Chapitre V
(Aube chez les Adjoke - 5h17) Le coq n'avait pas encore chanté qu'Eniko était déjà réveillée, les yeux rivés sur le plafond fissuré de sa chambre d'enfance. Les trois nuits depuis leur "accord" avaient transformé son lit en champ de bataille - draps en boue, oreiller marqué de larmes séchées. Un bruit de casserole dans la cuisine lui fit dresser l'oreille. Sa mère était debout depuis l'aube, comme si préparer du gari pouvait changer leur destin. Bzzz. Son téléphone vibra. Kenneth - 5:23. "Sois présentable. Ma famille n'adopte pas les chiens errants." Elle serra l'appareil jusqu'à craquer l'écran protecteur. (Rituel du Matin - 6:45) Sa mère la brossa comme une enfant, les dents serrées. — "Redresse-toi. Ils t'achètent, pas besoin de leur montrer ta honte en plus." Le peigne en os accrocha à une natte rebelle. Eniko ne broncha pas. Depuis trois jours, la maison sentait le mensonge et l'huile d'arachide brûlée. — "Kévi dort encore ?" — "À l'église depuis 5h," cracha son père depuis la porte. "Le seul Adjoke qui ait du repentir." Le regard qu'ils échangèrent aurait pu vitrifier les murs. (Arrivée des Mayala - 8h30 précises) Le cortège fit trembler les vitres : - 2 Range Rover blindés - 1 Mercedes noire aux vitres teintées - 4 motards policiers (payés pour l'occasion) Kenneth sortit une cravate en soie remplacée par un boubou en coton d'apparence modeste - un déguisement de "homme du peuple" pour la galerie. — "Ma future femme," annonça-t-il à la cantonade en lui saisissant le poignet trop fort. Sa mère à lui, Madame Hortense Mayala, la détailla comme on juge une pièce de bétail : — "Les hanches sont étroites. On fera des échographies mensuelles." (Cérémonie des Ancêtres - 10h00) Sous le hangar décoré de pagnes kente, Eniko dut : 1. S'agenouiller 17 fois (un record) 2. Boire une mixture qui lui brûla l'œsophage 3. Jurer fidélité devant un féticheur aux ongles jaunis Kenneth, pendant ce temps, jouait les maris comblés. Personne ne vit quand il lui glissa : — "Demain 8h à la clinique. Et pour une fois, lave-toi. Tu pues la pauvreté." Elle sourit pour les invités tout en murmurant : — "C'est drôle, je me suis pourtant frottée à ton père ce matin. Oh pardon, c'était toi ? Difficile à distinguer sous la crasse de votre argent sale." Le coup de coude qu'il lui enfonça dans les côtes passa pour une caresse. (Repas de Fiançailles - 13h30) Le banquet aurait pu nourrir le quartier : - 20 kilos de viande de brousse - Du riz au gras en montagnes - Des bouteilles de champagne à faire rougir la France Eniko, assise entre la tante germaine et une cousine jalouse, compta : - 23 regards méprisants - 7 allusions à sa "fertilité douteuse" - 1 main de Kenneth sur sa cuisse (qu'elle écrasa avec une fourchette) Les Mayala partirent enfin, non sans que Madame Hortense ne "oublie" délibérément un chèque de 5 millions sur la table basse - assez pour acheter leur silence, pas assez pour effacer leur honte. (7h15 - Quartier Akpakpa, devant la maison des Adjoke) Le soleil n'avait pas encore dissipé la brume matinale quand la Bentley noire s'arrêta dans un crissement de pneus devant la modeste maison. Le chauffeur, un géant au cou de taureau, toqua trois fois à la porte avant même qu'Eniko n'ait fini d'enfiler ses chaussures. "Vous êtes en retard", grogna-t-il en inspectant sa tenue - une robe en soie vert émeraude que Kenneth lui avait fait livrer la veille. Le tissu la démangeait comme une seconde peau mensongère. Dans la cuisine, son père évitait son regard en sirotant un café trop noir. Sa mère, les yeux rougis, lui tendit un toast à moitié brûlé. "Mange. On sait jamais avec ces gens-là..." Eniko écrasa la tartine du poing. "T'inquiète maman, ton précieux investissement ne mourra pas de faim avant d'avoir pondu l'héritier." Le silence qui suivit fut plus lourd que toutes les insultes. (8h03 - Couloirs de la Clinique Suisse) Les talons aiguilles claquaient sur le marbre poli, chaque écho lui martelant