Zoé
Je commence toujours mes lundis matins de la même façon :
1. Du café. Beaucoup de café.
2. Une playlist "Échecs sentimentaux et autres désastres".
3. Un article sur le blog que personne ne sait que j’écris.
Aujourd’hui, c’est un test de vibromasseur. Oui, un test. Objectif, technique… et honnête. Trop honnête, selon ma psy.
"Ce modèle m’a surprise par sa discrétion et sa puissance, mais il est clairement à éviter pendant une visioconférence Zoom. La vibration peut passer dans les écouteurs. Je parle d’expérience. Ne jugez pas."
Je soupire. Je bois une gorgée de café. Et je relis pour la dixième fois l’article que je vais publier sous mon pseudo : LaBrumeRose. C’est drôle, ça parle de plaisir féminin avec un brin d’ironie. Mais derrière chaque blague, y a un bout de moi qui crie : est-ce qu’un jour quelqu’un m’aimera vraiment ? Même si je suis comme ça ?
Je suis Zoé. J’ai 29 ans, je suis illustratrice freelance, un peu cinglée, souvent sarcastique, et accessoirement incapable de choisir entre un orgasme bien calibré et une vraie histoire d’amour. Parce que je n’en ai jamais eu. Pas une vraie.
Et ce matin, je m’apprête à vivre une journée comme les autres. Sauf que… je vais tomber dans ses bras. Littéralement.
Tout a commencé à 10h47, chez Papier Crème, une petite papeterie de Montmartre qui vend des carnets hors de prix que je n’ose même pas ouvrir. J’y vais pour acheter des feutres. Des feutres, bordel, pas un fantasme vivant en jean noir et chemise déboutonnée.
Et pourtant.
Je ne vois pas l’obstacle. Je suis sur mon téléphone, je ris d’un meme idiot que m’a envoyé mon meilleur ami Raphaël (encore un truc sur les capricornes et la masturbation classique). Et je percute un torse. Un mur. Une montagne.
Je tombe , lui non.
Je suis par terre, jambes écartées, sac éventré, rouge à lèvres qui roule. Et lui… il se penche. Avec un sourire de travers. Les cheveux un peu ébouriffés. Un appareil photo en bandoulière.
— Vous allez bien ? me demande-t-il.
Sa voix est grave. Juste ce qu’il faut de grave pour activer des endroits pas censés réagir dans une papeterie.
Je bafouille. Je sens mes joues brûler.
— Je… je testais un style de chute nouveau. Très artistique.
Il rit. Bordel. Il a les fossettes du diable.
— Jolie chute, en tout cas. Je suis Jules.
Jules. Bien sûr. Il fallait qu’il s’appelle comme dans une comédie romantique. Manquait plus qu’il soit photographe pour Vogue et passionné par les orgasmes féminins.
Il est photographe. Je ne connais pas encore le reste, mais mon intuition me dit que je vais le découvrir. Par étapes .
Je ressors avec mes feutres, sa carte de visite dans ma poche arrière, et une envie irrationnelle d’inventer un projet juste pour le revoir. Mais je suis une adulte responsable. Je rentre bosser. J’ignore mes hormones. Je suis mature.
Sauf que non.
Le soir même, j’envoie un message à Raphaël.
Zoé : J’ai rencontré un photographe.
Raphaël : Et ?
Zoé : Il m’a vue les jambes écartées par terre avec un rouge à lèvres entre les cuisses.
Raphaël : Donc il t’a vue dans ton élément.
Zoé : Va te faire voir.
Raphaël : Toujours pas. Tu veux que je t’aide à oublier son visage ? Tu sais, amicalement.
Zoé : Tu as buggé ou tu es encore en train de flirter avec moi là ?
Raphaël : Réfléchis.
Je ne réfléchis pas. Je ferme l’appli. Raphaël, c’est mon meilleur ami. Celui qui me connaît par cœur. Celui qui sait quand je vais pleurer rien qu’à ma façon de taper sur mon clavier. Celui que je n’ai jamais embrassé. Celui que j’ai parfois envie d’embrasser. Mais c’est plus simple de faire comme si je ne le voyais pas.
Je me couche tard. Je me masturbe en pensant à Jules. Sa voix. Ses yeux. Ce sourire carnivore. Je m’endors nue, avec ma main encore entre mes cuisses et une petite honte collée au creux du ventre.
Le lendemain matin, je reçois un mail.
"Zoé, votre profil m’a interpellé. J’ai une série photo en tête sur le thème ‘Fragments féminins’. Et je pense que vous seriez parfaite pour illustrer ça avec votre style. Dispo pour un café ?"
Signé : Jules
Je ne sais pas si c’est
une proposition professionnelle ou une métaphore sexuelle.
Mais je dis oui.
