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Chapitre 6 - Chambre 27

Author: Primso Fam
last update Last Updated: 2025-07-24 22:43:43

Les pas me guident sans que je sache comment. J’ai cessé de demander. Chaque couloir ressemble au précédent : sans odeur, sans trace. Le monde entier semble s’être vidé de toute âme. Sauf moi. Moi, on m’a gardée. Pour quoi ? Pour qui ?

Devant une porte grise, ils s’arrêtent. L’un d’eux tend la main, effleure le capteur. Un déclic se fait entendre, puis le silence retombe, poisseux. La porte s’ouvre sur un vide.

La pièce est nue. Mur blanc, sol gris, plafond bas. Un lit, rectangle de métal boulonné au sol, recouvert d’un drap rêche qui n’a rien d’un refuge. Contre le mur, une forme que je repère aussitôt. Une caméra. Son objectif brisé pend, comme un œil crevé. Trop évident. Trop visible pour être accidentel.

Je ne leur laisse pas le plaisir de l’illusion. Je lève la tête, fixe le coin et murmure sans baisser les yeux :

- Vous avez oublié d’être discrets.

Personne ne répond. Bien sûr. Ce genre de silence a l’arrogance des puissants.

Je dépose mes affaires sur le lit. Enfin, ce qu’ils appellent des affaires. Un pantalon trop court, un tee-shirt sans couleur, des chaussettes dépareillées. Rien à moi. Aucun tissu familier. Aucun parfum. Même mon odeur a disparu sous leurs produits chimiques.

Je reste debout. Trop d’énergie. Trop de colère. Elle cogne contre mes côtes, cherche une sortie. Le moindre faux pas, et elle me déchirera de l’intérieur.

Je tourne. Cherche un coin. N’importe quel endroit où je pourrais me perdre un instant. Et je le trouve. Une ligne de séparation. Presque invisible, à peine une découpe dans le mur.

Je m’approche. Pose la paume. Le froid me traverse. C’est du verre.

Ils ont été plus prudents ici. Pas de reflet. Un miroir unidirectionnel. Mon image ne me revient pas. À sa place, un mur impénétrable. Pourtant je sais. Ils sont là. De l’autre côté. Installés dans leurs sièges. Le dos droit. Les mains croisées. L’air clinique.

Je colle mon front contre la surface. La sensation m’écorche.

- Vous me regardez ? Alors regardez bien.

Je griffonne de l’ongle une traînée contre la glace. Rien ne résiste. Ni eux, ni moi.

Je ne bouge plus. L’immobilité a parfois plus de pouvoir que l’agitation. Qu’ils guettent. Qu’ils analysent. Je leur offre ce qu’ils attendent : une cible imprévisible.

Dans un coin, une petite grille. À peine plus large qu’un poing. J’imagine déjà les gaz qu’ils pourraient y faire passer. Sédatifs, fumées, murmures. Je m’approche. L’odeur de métal est sèche. Aucune effluve ne s’en dégage. Pour l’instant.

Je retourne au lit. M’assieds lentement. Pas pour leur prouver que je m’installe. Pour moi. Pour reprendre possession de mon corps. Ils ont eu ma peau, mes cheveux, ma voix. Qu’ils osent me prendre l’âme.

La tension dans mes jambes ne lâche pas. Je les croise, puis les déplie. Mon dos refuse de s’abandonner. Le matelas grince à peine. On dirait qu’il attend, lui aussi.

Je sens les murs m’épier. Le regard du verre collé dans ma nuque. Ce n’est pas la peur qui m’empoisonne. C’est leur manie de m’évaluer.

Je me redresse. Je leur tourne le dos et regarde le plafond. Les néons bourdonnent à peine. Une vibration presque animale. Comme si le lieu respirait.

Je me parle tout bas. Juste pour entendre une voix.

- Tu es toujours là. Tu penses encore. Tu refuses encore.

Une présence. Fugace. Un frisson, ou un instinct. Quelqu’un, dehors. Un pas trop appuyé. Un souffle ralenti. Il y a d’autres êtres vivants entre ces murs. D’autres qui résistent.

Je tends l’oreille. Rien d’identifiable. Pourtant, je sens qu’on m’observe. Peut-être pas eux. Un autre. Quelqu’un qui n’a pas besoin d’écran pour sentir les battements des autres.

Je frotte mes bras. La sensation me réveille. Ma peau est sèche, presque rêche. Les savons de la salle de douche ont brûlé plus qu’ils n’ont nettoyé. Une odeur médicale reste accrochée à mes coudes.

Je voudrais crier. Ou frapper. Ou m’effondrer. Mais les émotions, ici, sont des pièges. Ils attendent l’erreur. La faille.

Je fixe encore le miroir. Une pulsation me traverse. Comme une tension dans l’air, un fil invisible entre moi et celui ou celle qui me regarde.

Je n’ai pas besoin de confirmation. Je sais qu’il est là. Et il m’écoute.

Un battement de cœur dans mon ventre. Une chaleur étrange. Presque intime.

Il n’a pas besoin de mots. Je ressens sa présence comme une pression contre mon épiderme. Il n’est pas médecin. Il n’a pas la froideur des blouses. Il attend quelque chose.

Un défi ? Une réponse ? Un effondrement ?

Je me lève. D’un bond sec. Et je me dirige droit vers le miroir. À quelques centimètres, je chuchote :

- Je ne vous donnerai rien. Ni confession. Ni abandon. Ni larmes.

Je laisse mes doigts remonter jusqu’à ma clavicule. Mon cou porte encore les traces de leurs mains gantées. Là où ils m’ont tenue pour me raser. Une ligne presque invisible, mais je la sens, brûlante.

Mon regard plonge dans celui que je devine derrière la vitre. Qu’il prenne ce que les autres ne peuvent pas. Qu’il ose.

Il y a un jeu en cours. Un jeu qu’ils croient diriger. Et un autre, parallèle. Silencieux. Qui n’a pas encore commencé.

Je suis prête.

Je retourne au lit, cette fois plus lentement. La tension dans mes hanches s’attarde. Mes gestes sont calculés, pour lui. Pour cette silhouette cachée que je perçois sans voir.

Je m’allonge, les yeux ouverts, sans cligner. La caméra clignote. Faux signal, faux danger. Vrai contrôle.

Je lève les bras, les croise derrière la tête. Le drap s’étire sous mes omoplates.

Je sais ce que je suis pour eux. Une variable. Un sujet d’expérience. Une anomalie.

Mais je sais aussi ce que je suis pour lui. Une énigme. Peut-être une faille. Peut-être un appât.

Je vais lui compliquer la tâche.

Je referme les yeux. L’immobilité revient. Le silence s’épaissit. J’attends. Qu’ils agissent. Qu’il réagisse.

Et dans l’attente, une certitude s’impose.

Il reviendra.

Pas pour me soigner. Ni pour m’évaluer. Il reviendra parce qu’il ne pourra pas faire autrement.

Parce que sous la glace, je suis devenue son miroir.

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