le crâne. Kenneth l'attendait devant l'ascenseur, un dossier à la main, vêtu d'un costume trois pièces qui coûtait probablement le loyer annuel de ses parents. "T'avais prévu de venir en clocharde ou c'est juste ton nouveau look ?" lança-t-il en lui jetant un coup d'œil méprisant. Elle sentit la colère lui monter comme une marée noire. "Excuse-moi, j'ai oublié que ton sperme magique nécessitait une mise en scène. Ça te dérange si je respire aussi, ou il faut que je demande la permission ?" Les infirmières baissèrent les yeux, gênées. Kenneth lui attrapa le coude avec une brutalité feutrée. "Tu vas te tenir à carreau, ou je fais transférer ton frère à la prison centrale ce midi même." (9h17 - Bureau du Dr. Lissouba) Le médecin avait le sourire lisse des hommes habitués à servir les puissants. Il étala les résultats devant eux comme un marchand présentant sa marchandise. "Excellente nouvelle ! Votre profil génétique est exceptionnellement compatible. Taux de réussite estimé à 97%." Kenneth eut un sourire de requin. "Entendez-vous ça, Adjoke ? Vous êtes enfin bonne à quelque chose." Le stylo qu'Eniko serrait dans sa main craqua sous la pression. "Et pour l'insémination artificielle ?" demanda-t-elle d'une voix qu'elle voulait neutre. Le médecin échangea un regard avec Kenneth avant de se racler la gorge. "Malheureusement, le protocole standard prendrait six à huit mois. Or, les clauses successorales exigent..." "Qu'on fasse ça comme des animaux, c'est ça ?" l'interrompit Eniko, la voix soudain tremblante. Le bureau sembla basculer autour d'elle. Kenneth, lui, paraissait aussi détendu qu'en terrasse de café. "Techniquement, trois fois suffiront probablement. Je suis fertile comme un lapin, tu verras." La gifle résonna comme un coup de feu. Le médecin sursauta, Kenneth se contenta de passer une langue sur sa lèvre fendue, le regard brillant d'une satisfaction perverse. "Tu préfères quoi ?" murmura-t-il. "Trois minutes de dégoût... ou quinze ans de prison pour ton frérot ?"6h17 - Chambre Principale, Résidence Mayala Les premiers rayons du soleil filtraient à travers les persiennes, dessinant des lignes dorées sur le corps à moitié découvert d'Eniko. Elle émergea du sommeil par vagues successives, consciente d'abord : 1. De la chaleur – une paume large épousant la courbe de sa hanche 2. Du souffle – des lèvres humides traçant un chemin brûlant le long de sa nuque 3. De la pression – quelque chose de dur et de lourd niché contre ses fesses "Mmmh... Kenneth..." Le grognement lui échappa avant qu'elle ne puisse se retenir. ---"Qu'est-ce qui te prend de faire ça si tôt ?" protesta-t-elle en essayant de se dégager. Kenneth ricana contre sa peau, ses dents effleurant légèrement son épaule. "Je voulais te réveiller en douceur en t'embrassant." Sa main remonta lentement le long de sa cuisse, soulevant le tissu de sa robe de nuit. "Mais apparemment, une personne ici prétend qu'elle ne m'aime pas assez pour ça."Elle sentit un sourire lui échapper
(Eniko POV ) ---14h45 - Faculté de Médecine, Université d'Abomey-Calavi Le cours d'anatomie se termina dans un bourdonnement étouffé. Eniko rangea ses instruments avec une lenteur calculée, évitant le regard de ses camarades. Depuis deux jours - depuis ces mots de Kenneth qui lui vrillaient encore les tempes.Il m'a embrassée dans le dos comme on caresse un cheval. J'ai cru que... Qu'il voyait enfin en moi plus qu'une coupable. Ses doigts tremblèrent en fermant son cahier où elle avait gribouillé sans s'en rendre compte : **E + K** entourés d'un cœur barré. "Docteur Mayala ?" Le professeur Adisso lui tendit un formulaire administratif. "Votre signature pour le stage en chirurgie." Elle bloqua en voyant le nom imprimé : ENIKO ADJOKÉ MAYALA Ce maudit nom de mariée qui lui scellait la peau comme une cicatrice. ---16h30 - Point Mobile Money, Marché Dantokpa La chaleur écrasante du marché semblait pâlir devant la brûlure dans sa poitrine. Elle compta les billets humi
