FAZER LOGINAriana
L'air de Monaco a une odeur particulière. Un mélange d'air marin, d'argent et de pourriture masquée par le parfum des fleurs exotiques. Chaque bouffée que j'aspire en sortant de la gare est un poison familier. C'est ici que Cassia est née. C'est ici qu'elle est morte.
Je me sens comme un fantôme revenu hanter les lieux de son supplice. Mes nouveaux cheveux blonds et mes lunettes de soleil sont un déguisement mince. Chaque reflet dans une vitrine de boutique de luxe me renvoie l'image d'une étrangère, mais les murs, eux, me reconnaissent. Les pavés sous mes pieds chuchotent mon ancien nom.
La villa est toujours là, accrochée à la falaise, blanche et aveuglante sous le soleil méditerranéen. De loin, elle a l'air si paisible. Une forteresse de rêve. Je la observe depuis les hauteurs du Jardin Exotique, les jumelles tremblant dans mes mains. Rien ne bouge. Aucune voiture. Aucune silhouette aux fenêtres. C'est trop calme.
C'est un piège. Je le sais. Et pourtant, c'est le seul endroit où je peux trouver quelque chose. Une preuve. Un souvenir. Une arme. Peut-être dans le pavillon d'été, celui où il gardait ses dossiers les plus sensibles. Celui dont il pensait que je ne connaissais pas l'existence.
La nuit tombe, rapide et élégante, drapant la principauté dans un manteau de lumières tremblotantes. Je me faufile par les sentiers escarpés, ceux que j'empruntais pour mes escapades solitaires. Le parfum des lauriers-roses, si enivrant autrefois, me soulève le cœur maintenant.
La grille du pavillon est verrouillée. Un cadenas numérique. Mon cœur bat la chamade. Je tape le code, un nombre que j'ai vu une fois, il y a cinq ans, sur un bout de papier sur son bureau. La date de naissance de sa mère, morte jeune. La seule faille sentimentale que j'aie jamais perçue chez lui.
Clic.
Le cadenas s'ouvre. Un frisson me parcourt l'échine. Trop facile.
L'intérieur est recouvert d'une fine couche de poussière. L'air est immobile, chargé de souvenirs. Je me dirige directement vers le bureau, un meuble ancien en bois massif. Je passe mes doigts sur le tiroir du bas, cherchant la petite irrégularité dans le bois. Je trouve la fente, j'insère l'ongle. Une planchette coulisse, révélant un compartiment secret. Vide.
Bien sûr.
— Je l'ai fait enlever il y a trois ans.
La voix, grave et veloutée, vient de l'ombre derrière moi. Elle me transperce comme une lame.
Je me fige, le sang se glaçant dans mes veines. Lentement, je me retourne.
Nikos Laskaris est assis dans un fauteuil en cuir, à moitié caché par les ténèbres. Il est habillé d'un costume sombre, impeccable. Il tient un verre de brandy qu'il fait tourner lentement. Il n'a pas changé. Ou si. Il est plus dur. Ses yeux, d'un brun si profond qu'ils en sont presque noirs, me déshabillent, pèsent chaque parcelle de ma terreur.
— Tu pensais vraiment que je t'avais tout montré, Cassia ? Tu pensais que j'étais si imprudent ?
Sa voix est calme, presque douce. C'est ce qui est le plus terrifiant.
— Tu as été prévisible. La bête traquée qui retourne à son terrier. C'était pathétique à voir.
Je ne peux pas parler. Ma gorge est serrée, mes poumons refusent de se remplir. Je suis prise. C'est fini.
— Tu as causé tant de désagréments, poursuit-il en se levant. Cette petite comédie publique… Très théâtrale. Mais ennuyeuse.
Il fait un pas vers moi. Je recule, heurtant le bureau.
— L'argent… je peux te le rendre, je parviens à dire, ma voix n'est qu'un souffle.
Il rit, un son bas et sans joie.
— L'argent ? L'argent n'est que du papier. Tu as volé bien plus que de l'argent, Cassia. Tu as volé ma confiance. Tu t'es moquée de moi. Dans ma propre maison.
Il est maintenant tout près. Je peux sentir son parfum, ce mélange de cuir, de tabac et de pouvoir qui hantait mes nuits. Il lève une main et effleure mes cheveux courts et blonds.
