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Chapitre 3 - Le protocole des muets

Author: Primso Fam
last update Huling Na-update: 2025-07-23 09:36:19

- Suis-moi. Pas un mot.

Le ton était tombé, net, comme une lame qu’on abat sans émotion. L’infirmière ne m’avait pas vraiment regardée. Elle s’était simplement retournée, silhouette blanche et fluide, glissant sans bruit sur le sol aseptisé. J’avais hésité une seconde, le souffle suspendu, puis mes pieds avaient suivi d’eux-mêmes, obéissant à une injonction plus ancienne que celle prononcée.

Elle n’avait ni badge, ni sourire. Juste un uniforme qui semblait absorber la lumière, et des gestes précis comme ceux d’une horloge bien huilée. Elle ne m’a pas demandé mon nom. N’a pas prononcé le sien. Elle m’a tendu un document plastifié, sans me regarder.

« Tu lis, tu signes. »

La voix venait de loin, comme filtrée par un mur épais. J’ai pris la feuille sans réagir. Les caractères étaient nets, la mise en page parfaite. En haut, une ligne : PROTOCOLE INTERNE – INSTITUT ELLENBRÜCK. Le reste s’enchaînait en règles froides, alignées comme des barreaux.

Interdiction de crier.

Interdiction d’interroger.

Interdiction de sortir sans autorisation.

Interdiction de poser les mains sur les murs, sur le personnel, sur soi-même de manière insistante.

Je me suis demandé ce que « manière insistante » voulait dire. La question est restée là, suspendue dans mon crâne, sans oser franchir la barrière de mes lèvres. L’infirmière a glissé un stylo sous mon nez.

Je n’ai pas signé. Pas tout de suite. J’ai levé les yeux vers elle. Elle s’était déjà éloignée, d’un pas sec, sans attendre de réponse.

Je l’ai suivie.

Le couloir s’étirait comme un intestin stérilisé. Chaque porte portait une lettre, une couleur, une absence de poignée. Je les ai comptées pour ne pas penser au vide. Au bout de la cinquième, elle s’est arrêtée.

« C’est là. »

Pas de clé. Pas de poignée. Elle a posé sa paume contre une surface grise, et la porte s’est ouverte sans bruit. L’intérieur… Je n’ai pas su quoi en penser.

Aucune fenêtre. Les murs d’un blanc trop lisse, presque humide. Le plafond fuyant, sans angle. Un lit bas, sans pieds. Une table fixée au mur. Une chaise sans accoudoirs. Pas de miroir. Pas de placard.

Et ce silence…

Un silence lourd, collé aux tempes. Comme si la pièce avait été conçue pour avaler les sons.

Elle m’a laissé entrer. J’ai passé le seuil comme on traverse une frontière. Elle a refermé derrière moi, sans m’adresser un mot.

Je suis restée debout, sans bouger. La lumière ne projetait aucune ombre. J’aurais voulu détester cet endroit. J’aurais voulu trembler, ou crier, ou me frapper la poitrine. À la place, j’ai marché jusqu’au lit et je m’y suis assise. Le matelas était tiède, trop tiède, comme si quelqu’un venait à peine de s’en relever.

Je n’étais pas seule.

La caméra était invisible, mais je savais qu’elle me regardait. J’ai levé le menton, lentement, et j’ai fixé un point au-dessus du miroir sans tain. Rien ne clignotait. Aucun mouvement. Et pourtant, je sentais ce regard glacial s’insinuer dans mes pores.

Les heures se sont étirées sans repère. Aucun son ne filtrait. Pas de voix. Pas de pas. Juste moi, mon souffle, et le vrombissement intérieur de mes pensées.

Quand la porte s’est rouverte, je n’étais pas sûre que ce soit réel.

Une silhouette masculine est apparue dans l’encadrement. Grande, épurée, l'allure clinique. Il n’a pas franchi la limite de la chambre. Il s’est contenté de faire un pas sur le seuil, les mains dans le dos.

« Tu t’adaptes vite. »

Je n’ai pas répondu.

Il m’a observée comme s’il cherchait une faille dans un masque. Puis, il a haussé un sourcil et ajouté :

« Tu sais où sont les caméras ? »

J’ai serré la mâchoire. Il a souri, imperceptiblement.