12h47 – Le Club Privé L'odeur du cigare et du whisky tourbillonnait dans l'air climatisé du salon VIP. Koffi, penché en avant, les coudes sur les genoux, venait d'éclater de rire pour la quatrième fois depuis que j'avais commencé mon récit. "Attends... attends... Elle t'a vraiment dit ça ? 'Tu as crié mon nom trois fois' ?" Sa voix ricana de plus belle, ses dents blanches brillant comme des armes. Mon verre trembla dans ma main. "Un conseil, Koff. Ferme ta gueule avant que je te la ferme pour de bon." Mais il continua, essuyant une larme imaginaire. "Le grand Kenneth, terrassé par une petite mijaurée en pyjama de soie ! Je t'avais prévenu, frérot. Cette fille a plus de couilles que toi." **CRAC.** Mon poing s'enfonça dans la table basse en acajou avant que je ne puisse me retenir. Les verres tremblèrent, le cendrier bondit. Koffi leva enfin les mains en signe de paix, mais son sourire ne disparut pas. "Détends-toi, homme. C'est juste drôle." "Rien de drôle là-dedans," g
(Eniko's POV)C’était un jour ouvrable. Le soleil tapait fort sur le bitume lorsque je suis rentrée de l’université, les bras chargés de livres que je n’avais même pas ouverts. Ces derniers jours avaient été un supplice. Pire qu’un supplice. Une lente torture psychologique où chaque minute passée dans cette maison me rappelait à quel point mon destin était scellé. En poussant la porte d’entrée, j’ai tout de suite remarqué le silence. Les domestiques n’étaient pas là. Encore. Ça faisait deux jours qu’ils n’étaient pas revenus, et je me demandais bien ce que Kenneth leur avait raconté pour qu’ils disparaissent comme ça. *Peu importe.* Je me suis résignée à faire le ménage moi-même, histoire de m’occuper l’esprit. Balayer, ranger, laver – des gestes mécaniques qui ne demandaient aucune réflexion. C’était presque apaisant. Quelques heures plus tard, j’ai entendu la porte d’entrée s’ouvrir. Kenneth. Il est entré comme il faisait toujours, avec cette assurance de propriétaire
5h37. La lumière de l'aube filtrait à peine à travers les lourds rideaux de la chambre, teintant tout d'un gris bleuté. Je clignai des yeux, les paupières encore lourdes, mais le sommeil avait définitivement fui. Mon corps était déjà en alerte, comme chaque matin. Je me redressai lentement, les muscles bandés, les draps glissant sur ma peau nue. Je ne portais jamais rien pour dormir. Jamais. Et je n'allais pas changer cette habitude pour une intruse, même si cette intruse avait des yeux qui brûlaient comme de l'ambre et une bouche faite pour mentir. À côté de moi, Eniko dormait, les cils frémissant légèrement. Dans son sommeil, elle paraissait presque vulnérable. Presse fragile. Une illusion dangereuse. Car je savais trop bien que dès qu'elle ouvrirait ces yeux trop perspicaces, ce serait pour me lancer un nouveau défi. Je me levai sans bruit, sentant l'air frais caresser ma peau. Mon état actuel ne laissait aucun doute sur la frustration accumulée durant la nuit. Tant pis. Qu
(Villa Mayala – 9h17 – 7 jours avant l'ovulation) La lumière du matin filtrait à travers les rideaux épais lorsque la clé tourna enfin dans la serrure. Eniko ne bougea pas. Elle était toujours allongée dans la même position où elle s'était endormie - recroquevillée sur elle-même, les bras enserrant ses genoux, comme pour se protéger d'un monde hostile. La porte s'ouvrit avec un léger grincement. Kenneth se tenait sur le seuil, silencieux, observant la forme fragile sur le lit. Il avait passé une nuit agitée lui aussi, tournant et se retournant dans son lit trop grand, son esprit obsédé par cette femme qui le défiait comme personne n'avait osé le faire avant. "Debout," ordonna-t-il, la voix plus calme que la veille mais toujours aussi autoritaire. Eniko tourna lentement la tête vers lui. Ses yeux, habituellement si vifs, étaient rougis et cernés. Ses cheveux, d'ordinaire soigneusement coiffés, formaient une masse emmêlée autour de son visage marqué par les larmes. La joue où il l