’entrée de l’abri me rappelle où nous sommes. Et surtout, ce qui nous attend. Les ruines, les murmures de la ville morte. Les ombres qui rôdent. La nuit qui ne dort jamais.Victor descend l’échelle. Il ne dit rien. Il nous regarde. Belmont encore à moitié nu. Moi, à peine couverte. Il sait. Il a entendu. Mais il ne commente pas. Il n’a jamais été du genre à s’attarder sur l’intime.Et pourtant, son regard s’est tendu. Une nuance dans la mâchoire. Une raideur dans les épaules.— On a du mouvement à l’est, dit-il enfin. Deux silhouettes. Rapid
ÉvaLe refuge est étroit. Un ancien abri souterrain abandonné, dissimulé sous les décombres d’un quartier mort, oublié du monde. L’air y est sec, chargé de poussière, d’huile rance et d’odeurs métalliques. Il y fait chaud, malgré le béton froid. On entend, de temps à autre, un grondement lointain, des pas, le monde au-dessus qui continue à s’effondrer. Ici, le temps est suspendu. Ici, nous sommes seuls.Victor monte la garde plus haut, comme une sentinelle de silence. Belmont et moi, on ne parle pas encore. Mais déjà, chaque mouvement, chaque souffle, chaque battement de cœur est une question, une réponse.Il marche lentement dans l’espace exigu, les épaules tendues, les poings crispés, la mâchoire serrée. Il tourne en rond comme une bête qui cherche une sortie là où il n’y a que murs et souvenirs. Il est nu jusqu’à la taille. Sa chemise est posée en boule dans un coin, couverte de sang séché et de poussière. Son torse est couvert de cicatrices. Longues. Profondes. Certaines fraîches.
ÉvaLe soleil se lève, enfin. Il baigne la pièce d’une lumière pâle, presque cruelle, comme si le jour lui-même hésitait à s’imposer sur la nuit que nous portons encore en nous. Belmont est concentré, penché sur les plans, Victor vérifie ses armes, méthodique, silencieux. Et moi, je suis là. Debout. Présente. Brisée, peut-être, mais debout.Personne ne parle depuis de longues minutes. Tout est précis, presque rituel. Chaque geste compte. Chaque décision peut sceller notre fin ou ouvrir une brèche vers quelque chose d’autre.— Belmont, dis-je doucement, tu es sûr de cette piste ? De cette taupe que Victor prétend pouvoir atteindre ?Il lève les yeux vers moi.— Non. Mais je préfère courir vers un piège les yeux ouverts que mourir lentement dans l’attente.Victor approuve d’un hochement de tête.— La taupe s’appelle Isaak. Il était à la tête d’un des réseaux de la Trinité Noire dans l’Est, avant de tout plaquer il y a six mois. C’est lui qui a transmis le message. Il a les codes. Et peu
ÉvaIl ne fait pas encore jour, et pourtant, tout en moi est en alerte. Les ténèbres dehors ne sont rien comparées à celles que j’imagine s’étendre en silence, prêtes à nous engloutir. Belmont dort à peine, le corps tendu, même en repos. Je l’observe, allongée à ses côtés, une main posée sur sa poitrine, comme pour vérifier qu’il est bien là, encore là, avec moi.Mais je sens que le compte à rebours a commencé. Chaque seconde nous rapproche d’un point de rupture invisible. Un fil se tend. Et il finira par céder.— Tu dors ? je murmure.Il entrouvre les yeux. Il ne dormait pas. Évidemment.— Je t’écoute, souffle-t-il.Je m’appuie sur un coude, mon regard fouille le sien.— Est-ce que tu crois qu’on peut survivre à ça ? Pas juste sortir vivants… mais survivre vraiment. Garder ce qu’on est en train de construire. Garder nous.Il ne répond pas tout de suite. Sa main vient effleurer la mienne, puis il se redresse lentement.— Je crois qu’on devra redéfinir ce que ça veut dire, survivre. Et
ÉvaJe reste là, collée à Belmont, mon cœur tambourinant comme si chaque battement voulait hurler tout ce que je tais. Mon front repose contre son torse nu, brûlant encore du contact de sa peau. Ses bras m’enlacent, mais je sens la tension sous ses muscles, comme une bête tapie prête à bondir.Pourtant, sous cette chaleur, sous cette promesse muette, une peur sourde remonte à la surface. Parce que je sais. Je le sens dans ses silences. Je le vois dans ses yeux. Lui aussi porte des secrets. Des secrets noirs, brûlants. Des secrets capables de tout faire basculer.— Belmont, dis-je doucement, la voix presque cassée, il faut que tu me dises. Il faut que tu sois honnête avec moi. Pas seulement sur tes blessures, mais sur ce que tu caches. Ce qui pourrait me détruire.Il ferme les yeux un instant, longuement, comme si ce seul battement de cils était un combat. Puis il se redresse, s’écarte légèrement, son regard fuyant le mien avant d’y revenir, comme un homme au bord d’un précipice.— Éva