« Elles t’aiment déjà. »

Puis il est reparti, sans un bruit. Et ce qu’il a laissé derrière lui, ce n’était pas de la peur. C’était une morsure fine, tapie juste sous ma peau. Une brûlure sans feu. Une sensation qui n’avait pas encore de nom.

Je n’ai pas dormi.

Les lumières ne s’éteignaient jamais. Mon corps me réclamait le droit de sombrer, mais mon esprit tenait le siège. Chaque muscle était tendu, prêt à fuir alors qu’il n’y avait aucune sortie. Juste ce blanc clinique, cette ouate suspendue, et cette étrange sensation d’être observée à travers une peau transparente.

Le lendemain - ou ce qui aurait pu l’être - l’infirmière est revenue.

Toujours sans nom. Toujours sans regard.

« Suis-moi. »

J’ai glissé mes pieds dans les sandales réglementaires. Aucun talon. Aucune boucle. Aucune arme.

Le couloir avait changé. Ou bien c’était moi. Les lettres sur les portes semblaient plus sombres. Une d’elles était entrouverte. J’ai tourné légèrement la tête. À l’intérieur, une jeune fille parlait à son reflet dans une vitre. Son visage était penché, les lèvres en mouvement. Personne d’autre n’était là.

L’infirmière a accéléré le pas. Je l’ai suivie jusqu’à une salle minuscule, aux murs recouverts de grilles d’aération. Un fauteuil attendait, face à un bureau vide. Elle m’a désigné le siège. Je me suis assise.

Une autre femme est entrée, plus âgée. Lunettes carrées, cheveux noués. Elle s’est installée derrière le bureau sans se présenter. Elle a sorti un dossier. Mon nom. Ma date de naissance. Une photographie de moi, prise depuis l’angle supérieur droit de la chambre.

« Tu t’appelles Eden. Tu as dix-huit ans. Et tu es ici parce que tu représentes un risque pour toi-même et pour autrui. »

J’ai levé les yeux vers elle. Son regard était sec, sans animosité.

« Le protocole t’interdit de parler sans autorisation. De poser des questions. De te plaindre. Tu comprendras que nous veillons à un équilibre fragile ici. »

J’ai hoché la tête. Une fois.

Elle m’a observée un instant, puis a refermé le dossier.

« Tu peux retourner dans ta chambre. »

Pas un mot de plus. Pas un au revoir. J’ai quitté la salle, toujours escortée. Toujours en silence.

De retour dans la pièce blanche, je me suis laissée tomber sur le lit. Une odeur m’a frôlé la gorge. Métallique. Inconnue. Je me suis redressée. Rien n’avait bougé. Pourtant l’air vibrait.

Je n’étais pas seule.

Je le sentais.

Et puis il est revenu.

Sans prévenir.

Sans se faire annoncer.

Cette fois, il est entré.

Il n’a rien dit. Il a refermé la porte derrière lui, doucement, comme s’il venait d’entrer dans une chapelle.

Je me suis levée. Mon corps l’a fait avant que je ne l’ordonne. Il s’est arrêté à deux pas de moi. L’espace entre nous s’est resserré, dense, magnétique. Son regard a glissé sur mon visage, lentement, puis s’est arrêté sur ma tempe gauche.

Là où ils avaient rasé.

Là où ma peau était nue.

« Ils ont été délicats. »

Ses mots m’ont frappée plus fort que n’importe quel ordre.

Je n’ai toujours rien dit. Mon silence à moi n’était pas imposé. Il était choisi.

Il a approché la main, sans me toucher. Juste assez pour troubler l’air. Mon souffle s’est bloqué dans ma gorge. Je l’ai haï pour ça. Pour ce pouvoir muet. Pour cette façon qu’il avait de m’électriser sans lever le petit doigt.

« Les murs ici ne retiennent pas les secrets. Ils les amplifient. »

Il a reculé d’un pas. La tension entre nous a cédé, d’un coup, laissant place à un vide brutal.

« Reste vivante. » a-t-il soufflé en se dirigeant vers la porte.

Et puis il s’est retourné.

Ses yeux ont accroché les miens, juste une seconde.

« Ce serait dommage de te perdre avant que je te connaisse. »

Et il est parti.

Je suis restée debout, le cœur étranglé, la gorge nouée par une chaleur inattendue. La chambre n’était plus la même. L’air avait changé. L’atmosphère portait son empreinte.

Et moi, je n’étais déjà plus certaine de vouloir fuir.

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