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Chapitre 5 — Ce que le feu ne peut protéger

Auteur: Darkness
last update Dernière mise à jour: 2025-06-22 21:45:11

Volarion

Elle dort.

Enfin.

Le feu du matin s’est retiré derrière les arbres, et la lumière s’est adoucie. Lira s’est assoupie à mes côtés, recroquevillée contre une pierre moussue, ses ailes repliées comme celles d’un oiseau blessé.

Sa respiration est régulière, paisible. Trop paisible. Elle ne sait pas.

Elle ne sait rien de ce que je suis.

Et encore moins de ce que nous sommes.

Je la fixe. Je ne fais que ça, depuis que le sommeil l’a prise. L’étudier. L’écouter. Ressentir sa chaleur même à distance.

Je n’ai pas bougé. J’ai retenu ma respiration trop longtemps. Comme si le moindre mouvement de ma part allait briser ce lien fragile.

Mais je sens.

Je sens ce lien comme une brûlure dans mes entrailles.

Un fil ancien. Une vérité primordiale.

Elle est celle que mon feu reconnaît.

Une âme sœur.

Le mot me vient avec une violence sourde. Il n’est pas humain. Pas tout à fait. C’est une idée gravée dans la moelle de mon être, inscrite dans le feu ancestral des dragons.

Le lien absolu. Irrévocable. Sacré.

Et je le rejette.

Non.

Pas elle.

Pas cette créature de lumière et de fragilité, au cœur trop ouvert.

Pas cette femme qui frissonne quand je respire, qui détourne les yeux quand je la regarde trop longtemps.

Pas celle dont la magie est instable, encore embryonnaire.

Pas celle qui tremble quand le vent se lève.

Je suis trop pour elle.

Trop brisé.

Trop vaste.

Trop ancien.

Trop dangereux.

Mon feu consume. Il ne réchauffe pas.

Je suis fait de destruction, pas d’amour.

Je suis né dans les cendres d’une guerre que même les dieux ont oubliée.

Et pourtant…

Quand elle a posé sa main contre la mienne, j’ai senti mon essence changer.

Un frisson ancien a remonté ma colonne, jusque dans mes ailes absentes.

Le monde a basculé.

Et je me suis souvenu.

Pas d’images claires. Mais de sensations.

D’un serment prononcé au bord du gouffre.

De son cri.

Du feu.

De mon hurlement.

Je l’ai déjà perdue.

Et le lien… le lien s’est rompu une fois.

Il ne le supportera pas deux.

Je me lève. Lentement. Le corps encore douloureux, maladroit. Chaque mouvement me coûte. Mais je dois m’éloigner. Respirer. Réfléchir. Loin de son parfum, de sa chaleur, de son souffle.

Mes pas me guident vers la lisière du sous-bois. La brume s’accroche aux racines. Le monde est silencieux, comme figé.

Mais en moi, tout hurle.

Ce lien… ce sceau d’âme… il ne peut être ignoré. Il est plus ancien que les rois. Plus fort que les serments. Quand deux êtres sont liés ainsi, rien ne peut l’effacer.

Sauf la mort.

Ou l’abandon.

Je serre les poings. Mon feu bouillonne sous la peau. Mon cœur bat à un rythme que je ne reconnais pas. Je suis en colère. Contre elle. Contre moi. Contre ce destin qu’on m’impose.

Pourquoi elle ?

Pourquoi maintenant ?

Je suis tombé pour la protéger. Je le sais. Même si les souvenirs restent confus. Mon cœur l’a choisie avant moi.

Mais aujourd’hui… je suis incapable de la protéger.

Et elle est incapable de me supporter.

Si elle savait…

Ce que j’ai fait.

Ce que je suis devenu.

Combien de vies j’ai brûlées. Combien de royaumes j’ai détruits. Combien de fois j’ai goûté au sang sans le moindre remords.

Elle me fuirait.

Et si elle ne le fait pas…

C’est moi qui devrai partir.

Je retourne vers elle. Malgré moi. Tiré par ce fil invisible.

Elle est réveillée.

Assise.

Les genoux repliés contre sa poitrine, les yeux rivés vers moi.

— Tu t’es éloigné, dit-elle.

Sa voix est douce. Mais inquiète.

— Je devais réfléchir.

Elle hoche lentement la tête. Puis, comme si elle sentait le changement en moi, elle murmure :

— Tu t’es souvenu, n’est-ce pas ?

Je ne réponds pas.

Mais mes yeux parlent pour moi.

Elle se lève, fragile mais droite. Ses ailes frémissent dans son dos, vibrantes. Elle s’approche, pas à pas.

Et moi… je recule.

— Volarion ?

Je ferme les yeux.

— Ce nom… c’est un avertissement. Pas une promesse.

— Tu m’as dit que tu n’avais rêvé que de moi, souffle-t-elle.

— Et c’est pour ça que je dois m’éloigner.

Elle se fige.

— Pourquoi ?

Je lève les yeux vers elle. Et je dis ce que je n’aurais jamais voulu prononcer.

— Parce que tu es mon âme sœur. Et que je vais te détruire.

Le silence tombe. Brutal. Comme une lame.

Elle ne comprend pas. Pas encore.

Alors j’ajoute, plus bas :

— Tu es faite de lumière. De vie. De rêves. Et moi… je suis un vestige. Un avertissement. Une créature condamnée à brûler tout ce qu’elle aime.

— Tu ne me feras pas de mal, dit-elle avec une douceur féroce.

— Tu n’en sais rien.

— Si. Je le sens. Je te sens.

Je vois ses poings se serrer. Sa voix tremble, mais elle ne recule pas.

— Tu ne m’effraies pas, Volarion.

— Tu le devrais.

Je m’approche. Juste assez pour qu’elle sente la chaleur qui se dégage de moi, même sans feu visible.

— Regarde-moi, Lira. Sens ce que je suis. Tu crois que tu peux supporter ça ? Tu crois que ce lien est une bénédiction ? Ce n’est qu’un piège.

Elle lève les yeux vers moi.

Et là… elle fait ce que je redoute le plus.

Elle me touche.

Encore.

Sans peur.

Sans trembler.

— Peut-être que je suis fragile, dit-elle.

— Tu l’es.

— Mais ça ne veut pas dire que je suis faible. Et ce lien… je ne vais pas le fuir. Même si toi, tu préfères t’aveugler.

Je la regarde. Mon feu gronde. Mon cœur aussi.

Je suis au bord. Du repli. Ou du baiser.

Mais je choisis le silence.

Et je recule.

— Ce n’est pas moi que tu dois craindre, murmuré-je. C’est ce que ce lien fera de toi.

Elle ne bouge pas. Mais ses yeux brillent.

Elle n’abandonnera pas.

Et moi… je sens déjà que je suis perdu.

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