ZoéLa pluie tambourine contre les vitres, rythmant mon souffle. Je sens encore la chaleur de Raphaël contre moi, chaque battement de son cœur résonne dans ma poitrine comme un écho de ce que je n’ose pas nommer. Je ferme les yeux et m’abandonne à ce vertige.Ses mains effleurent mes cheveux, descendent sur mes épaules, et tout mon corps frissonne. Chaque contact est une flamme qui se propage. Je sens la retenue dans ses gestes, ce mélange de désir et de précaution qui me fait frémir encore plus.Je me colle un peu plus contre lui, cherchant à prolonger cet instant où le temps semble suspendu. Nos souffles se mêlent, chauds et irréguliers, et je sens mon cœur s’emballer. Le monde extérieur disparaît, il n’y a plus que nous et cette tension qui nous consume doucement.— Zoé… murmure-t-il. Son nom est une caresse, et j’ai l’impression qu’il a le pouvoir de tout ralentir, d’ouvrir un espace où rien ne peut nous atteindre. Je frôle ses mains, je les guide, sans mots, et il répond à chaque
RaphaëlLe tic-tac de l’horloge cogne dans le silence.Zoé ne détourne pas les yeux.Le café fume encore entre nous, une fine brume qui se dissipe, comme si elle attendait que l’un de nous brise l’équilibre.Je finis par parler, la voix plus basse que je ne le voudrais :— À propos d’hier soir…Elle tressaille à peine.Ses doigts se serrent autour de la tasse, puis se détendent.— Je sais, murmure-t-elle.Un battement de cœur. Deux.Je cherche mes mots.— Je n’aurais peut-être pas dû…Elle m’interrompt, douce mais ferme :— Ce n’était pas un accident.La phrase claque doucement, mais elle résonne comme une évidence.Elle lève enfin les yeux.Un mélange de peur et de détermination s’y accroche, un éclat qui me traverse.Je sens ma respiration se faire plus lente, plus profonde.— Je ne veux pas compliquer ta vie, Zoé.Je marque une pause.— Ni te prendre ce que tu n’es pas prête à donner.Un frémissement sur ses lèvres, presque un sourire, presque une plainte.— Ce que tu crois déjà pr
RaphaëlLe silence de l’appartement pulse plus fort que mon propre cœur.Je n’ai presque pas dormi.Chaque craquement du bois, chaque respiration de Zoé derrière la porte du salon, a fendu la nuit comme un fil tendu.Le baiser d’hier revient sans cesse, vif comme une braise que je n’ose ni attiser ni étouffer.Je me lève avant l’aube, pieds nus sur le parquet glacé.La ville dort encore.J’ouvre la fenêtre : un air humide s’engouffre, chargé d’odeurs de pluie, d’asphalte et de terre mouillée.La nuit hésite à s’effacer ; le ciel a cette teinte gris-bleu où s’accroche la dernière étoile, fragile et insolente.Je passe par la cuisine.Sur la table, deux verres d’eau à moitié pleins brillent dans la pénombre.Témoins muets. Accusation silencieuse.Je fais glisser un doigt sur le bord d’un verre ; la condensation froide me ramène à la réalité.Je sais ce que ce baiser signifie.Et je sais tout ce qu’il menace.Zoé.Jules.Des noms qui s’entrechoquent dans ma tête comme deux pierres.Un éc
JulesLa porte claque encore dans ma mémoire, plus sèche, plus lourde que la veille.Un bruit minuscule en réalité, mais qui résonne comme un verdict.Depuis qu’elle est sortie, chaque coup de vent dans la cage d’escalier, chaque moteur qui gronde en bas de l’immeuble, ressemble à ses pas qu’on espère et qu’on redoute.La lampe du couloir brûle toujours, un halo jaune qui tremble comme une veilleuse pour enfant. Je l’ai laissée allumée, incapable d’affronter le noir complet.Je me lève tard, après une nuit faite d’insomnies hachées, le cœur serré dans un étau invisible.Dans la cuisine, l’air sent le café froid et la poussière.Sur le comptoir, une seule tasse blanche, la sienne, encore marquée de l’empreinte de son rouge à lèvres.Un détail infime, ridicule, mais qui me fait vaciller, comme si ce cercle écarlate me rappelait qu’elle existe ailleurs, hors de ma portée.Je reste longtemps immobile, paumes à plat sur le bois glacé.Les minutes s’étirent, sans repères.Elle m’a dit qu’el
ZoéJe suis toujours là.Assise dans ce salon qui n’a pas changé, mais qui semble s’être refermé sur moi.Chaque détail me saute au visage : la pile de livres trop ordonnée sur la table basse, les deux tasses en céramique assorties qu’on n’a jamais utilisées, et ce foutu plaid bleu qu’il m’avait tendu une nuit où j’avais froid sans jamais oser me prendre dans ses bras.Je suis là, mais je ne sais plus si c’est une bonne idée.Je suis entrée comme on revient dans un rêve. Mais j’ai oublié qu’un rêve peut tourner au cauchemar si on reste trop longtemps.Raphaël ne parle pas.Il bouge dans la cuisine, se donne une contenance, remplit deux verres d’eau, en pose un devant moi. Il ne me regarde pas. Il attend. Comme s’il savait que ce n’est pas lui qui détient la clef, mais moi.Et moi… je suis incapable de bouger.Il s’appuie contre le plan de travail, tête baissée, main sur le verre. Et puis enfin :— Tu veux qu’on fasse comme si de rien n’était ? Ou tu préfères tout foutre en l’air maint
ZoéLa lumière du matin est brutale.Crue.Insolente.Elle s’infiltre par les interstices du volet, sans prévenir, sans demander la permission.Et elle tombe directement sur lui.Jules dort à moitié. Une main sur ma taille. L’autre repliée sous sa tête. Il est encore beau dans le silence. Moins brûlant que la veille. Plus humain. Plus fragile, peut-être.Moi, je suis éveillée. Depuis un moment déjà.Les paupières ouvertes sur le plafond.Le corps encore douloureusement satisfait.Et l’âme en vrac.Qu’est-ce qu’on a fait ?Enfin… ce qu’on a fait, je le sais.Mais ce que ça signifie… j’en ai aucune idée.Je me lève sans bruit, ramasse ma robe abandonnée au sol. Chaque mouvement me rappelle sa bouche, ses mains, sa voix grave dans mon oreille.Mon corps se souvient.Mais mon esprit, lui, doute.Je file dans la salle de bain, laisse couler l’eau froide sur ma nuque. J’ai besoin de clarté. D’air. De distance.Mais au fond de moi, quelque chose résiste.Un goût d’inachevé.Ou peut-être de t