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Chapitre 6 — Ce que je ne peux te donner

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-06-22 21:45:37

Volarion

Le jour a grandi.

Et pourtant, j’ai froid.

Pas ce froid physique, qu’un feu pourrait chasser. Un autre. Plus ancien. Plus traître. Le genre de vide qui ronge même les dragons. Celui qui s’installe quand on s’éloigne de ce qui nous appelle. De ce qui nous guérit.

Elle est là.

Elle me fait face.

Et moi, je me prépare à partir.

Elle l’a compris. Elle le sent. Comme une lame levée dans l’air. Le lien entre nous bat plus fort. Une vibration sourde. Une corde tendue à l’extrême, prête à rompre.

— Non, murmure-t-elle. Non, tu n’as pas le droit de partir.

Sa voix est douce. Brisée. Mais elle s’élève, griffe l’air.

Elle n’implore pas. Elle résiste.

Et moi, je ne réponds pas.

Parce que je n’ai pas les mots. Parce que les mots seraient des chaînes. Et je ne peux pas les supporter. Pas quand je sais que si je reste, elle brûlera avec moi. Et que ce feu-là… ne connaît pas la clémence.

Elle s’avance, un pas après l’autre. Ses ailes frémissent.

Son regard me transperce. Pas de haine. Juste une douleur nue.

— Volarion… reste. S’il te plaît. Je sais que tu as peur. Moi aussi. Mais ce lien…

— Ce lien, la coupé-je, est une malédiction.

Elle tressaille.

Mais elle ne fuit pas. Elle ne recule pas. Elle encaisse.

— Pas pour moi, souffle-t-elle. Pas si c’est toi.

Je ferme les yeux. Sa voix est un poison lent. Une offrande trop pure.

Elle ne comprend pas. Elle ne peut pas comprendre.

Je suis né dans un monde qui n’existe plus. Forgé dans la guerre, nourri par la solitude, élevé par la rage. J’ai vu les civilisations s’effondrer sous mes ailes. J’ai fait pleurer les cieux. J’ai réduit des armées en poussière, dans la splendeur de mes flammes.

Aujourd’hui, je suis une ombre.

Une bête enfermée dans un corps d’homme.

Un souvenir vivant d’une époque qui saigne encore en moi.

Et elle veut m’aimer.

Elle croit que c’est possible.

— Je t’en supplie, dit-elle. Sa voix se brise. Je t’en supplie… ne pars pas.

Ses mots sont une lame.

Pas parce qu’ils blessent.

Parce qu’ils appellent tout ce que je veux. Tout ce que je désire.

Je rouvre les yeux.

Elle tremble. Pas de peur. De perte.

Ses ailes sont repliées contre son dos, comme deux cicatrices.

Sa poitrine se soulève trop vite.

Ses mains se tendent, hésitent dans l’air entre nous, comme pour toucher ce que je suis, ce que je nie.

Je pourrais avancer.

Je pourrais la prendre contre moi.

Lui dire qu’on trouvera un moyen. Qu’on résistera.

Mais ce serait mentir.

Et je ne veux pas lui mentir.

Pas à elle.

— Lira…

Mon souffle est rauque.

Mon nom sur ses lèvres est un chant ancien.

— Tu ne comprends pas… je ne peux pas être ce que tu attends.

— Je n’attends rien ! s’écrie-t-elle. Je ne veux rien de toi… que toi !

Ses mots me frappent en plein cœur.

Elle ne mesure pas ce qu’elle dit.

Elle ne sait pas.

— Tu n’as aucune idée de ce que je suis capable de faire quand j’aime, dis-je. Ce que mon feu réclame. Ce qu’il consume. Ce qu’il prend. Je ne suis pas un homme, Lira. Je suis un avertissement. Un ouragan retenu derrière une peau trop étroite. Je ne suis pas fait pour les choses fragiles.

Elle avance encore.

Elle me touche.

Ses doigts se posent sur ma poitrine. Juste là, où mon cœur bat trop fort. Trop vite.

— Tu ne me briseras pas, dit-elle d’une voix tremblante.

Et je voudrais la croire.

Par tous les dieux morts et les cieux oubliés, je voudrais la croire.

Mais je vois l’avenir.

Je vois ses cendres dans mes bras.

Je vois son regard me supplier d’arrêter quand il sera trop tard.

Je vois son nom hurlé dans une langue que plus personne ne comprend.

Et je refuse.

Je refuse d’être l’instrument de sa fin.

Alors je fais ce que je n’aurais jamais cru possible.

Je recule.

Je brise ce contact.

Je détache ma peau de la sienne.

Et je la tue un peu, dans ce geste-là.

Elle recule d’un pas.

Comme frappée.

Ses yeux sont immenses. Humides. Écarquillés.

Elle ne pleure pas encore.

Mais elle va pleurer. Je le sais.

Et ce sera ma faute.

— Tu m’as dit que tu avais rêvé de moi, murmure-t-elle. Que mon absence t’avait hurlé dans le sommeil. Est-ce que c’était un mensonge ?

— Non, dis-je. C’est la seule chose vraie que je possède.

— Alors pourquoi ?

Sa voix s’étrangle.

Un sanglot monte, qu’elle étouffe de toutes ses forces.

Je la regarde.

Et je murmure :

— Parce que je ne survivrai pas à ton cri si je te perds une seconde fois.

Elle reste figée. Bouche entrouverte. Comme si l’air lui manquait.

Comme si le monde s’était vidé autour d’elle.

Et moi, je me retourne.

Je fais ce pas.

Le premier.

Et chaque pas ensuite est une déchirure.

Je sens son cœur m’appeler.

Je sens le lien se tordre comme un fil qu’on coupe à mains nues.

Elle me crie quelque chose, derrière moi.

Mon nom. Une prière. Peut-être une malédiction.

Je ne me retourne pas.

Mais mon ombre s’effondre derrière moi.

Je suis Volarion.

Fils du feu et de la fin.

Et je choisis de la protéger.

Même si cela veut dire qu’elle me détestera.

Même si je dois l’arracher de moi à chaque respiration.

Même si cela me détruit.

Parce que je préfère la savoir vivante et loin,

que morte dans mes bras.

Et pourtant…

Chaque pas m’écorche.

Chaque battement de

cœur est une perte.

Je sens ma magie vaciller.

Je sens l’ancien feu en moi battre contre ma cage de chair.

Mais je continue.

Parce qu’aimer…

C’est parfois partir.

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