— Cette couleur… elle te va bien. Elle te rend plus dure. Mais à l'intérieur, tu es toujours la même petite fille effrayée.
Ses doigts se referment sur une mèche, tirant légèrement. La douleur est vive, humiliante.
— Tu voulais me forcer à venir te voir ? Me voilà.
Son autre main sort de sa poche. Il ne tient pas une arme. C'est une petite boîte en velours noir. Il l'ouvre. À l'intérieur, sur un coussin de soie, repose la broche. La feuille de laurier en or.
— Tu as oublié ça en partant, dit-il avec une fausse tristesse. C'était impoli.
Il pose le verre de brandy et prend la broche. Ses yeux plongent dans les miens.
— Une dette de sang se paie avec du sang, Cassia. Mais la nôtre est bien plus personnelle.
D'un mouvement trop rapide pour que je puisse réagir, il lève la main et enfonce l'épingle de la broche dans mon épaule, traversant le tissu de ma veste et ma chair.
La douleur est fulgurante, aiguë. Un cri étranglé s'échappe de mes lèvres. Je claque une main sur la blessure, sentant le métal froid et le sang chaud qui poisse déjà sous mes doigts.
Il se penche, son souffle chaud contre mon oreille.
— Ceci n'est qu'un point final à notre ancienne histoire. Pour la nouvelle… nous allons prendre notre temps. Tu es à moi, Cassia. Toujours. Et je vais te le rappeler. Chaque jour. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de la femme que tu as prétendu être.
Il se redresse, son regard parcourt mon visage déformé par la douleur et la peur avec une satisfaction glaciale.
— Maintenant, cours. Encore. Montre-moi à quel point tu veux vivre. Rends la chasse intéressante.
Il se détourne et retourne vers l'ombre, me laissant pantelante, clouée sur place par la douleur et l'horreur.
La broche dans mon épaule est un sceau. Une marque de propriété.
Je suis sortie de la tanière du lion. Et il m'a seulement laissée partir pour avoir le plaisir de me rattraper.
ArianaL'odeur de l'encens me prend à la gorge, épaisse et sucrée, comme un poison. Nikos est là, à dix pas de moi. Debout. Immobile. Son costume sombre le fond dans les ombres de la nef, mais ses yeux… ses yeux captent la faible lumière des cierges et la renvoient, dure, implacable.Mon dos est collé à la lourde porte de bois. Je sais qu'ils sont derrière. Je les entends haleter, jurer, se bousculer. Le verrou n'est pas tiré. Ils peuvent entrer à tout moment.Je suis prise en tenaille. Coincée entre le diable et ses démons.— Tu as été divertissante, Cassia, reprend sa voix, veloutée et mortelle. Cette petite rébellion… cette fuite… Mais toute récréation a une fin.Il fait un nouveau pas. Puis un autre. Il avance avec une lenteur calculée, savourant chaque instant, chaque frémissement de peur qu'il doit voir sur mon visage.Mon esprit tourne à vide, cherchant désespérément une issue. Une échappatoire. Il n'y en a pas. Les vitraux sont trop hauts. La porte derrière l'autel est verroui
NikosLa voiture roule dans la nuit, phares déchirant l'obscurité huileuse de l'autoroute. Au fond de la Mercedes, Nikos laisse le ronronnement du moteur le bercer. Le message de Cassia – non, d'Ariana – brûle encore dans son esprit. Prépare-toi à saigner. L'audace. L'insolence pure.Un sourire froid étire ses lèvres. Il a aimé la marquer, sentir le métal pénétrer sa chair, la voir ployer sous la douleur et l'humiliation. Mais ceci… ce défi… est inattendu. Meilleur.Son téléphone vibre. Petro, son bras droit.—Elle a quitté l'autoroute près de Gênes. Elle roule vers les collines. Elle semble… errer.—Elle ne erre pas, Petro. Elle réfléchit. Elle prépare son prochain mouvement. Laissez-la. Augmentez simplement la surveillance. Je veux savoir chaque fois qu'elle s'arrête, chaque fois qu'elle respire.—À vos ordres.Nikos raccroche. Il regarde par la vitre teintée le paysage qui défile, un flou de lumières lointaines et d'ombres. Cette fuite vers nulle part est intéressante. Où pense-t-e
