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Chapitre 7 - L’entretien sans voix

Author: Primso Fam
last update Last Updated: 2025-07-24 22:44:18

Je ne savais pas si on m’emmenait à un interrogatoire ou à une punition. Le garde qui m’escorta ne prononça rien, son regard fixé devant lui, comme si j’étais une ombre à son flanc. On traversa deux couloirs sans fenêtres, éclairés d’une lumière jaune maladive, avant qu’il n’ouvre une porte grise, sans poignée, et s’écarte pour me laisser entrer.

Il n’y avait rien. Rien sauf lui.

Caïn.

Debout. Dos au mur. Bras croisés. Aucune chaise. Aucun bureau. Même pas une fiche. Juste lui. Moi. Et l’air trop mince pour deux.

Je restai figée sur le seuil, mais il ne fit pas un geste pour m’inviter à avancer. Il n’en avait pas besoin. Mon corps avait déjà décidé qu’il voulait s’approcher, sans m’en demander l’autorisation. Quand je franchis la ligne invisible de la pièce, la porte se referma derrière moi avec un claquement sourd. Je n’avais jamais entendu un son aussi définitif.

Je me tenais droite, le menton haut, les poings fermés dans le tissu trop fin de ma blouse. Il ne me regardait pas. Ses yeux glissaient sur moi, s’arrêtaient ailleurs. Sur la paroi, peut-être. Sur mes pensées, sûrement. J’aurais voulu le haïr. Ce genre d’homme qu’on redoute avant même qu’il ouvre la bouche.

Mais il restait muet.

Alors j’ai parlé. Par fierté. Par défi. Par besoin de remplir l’espace qu’il s’obstinait à garder nu.

- Vous comptez rester planté là à m’observer comme un animal en cage ? Ou c’est moi qui dois poser les questions ?

Il ne broncha pas. Un silence lourd, pas hostile. Déroutant. Une absence de réponse si pleine qu’elle sonnait comme un verdict. Mon cœur tapait contre ma cage thoracique avec l’insolence de ceux qui veulent s’échapper. Lui restait figé, comme sculpté dans une matière qui n’appartenait pas à ce monde.

Je fis un pas vers lui.

- Vous allez me parler, oui ou non ?

Cette fois, ses yeux trouvèrent les miens. Ce regard. Il n’y avait rien de tendre, rien de cruel non plus. Une tempête tenue en laisse. Et pourtant, quelque part, j’ai senti ma peau frissonner. Mes bras nus réclamaient une chaleur absente, mes jambes voulaient fuir sans que mes pieds bougent. Il sortit alors un carnet de sa poche, et un crayon. Lentement. Délibérément.

Et il écrivit.

Je crus d’abord à une provocation. Une note technique. Une observation clinique.

Alors j’ai explosé.

- C’est ça, votre idée de l’échange ? Vous grattez un papier pendant que je me vide ?

Il continua d’écrire. Un rictus discret aux lèvres. Il leva enfin les yeux, rangea le carnet, et s’approcha de deux pas. Plus près que ce que l’espace permettait d’accepter. Son parfum s’infiltra dans mes narines, un mélange étrange de froid métallique et d’écorce noire.

Sa voix, lorsqu’elle rompit le silence, était presque inaudible. Grave, comme un murmure qu’on prononce à l’intérieur de soi.

- La voix, c’est la première prison.

Je clignai des yeux, prise de court. Mes lèvres s’ouvrirent pour répliquer, mais rien ne sortit. Il avait coupé mon souffle avec une phrase.

Il recula alors, comme s’il n’avait jamais existé à cette proximité. Et reprit son observation en silence.

Je refusais de me laisser briser. Je m'assis sur le sol, les jambes croisées. Si c’était un jeu, j’en serais la mauvaise joueuse. Si c’était un piège, j’en serais l’appât indomptable.

- Très bien. Regardez-moi. Notez. Analysez. Pendant que vous y êtes, vous pouvez écrire que je dors mal, que je me méfie des hommes, que j’ai envie de frapper les murs et de vomir les médicaments. Et que malgré tout ça, j’ai encore la lucidité de comprendre que c’est vous, le plus dangereux ici.

Un battement de paupières. Une tension dans sa mâchoire. Infime. Fugace.

Je crois que ça l’a atteint.

- Vous ne niez pas ?

Il ne répondit pas. Bien sûr. Sa spécialité. L’absence d’affirmation. L’effacement comme tactique.

Il griffonna à nouveau quelque chose, puis s’approcha d’un mur. Y appuya son carnet, et continua d’écrire, comme si mon monologue était une bande-son dont il transcrivait chaque nuance.

Je me levai.

- Vous avez une obsession pour le silence, ou c’est moi qui vous intimide ?

Je regrettai aussitôt ces mots. Ce n’était pas une attaque. C’était une fuite. Une panique en robe d’orgueil.

Il s’approcha. Trop. Cette fois, son regard descendit lentement jusqu’à mes lèvres. Pas un geste déplacé. Rien d’explicite. Et pourtant, mes joues s’embrasèrent. J’étais nue sans l’être, offerte sans le vouloir. Il murmura de nouveau, à peine un souffle :

- L’obsession, c’est vous qui l’alimentez.

Mon ventre se contracta. Mon corps ne me demandait plus la permission. Je sentis mes doigts trembler.

Je reculai d’un pas, avalant difficilement ma salive. Il ne tenta pas de me retenir. Il s’éloigna et posa son carnet sur un petit rebord invisible du mur. Puis il me tourna le dos, comme si l’échange était clos.

Je restai là, plantée. Le souffle court. Le cœur aux aguets. Mon esprit cherchait encore à décrypter ce qui venait de se passer.

Je me sentais violée du regard, sans que ses yeux aient jamais quitté leur place. Pénétrée par une phrase. Mise à nu par une absence. Et quelque chose en moi - non, quelqu’un - en voulait davantage.

Il s’approcha de la porte et la poussa sans un mot. Elle grinça comme si elle protestait contre l’idée de me laisser sortir.

Je franchis le seuil sans me retourner. Pourtant, son regard brûlait encore dans mon dos, comme un souvenir dont on ne sait déjà plus s’il est réel.

Je n’avais rien appris. Rien obtenu. Pas même son nom sur ses lèvres. Et pourtant, j’étais sortie de cette pièce différente. Altérée. Touchée dans une zone que je croyais inaccessible.

Je ne voulais pas le revoir.

Je savais que je n’aurais plus que ça en tête.

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