Chapitre 7 : Ce qu’on fuit finit toujours par nous rattraper
Le mail est arrivé en début d’après-midi. Objet : Réunion confidentielle – Projet Majestic – Priorité haute. Il est signé par l’architecte en chef, Peter Hallman. Le ton est formel, presque trop neutre pour être honnête. Je le relis une deuxième fois, les sourcils froncés. Un dîner. À 20 heures. Dans une salle privée du restaurant haut de gamme situé au dernier étage du Majestic. « Pour discuter des aspects confidentiels du projet, en présence du commanditaire principal. » Je n’ai même pas besoin de lire entre les lignes. Le commanditaire principal, c’est lui. William. Il veut me voir. Encore. Je repose mon téléphone sur mon bureau, comme s’il m’avait brûlée. Je fais quelques pas dans mon salon, les bras croisés, le cœur légèrement accéléré. Une partie de moi veut refuser tout de suite. Répondre sèchement que je ne mange jamais avec mes clients, encore moins avec mon ex-mari milliardaire et manipulateur. Mais l’autre partie… Celle qui me dégoûte un peu… Elle hésite. Parce qu’au fond, une infime part de moi veut savoir. Pourquoi maintenant ? Pourquoi ce regard qu’il m’a lancé ce matin, ce silence pesant, cette tension qui semble prête à exploser ? Et puis surtout… cette phrase. Je veux comprendre si ce qu’on a vécu mérite une vraie fin… ou un nouveau départ. Elle résonne encore dans ma tête. M’empêche de penser à autre chose. Je me déteste d’y penser. Mais c’est là. En fin de journée, je passe voir Clara, ma meilleure amie et bras droit dans l’agence. Elle me connaît trop bien. Dès qu’elle voit mon visage, elle pose son stylo et plisse les yeux. « Qu’est-ce qu’il a encore fait, ce crétin en costume ? » Je soupire. Je me laisse tomber dans le fauteuil devant son bureau. « Il veut dîner avec moi. Demain. » Elle arque un sourcil. « Attends. Il t’a invitée ? En mode gentleman ou en mode ‘je glisse ça dans un mail comme un lâche’ ? » Je lève les yeux au ciel. « Par un mail de Peter Hallman. Une ‘réunion confidentielle’. » Elle éclate de rire. « Classique. Il pense que s’il met un peu de formalisme autour, tu vas pas te méfier. » Je secoue la tête. « Le pire, c’est que je me méfie. Et pourtant… j’hésite. » Elle se penche vers moi, soudain plus sérieuse. « Angie… tu sais que je te soutiendrai, quoi que tu fasses. Mais si tu y vas, ce n’est pas pour l’écouter. C’est pour te confronter à ce que tu ressens encore. Et ça, c’est risqué. » Je hoche lentement la tête. « Je sais. » Silence. Puis elle ajoute doucement : « Tu te souviens de la dernière fois que tu l’as regardé comme ça ? » Je ferme les yeux. Et le souvenir remonte. C’était un an avant le divorce. Un soir de gala. Un de ces événements mondains où les femmes portent des robes trop chères et les hommes des sourires de requins. Moi, je portais du rouge. Il m’avait regardée comme si j’étais la seule lumière dans une salle pleine de miroirs. Il m’avait pris la main au milieu de la foule, sans prévenir. « On s’en va », avait-il dit. « Maintenant ? Mais— » « Tout ce que j’ai envie de voir ce soir, c’est toi. » On était montés dans sa voiture, roulé sans but jusqu’au bord de l’Hudson. Il m’avait raconté des souvenirs d’enfance, parlé de sa mère, de ses peurs. Ce soir-là, j’avais cru que je l’aimais plus que jamais. Et ce soir-là, j’avais aussi compris qu’il me cachait quelque chose. Je l’avais senti, sans preuve. Juste cette distance subtile. Ce mur invisible entre son cœur et le mien. Je rouvre les yeux. Clara m’observe. Je murmure, presque pour moi-même : « Peut-être que je dois l’entendre. Juste une fois. Et après, je tournerai la page pour de bon. » Elle pince les lèvres. « Ou peut-être qu’il va trouver le moyen de t’embrouiller à nouveau. » Je me lève. « Pas cette fois. Je ne suis plus la femme qu’il a quittée. » Elle me sourit, un peu triste. « Non. Tu es plus forte. Mais même les femmes fortes ont le droit d’avoir mal. » Je ne réponds pas. Je rentre chez moi. Et le soir venu, devant mon dressing, je me rends compte que je cherche inconsciemment une robe. Quelque chose d’élégant, mais pas trop. Neutre… mais flatteur. Je m’insulte intérieurement. Et pourtant, je choisis quand même un tailleur pantalon noir, une chemise ivoire. Ma tenue de combat. Je serai prête, demain.Je marche sans vraiment savoir où je vais.Les rues de New York défilent autour de moi comme un film en accéléré. Les klaxons, les passants, les néons… tout est flou.Je n’ai pas pris de taxi en quittant l’hôtel.J’avais besoin de sentir le vent contre mon visage.De respirer.J’ai passé les dernières années à tenter d’oublier cet homme.Et en l’espace d’une heure, il a tout bouleversé à nouveau.Je m’arrête au coin d’un café, les mains tremblantes.Dans mon sac, l’enveloppe avec les parts de l’hôtel pèse une tonne.Est-ce qu’il croit que me donner du pouvoir effacera les douleurs ?Est-ce qu’il croit qu’en me plaçant au sommet, il rachètera les années où il m’a laissée m’effondrer ?Je ferme les yeux.Et pourtant… ce n’est pas de l’arrogance que j’ai vu ce soir dans son regard.C’est de la sincérité. Une faille. Une détresse.Et ça me fait peur.Parce que malgré tout ce qu’il m’a fait, une partie de moi veut encore le croire.Je rentre chez moi tard dans la nuit.L’appartement est si