ArianaLe sang a séché, formant une carapace sombre et fragile sur mon épaule. Un bouclier de douleur. Chaque flexion du muscle, chaque frisson qui me parcourt, réveille l'écho mordant de la lame. Mais cette douleur n'est plus une ennemie. Elle est devenue mon aiguillon, la preuve tangible que je suis toujours vivante, que je ressens encore quelque chose au-delà de la peur.Je ne suis plus Ariana, l'icône brisée. Je ne suis plus Cassia, la proie tremblante. Je suis devenue autre chose. Une créature de rage et de détermination, forgée dans le feu de l'humiliation et du métal froid planté dans ma chair.La broche est là, au fond de ma poche. Un poids lourd et maudit. Je ne m'en sépare pas. Elle est mon rappel constant, le trophée macabre de ma première victoire. Je l'ai arrachée. Moi.Mon premier arrêt est une pharmacie de nuit, un cube de lumière crue dans l'obscurité complice. L'employé somnole derrière son comptoir. Il lève les yeux sur moi, une femme en capuche, le visage partly cac
ArianaLa douleur est une étoile blanche et brûlante au creux de mon épaule. Chaque battement de cœur envoie une pulsation ardente le long de mon bras. Le métal de la broche est un froid mensonger au centre de cette fournaise.Je titube hors du pavillon, laissant derrière moi l'ombre de Nikos et l'écho de sa voix. Rends la chasse intéressante. Je cours. Non pas par espoir, mais par instinct animal. Mes pas résonnent sur les sentiers déserts, se mêlant au bruissement des lauriers-roses, ces témoins silencieux de ma honte.Le sang coule le long de mon bras, tiède et poisseux. Je m'engouffre dans une ruelle en contrebas, loin des lumières du front de mer. Je m'effondre contre un mur de pierre humide, le souffle court, la vision brouillée. De ma main valide, je touche la broche. L'épingle est enfoncée profondément. L'arrière est sécurisé. Il ne l'a pas simplement plantée ; il l'a fixée sur moi. Comme on marque le bétail.Un rire hystérique menace de jaillir de ma gorge. Ariana, le top mod
ArianaL'air de Monaco a une odeur particulière. Un mélange d'air marin, d'argent et de pourriture masquée par le parfum des fleurs exotiques. Chaque bouffée que j'aspire en sortant de la gare est un poison familier. C'est ici que Cassia est née. C'est ici qu'elle est morte.Je me sens comme un fantôme revenu hanter les lieux de son supplice. Mes nouveaux cheveux blonds et mes lunettes de soleil sont un déguisement mince. Chaque reflet dans une vitrine de boutique de luxe me renvoie l'image d'une étrangère, mais les murs, eux, me reconnaissent. Les pavés sous mes pieds chuchotent mon ancien nom.La villa est toujours là, accrochée à la falaise, blanche et aveuglante sous le soleil méditerranéen. De loin, elle a l'air si paisible. Une forteresse de rêve. Je la observe depuis les hauteurs du Jardin Exotique, les jumelles tremblant dans mes mains. Rien ne bouge. Aucune voiture. Aucune silhouette aux fenêtres. C'est trop calme.C'est un piège. Je le sais. Et pourtant, c'est le seul endroi
ArianaLa voix de Nikos me hante. Elle s’enroule autour de mes pensées, un serpent au venin doucereux. Brava, Cassia. Ces mots ne sont pas un compliment. C’est la caresse du bourreau avant l’estrapade.Les heures qui suivent la conférence de presse sont un ouragan médiatique. Mon visage aux cheveux de platine est partout. « La confession choquante du top model. » « Le mystérieux criminel qui la traque. » Je suis devenue un spectacle, un feuilleton tragique livré en pâture au monde.Mon téléphone professionnel est saturé. Lena, hystérique, a lâché prise. L’agence me droppe. Les contrats sont annulés les uns après les autres. Mon empire de gloire s’effondre en temps réel, et chaque effondrement est un coup de marteau qui résonne dans le silence de ma chambre d’hôtel.C’est la première étape du siège. Me couper de mes ressources. De mon armée.Je sors de l’hôtel par une issue de service, enveloppée dans une capuche, mes cheveux blonds cachés. Je dois bouger. Rester ici, c’est être une ci