Je suis arrivée la première.Le petit salon privé du Madison Hotel est silencieux, baigné d'une lumière tamisée. J’ai choisi cet endroit exprès. Neutre. Loin de nos souvenirs. Loin des fantômes.Assise au fond de la pièce, je garde mes mains jointes sur mes genoux pour les empêcher de trembler.La clé USB repose dans ma poche. Lourd souvenir de la nuit passée.Je l’ai écoutée. Tout.Et maintenant, je veux l’entendre, lui.La porte s’ouvre.Je relève les yeux.William.Costume sombre, regard fermé, mâchoire tendue. Il referme la porte doucement derrière lui, sans un mot.Il me voit. Il s’approche. Lentement.Mais cette fois, il n’y a pas cette assurance arrogante dans ses gestes.Il s’arrête à quelques pas.— Merci d’être venue.Je soutiens son regard.— Tu m’as laissée sans le choix, William.Un silence.Il acquiesce.— Je sais.Je lui montre le siège face à moi.— Assieds-toi.Il s’exécute.Le silence est épais. Il pèse entre nous comme un couvercle sur une plaie mal refermée.— J’ai
Je n’ai pas quitté mon bureau depuis qu’elle est partie.La lumière de la ville filtre à peine à travers les vitres fumées.New York continue de vivre, de respirer. Moi, je suffoque.Angela.Son regard me hante. Cette douleur dans ses yeux. Cette blessure que j’ai ravivée alors que je n’ai jamais cessé de vouloir la guérir.Je serre les poings sur mon bureau.La colère est là, sous-jacente, prête à exploser. Mais ce n’est pas elle qui domine ce soir. C’est l’impuissance.Je pensais que lui donner cette clé USB la ferait revenir vers moi. Qu’en lui montrant la vérité, elle comprendrait enfin que je l’ai toujours protégée. Que je l’ai toujours aimée, même quand j’étais incapable de le montrer.Mais je suis peut-être arrivé trop tard.— Monsieur Sinclair ? Votre frère vous attend à l'étage privé.La voix de Nora perce le silence, glaciale comme toujours.— Qu’il attende.— Il insiste, monsieur. Il dit que c’est urgent.Je n’ai pas la patience.— Je vous ai dit d’attendre, Nora ! Et arran
Je quitte le restaurant avec la sensation de porter un poids invisible sur mes épaules.Il fait nuit, mais je n’ai pas froid.C’est mon cœur qui brûle. Ma tête qui tourne.J’ai marché deux rues avant de réaliser que je n’avais aucune idée d’où j’allais. J’ai besoin d’air, mais aussi de réponses.Et cette clé USB dans mon sac me brûle la peau.Je finis par héler un taxi.— 11ème Rue Est, s’il vous plaît.Je donne l’adresse d’une amie, pas la mienne. Par sécurité. J’ai beau être en colère contre William, je ne suis pas idiote. Son oncle pourrait très bien me surveiller.Et si ce qu’il m’a dit est vrai, je suis peut-être déjà en danger.Le taxi roule doucement dans les rues de New York.Tout semble si normal.Et pourtant, rien ne l’est plus.Je repense à tout ce qu’il m’a dit.À Clara.Mon cœur refuse d’y croire.Pas elle. Pas celle qui m’a aidée à me relever après le divorce, qui a veillé sur moi pendant mes nuits d’insomnie, qui a tenu ma main quand je pleurais encore son absence.Mais
AngelaJ’arrive au restaurant dix minutes en avance.Ce n’est pas mon genre d’être aussi ponctuelle, mais depuis son message hier soir, je n’ai pas fermé l’œil.J’ai retourné ses mots dans ma tête mille fois.Non. Mais je suis prêt à tout te dire. Demain. En face.Ce non résonne encore dans mon esprit.Alors je suis venue. Parce que j’ai besoin de savoir. De comprendre.Et surtout, parce que j’ai peur.Pas de lui.Mais de ce que je ressens encore pour lui.Le restaurant est élégant. Classique. William, quoi.Les nappes sont blanches, les lumières tamisées, l’ambiance feutrée.Il a réservé une table dans un coin isolé, à l’abri des regards.Évidemment.Je suis assise depuis à peine deux minutes quand je le vois entrer.Costume sombre, chemise blanche légèrement ouverte, sans cravate.Il est en avance aussi.Et mon cœur rate un battement.Il a toujours cette aura. Ce mélange troublant d’arrogance et de douleur.Il me repère immédiatement, puis vient vers moi, son regard planté dans le m
Chapitre 15 : Quelque chose clocheJe me réveille en sursaut.Le cœur battant. La gorge sèche. Un rêve ? Une impression ? Je ne sais pas.Mais j’ai cette sensation étrange que quelque chose… m’observe.Je reste quelques secondes immobile, le regard fixé sur le plafond. Il fait encore nuit.Je tends l’oreille.Rien. Juste le silence habituel de mon appartement.Et pourtant, mon instinct ne me trompe jamais.Je me lève, enfile rapidement un peignoir, et vais vérifier que la porte d’entrée est bien verrouillée.Elle l’est.Je vérifie les fenêtres. Fermées. Verrouillées aussi.Je regarde mon téléphone. 4h12.Un message non lu. Mon cœur rate un battement.Mais non, ce n’est pas William. Juste une notification automatique de ma banque. Rien d’anormal.Et pourtant, je n’arrive pas à me rendormir.Je fais chauffer de l’eau pour une tisane, puis je vais m’asseoir sur le rebord de la fenêtre.Je regarde la ville endormie.Et je pense à lui.À la façon dont il m’a regardée hier. À ses si